A la Communauté
Par Aude le vendredi, 24 février, 2012, 12h58 - Reportages - Lien permanent
Premier jour : arrivée sac au dos de la gare toute proche, on m'accueille en me montrant ma chambre, toute simple et très jolie, avec assez de rangements pour m'installer une dizaine de jours. L'après-midi est – comme la matinée – consacrée au travail, mais dans quelques heures tout le monde sera plus disponible. J'attends donc ce moment, bien tranquillement. Mais à 17h30 les lieux restent vides. A 19h30, l'heure de la prière commune, je n'aurai croisé que Sandra, ma voisine du dessous, une très jeune femme en stage pour un an avec son ami, venue me souhaiter la bienvenue. L'appel de la cloche se fait finalement entendre, je me précipite dans la salle commune où brûlent trois bougies devant une assistance plutôt clairsemée. Un texte récité par cœur, des intentions de prière, une chanson, quelques annonces dont celle de mon arrivée. Avant de nous quitter, nous embrassons nos voisin-e-s de droite et de gauche en leur souhaitant une belle soirée. Le samedi est le seul soir où une activité collective est proposée : c'est danse. Les autres soirs, les personnes installées (engagées, selon le vocabulaire de la Communauté), rentrent dans leurs appartements pendant que les six ou sept stagiaires se réunissent dans la cuisine pour finir les restes du midi (1). C'est toujours copieux et délicieux, on mange très bien, en quantité parce qu'on a beaucoup travaillé en plein air, et l'ambiance est cordiale. A la fin du repas, nous lavons nos couverts mais l'un-e de nous reste, préposé-e à la vaisselle des plats. Je me retrouve vite seule, sans autre perspective que celui de rejoindre mon lit. Il est 20h30. Je peste un peu, avant de me rappeler que j'étais aussi venue pour ça : rompre avec mon quotidien, couper pour quelques jours les liens avec mes collaborateurs et mes ami-e-s, avoir enfin beaucoup de temps libre pour lire et me reposer. La mission est donc remplie, de quoi pourrais-je me plaindre ?
Il n'empêche que c'est de mauvais gré que je vois mes premiers jours à la Communauté placés sous le signe de la solitude. Au point d'envisager un plan B pour la semaine suivante... Heureusement, un stagiaire arrivé après moi, Cyril, partage cette déception et nous passons une après-midi assez réconfortante à nous balader en regrettant la vie collective plutôt pauvre. L'épluchage des légumes et le repas de midi sont les rares moments collectifs et conviviaux de la journée, et pas une seule discussion collective et formelle n'est proposée dans le courant de la semaine. On nous signale, belle surprise, que le vendredi les nouveaux et nouvelles arrivant-e-s ont un entretien avec une ancienne de la Communauté. Cette perspective devient le premier objectif de mon séjour (surtout ne pas partir avant !) mais Cyril ne tiendra pas jusque là. Le jour venu, j'aurai déjà appris beaucoup, dans des discussions informelles à la cuisine ou ailleurs, sur ce qui fait que la Communauté est si peu accueillante, à l'encontre de son intention originelle.
Première raison : il fait froid ! Les lieux collectifs sont très vastes, impossibles à chauffer et d'autant plus pendant cette vague de froid où le thermomètre descend jusqu'à -14°. Les lieux privés, parmi lesquels l'étage où se trouve ma chambre, sont bien mieux chauffés et on a parfois hâte de les retrouver pour ne plus en sortir. Deuxième raison : les lieux ont accueilli dans les années 1970 et 1980 jusqu'à 90 personnes, et il sont surdimensionnés pour la situation actuelle. On peut donc très facilement ne pas s'y croiser.
