Une surcouche d'injustice et de violence
Par Aude le samedi, 21 mars, 2020, 13h16 - Textes - Lien permanent
Le 6 mars, monsieur le président se rendait au théâtre. On n'allait pas se laisser abattre : « La vie continue. Il n’y a aucune raison, mis à part pour les populations fragilisées, de modifier nos habitudes de sortie. » Cinq jours plus tard, il en remettait une couche : « Nous ne renoncerons à rien. Surtout pas à rire, à chanter, à penser, à aimer. Surtout pas aux terrasses, aux salles de concert, aux fêtes de soir d’été. Surtout pas à la liberté. » Deux jours après cette sortie rappelant la grandeur de notre civilisation, avant tout celle des loisirs marchands, Macron posait les bases de notre nouvelle vie : rassemblements interdits, contacts physiques limités (mais pas la peine de porter un masque, d'ailleurs on n'en a pas), privé·es de sorties sauf pour les activités vitales (les courses, la promenade du chien, le kilomètre de marche pour ne pas perdre la main, aller bosser dans une usine produisant des biens pas spécialement vitaux en temps d'épidémie). Y'a pas à dire, le type voit la fin du monde arriver avec plus de clairvoyance que Jojo et les Gilets jaunes qui, elles et eux, ont vite compris à quel point les luttes écologistes et démocratiques étaient aussi les leurs…
Depuis quelques décennies, des auteurs écolos comme André Gorz ou Bernard Charbonneau nous avertissent non seulement que de graves bouleversements environnementaux nous attendent, mais que la réponse des gouvernements libéraux sera leur gestion autoritaire et inégalitaire. On y est.
La bourgeoisie parisienne est partie rejoindre ses résidences secondaires à la campagne (et les mieux alphabétisé·es nous font l'honneur de partager leurs états d'âmes littéraires). Les personnes seules dans des appartements minuscules sont encore plus seules et dans des appartements qui, je vous l'assure, n'ont pas l'air plus grand. Les enfants suivis par l'aide sociale sont renvoyés dans leurs familles toxiques et les femmes coincées avec des compagnons violents sont encore plus démunies que d'habitude. La police est dans la rue pour nous obliger au civisme, s'attaquant en priorité aux jeunes hommes pauvres et racisés, ceux qui sont les plus mal logés et ont de quoi péter des câbles à la maison. Des hôpitaux privés de moyens depuis des décennies envisagent de faire le tri des patient·es méritant du soin, rompant avec le contrat social (protection inconditionnelle en échange de notre soumission) et avec un humanisme qui jusqu'ici avait tenu le coup au moins en théorie. Et ne parlons pas des détenu·es qui cumulent toutes ces difficultés (isolement, promiscuité, arbitraire et manque de soins).
Voilà le monde de rêve de la catastrophe. Aujourd'hui elle est sanitaire mais demain elle pourrait aussi bien être écologique (baisse grave de rendements agricoles, catastrophe climatique), démocratique (État d'urgence, porté par l'extrême droite ou l'extrême centre néolibéral), économique (avant le coronavirus, les alertes des économistes non-orthodoxes commençaient à rappeler 2007). Ou un subtil mélange de chacune.
Une chose est sûre : d'abord les grands de ce monde ne verront pas venir la catastrophe et la veille encore tenteront de nous vendre leur business as usual, ensuite ils la géreront de la manière qui contribue le mieux à la croissance de leur pouvoir (gestion policière ou militaire, restriction des libertés civiles) tout en assurant l'habituelle prédation néolibérale sur les biens communs (du budget de l'État aux ressources naturelles privatisées). C'est la « stratégie du choc » décrite par Naomi Klein : alors que les régimes responsables des catastrophes, ou qui ont montré leur incurie à les gérer, devraient sortir désavoués et ébranlés, c'est souvent l'occasion pour eux de serrer leur vis un peu plus fort, ce qui est rendu acceptable par l'« union nationale » ou la simple difficulté matérielle à se mobiliser contre. Et la vis n'est jamais desserrée, comme on l'a vu concernant les lois dites « anti-terroristes » depuis les années 1990. Ces épreuves rendent acceptables ce qui ne l'est pas en temps normal. Mais qui le deviendra par la suite, quand bien même le danger serait écarté.
Le monde de demain pourrait ressembler à la gestion de cette crise-ci, rajoutant à nos difficultés une surcouche d'injustice et de violence. Allons-nous accepter de vivre dans ce monde-là ?
Commentaires
Certes. Un petit détail tout de même, par pur souci d'honnêteté : le tweet de Macron du 11 mars se référait à la commémoration des attentats terroristes et notamment celui de la gare d’Atocha à Madrid et donc sans aucun rapport avec le coronavirus. Rétrospectivement on pourrait dire que la reprise des arguments de 2015 était mal venue, mais tout de même... Restons rigoureux dans nos critiques, elles n'en seront que plus crédibles.
Eh bien je vous assure que je me suis demandé et demandé autour de moi d'où venait ce tweet isolé, j'ai écouté le discours entier et tout était décontextualisé, je n'ai pas su de quoi Macron causait pour dire ces trucs de dingue. Parce que parler de rassemblements festifs, quand on est en train d'annuler des rassemblements de taille toujours plus petite (le 11 mars on en était à moins de 1000), et alors que cinq jours plus tôt on a promu les sorties culturelles, c'est comment dire ? Une erreur de communication ? Une bêtise monumentale ? Merci d'ajouter le contexte et de répondre à mes interrogations.