Un geste pour la planète. Peut-on ne pas être écolo ?
Par Aude le vendredi, 9 mars, 2012, 09h47 - Lectures - Lien permanent
Samuel Pelras, Un geste pour la planète. Peut-on ne pas être écolo ?, « Antidote » Flammarion, 2012, 120 pages, 8 €
Rire sur le dos des écolos, rien de plus facile. On le faisait déjà dans les années 70, qui sont ces huluberlus avec leurs fromages de chèvre, non mais, ça fusait de l'extrême gauche au public conventionnel. Aujourd'hui l'exercice est devenu d'autant plus délectable que l'écologie s'est imposée dans le courant dominant... à moins que ce ne soit le contraire ? Samuel Pelras ne s'inquiète guère d'analyser en profondeur cette colonisation croisée, il dézingue tous azimuts. Et on se marre. Alors certes, on aurait aimé qu'il fasse un peu de tri au lieu de mélanger dans sa poubelle les éco-citoyen-ne-s satisfait-e-s de l'aliénation consumériste (mais bio !) et les écolos pour qui l'autonomie est au cœur d'une vie désirable ; qu'il fasse sérieusement la part du politique et celle du religieux... prosélytisme et martyrologie ne sont en effet pas étrangers au mode de vie écolo. On aurait aimé qu'il passe autant de temps sur le cas Juppé (le pauvre ne mangera plus de cerises en hiver, mais il est hélas absent, comme les autres maîtres d'œuvre du développement durable sauce 2007) que sur celui du réseau « Sortir du nucléaire ». On aurait aimé une critique un peu plus fouillée du régime de l'expertise (1). Mais on regrettait Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable, de Riesel et Semprun (Encyclopédie des nuisances, 2010), alors une deuxième couche n'est pas de trop. Et l'autre camp n'est pas oublié : on rit un temps avec Iegor Gran (L'Écologie en bas de chez moi, POL, 2011), et puis son cynisme est largement commenté, dans la liste des « irréductibles Gaulois » anti-écolos qui se payent une subversion à deux balles. Liste de type journalistique et non typologie savante, puisque l'auteur ne s'inquiète pas de mettre en valeur les différents ressorts de la réaction : scientisme et rapport à la technique, conservatisme politique, individualisme, etc. A la lecture de ce pamphlet, drôle et parfois injuste comme le veut le genre, on oublie presque l'ambition de la collection, qui est plutôt d'aborder des questions politiques et sociales au prisme de la philosophie. A peine quelques citations pour donner un vernis, il s'agit simplement pour l'auteur de présenter son écologie, ou mieux de l'asséner au détour d'un chapitre : c'est une écologie de la liberté, ou éco-anarchisme, dans le sillage de Murray Bookchin et Cornelius Castoriadis. Belles références, dont on ne se plaindra pas. On doit à ce dernier auteur un développement de grande qualité sur la notion d'imaginaire : que dit-on quand on parle de « décoloniser l'imaginaire » ? S'agit-il seulement de nourrir la société d'images et d'histoires nouvelles, façon storytelling bio, ou ne prend-on pas la tâche à la légère ? L'imaginaire castoriadien a à voir avec l'institution, mais il ne la précède pas allègrement, il est tributaire de sa pesanteur. L'écologie politique, corpus théorique qui semble loin d'être étranger à Samuel Pelras, pose de nombreuses questions de ce type, et on a de quoi regretter qu'elles ne soient pas ici traitées avec la même exigence.
(1) Celle-ci est brillamment faite dans la même collection par Mathias Roux dans J'ai demandé un rapport. La politique est-elle une affaire d'experts ?, « Antidote » Flammarion, 2011.