Aujourd'hui la fête de la St-Jean, les semaines d'été ou Noël peuvent réunir beaucoup de monde, mais il n'y a plus à la Communauté qu'une douzaine de personnes engagées, au point qu'on ait envisagé il y a quelques années sa fermeture. Ludovic est maintenant le seul postulant. Il a rejoint la Communauté il y a un an et demie, et il est co-exploitant de la ferme. Il regrette que l'efficacité y soit un gros mot, et de travailler dans des conditions trop peu professionnelles. C'est pas parce qu'on essaie de faire avec le minimum d'énergie fossile et le plus simplement possible qu'on doit abandonner l'idée de produire ! La fromagerie n'est pas aux normes, les tomes qu'il fabrique peuvent uniquement être échangées à des ami-e-s. La ferme n'a pas assez de rentrées d'argent, et beaucoup de besoins monétaires : la protection sociale des co-exploitant-e-s, qui garantit entre autres la retraite des ancien-ne-s, coûte déjà plusieurs milliers d'euros par an et par personne. Dans ces conditions, l'autarcie que les personnes de passage croient voir à la Communauté (les légumes, les pommes, le pain, le lait et le bois sont produits sur place) n'est qu'une illusion et les engagé-e-s se font un devoir de la mettre à mal. Le travail manuel, qui est un gage d'équilibre dans la pensée du Patriarche qui a investi la ferme il y a bientôt cinquante ans, est devenu prépondérant et on trime, on trime, pour tenter de joindre les deux bouts avec ces moyens pas vraiment à la hauteur que me décrit Ludovic. Le résultat, c'est que les approvisionnements complémentaires se font à moitié en gros à la Biocoop, et à moitié en conventionnel au supermarché du coin (« fruit de l'exploitation des hommes et de la nature »), en contradiction avec les valeurs portées par la Communauté. On n'a pas beaucoup d'argent... et – troisième raison – on n'a pas beaucoup de temps non plus pour accueillir comme on pourrait les personnes de passage, ni pour ouvrir des espaces de réflexion sur la non-violence et la spiritualité (2). Les réunions hebdomadaires, entre engagé-e-s, et les discussions informelles sont certes teintées de cet esprit, mais c'est en passant. On pourrait donc venir à la Communauté, y passer quinze jours, et ne pas en savoir plus sur la non-violence que le nom de Gandhi, dont deux portraits trônent dans la salle commune. Même le travail des stagiaires, tenu-e-s de travailler 35h/semaine en échange de leur hébergement, est mal encadré et moins efficace.
L'accueil est cordial, mais les personnes de passage sont souvent déçues par sa qualité, et beaucoup ont ressenti comme moi de grands moments de solitude, surtout au début de leur séjour. La dernière raison, je la connaissais : dans les communautés dont j'ai eu l'écho, les personnes de passage ne peuvent pas compter créer d'emblée des liens qui doivent être rompus quinze jours plus tard par leur départ. J'ai moi-même pu ressentir une certaine déception au départ, à peine deux jours avant le mien, de ma voisine Carolina. A force de voir passer du monde, les habitant-e-s se blindent pour ne plus l'éprouver. C'est pour être confrontée à un blindage moins épais que j'avais choisi une communauté chrétienne, comptant sur la bienveillance que j'ai pu noter chez les cathos de gauche rencontré-e-s ici et là. Les premiers jours ont été rudes, et mes préjugés à cet égard mis en défaut, mais j'ai cru le voir céder après quelques jours. Et au moment de courir derrière le minibus qui m'emmènerait dans la vallée, c'est avec un pincement au cœur que j'ai fait de grands signes de loin à Maryvonne et à Ludovic, en regrettant que nous n'ayons pas eu plus de temps à consacrer à notre rencontre.
(1) Plus précisément le repas collectif du soir réunit les
célibataires, tandis que les couples prennent leur repas entre soi. La ligne de
partage entre personnes en couple et célibataires rejoint presque (mais pas
tout à fait) celle entre engagé-e-s et stagiaires. Alors que la Communauté à
l'origine accueillait majoritairement des célibataires, aujourd'hui la vie en
couple est devenue la norme. Et Birgit, qui y a rencontré son compagnon,
reconnaît les échecs de la Communauté tout en admettant que la mission d'agence
matrimoniale est parfaitement remplie !
(2) Et encore moins pour mener les activités artisanales et
artistiques dont on voit encore les traces : gravure sur le bois des
charpentes, rouets et machines à tisser à l'abandon...