Vivre heureux/se chichement : le revenu d’autonomie par Chiche !
Par Aude le lundi, 15 mai, 2006, 08h55 - Textes - Lien permanent
Texte rédigé pour Chiche ! pour le n°23 (été 2006)
d'EcoRev', "Le revenu garanti en ligne de mire". Merci à Josselin et
Claire S. pour la relecture.
Les jeunes écolos alternatif/ves de Chiche ! présentent le revenu garanti comme une revendication-clef en dix ans d’activité : "Mesure à la fois sociale et environnementale : oui le revenu garanti doit permettre à chacun-e de vivre dignement ! Non il ne doit pas servir à relancer la consommation ! Et peut-être même constitue-t-il une chance de faire une objection de conscience au système délétère de production/consommation."
Naissance d’une revendication identitaire
Chiche ! se crée en mai 1996 (1). C’est alors le mouvement de jeunesse de quatre partis écolos se situant, nouvellement parfois, mais aussi résolument, à gauche. Il revendique, jusque dans son logo en quatre carreaux rouges et verts, l’alliance de soucis environnementaux et d’un besoin de justice sociale.
A partir de 1998, à l’initiative de Philippe Quirion, alors doctorant en
économie travaillant sur ce concept, Chiche ! prend à son compte la
revendication d’un revenu garanti. Patrick Soulignac et Philippe Quirion
mettent au point un projet en insistant sur sa faisabilité et sur son urgence
sociale et morale. Le projet s’appelle Revenu d’autonomie pour tou-te-s, ou
RAPT, et se présente innocemment comme un aménagement du RMI... avec des vertus
révolutionnaires. "Pour autant que cette mesure semble simple, ne nous y
trompons pas : elle impulse un vrai choix de société, une rupture dans les
mentalités", écrit Patrick Soulignac, qui met de cette façon en pratique
l’idée d’une révolution lente théorisée au sein de Chiche ! par Arnaud
Gauthey.
Le montant de l’aide importe peu et c’est un chiffre très modeste qui est
proposé. Il s’agit surtout, dit aujourd’hui Patrick Soulignac, de "sortir de
l’assistanat en morceaux".
Si t’as moins de vingt-cinq ans, t’as zéro franc !
Ainsi le droit au revenu est étendu aux jeunes de moins de vingt-cinq ans qui, avec des taux de chômage parmi les plus élevés de la société française, sont particulièrement touché-e-s par la précarité. Cette première amélioration se trouve tout de même poser problème à certain-e-s. Dominique Voynet la condamne lors de l’assemblée générale annuelle (ou banquet) de novembre 1999 à Caen : donner un revenu aux jeunes serait dangereux car il ne ferait qu’encourager un consumérisme immature. Cette objection nous semble dans la lignée des "il ne faut pas payer trop bien les ouvriers, ils boiront leur salaire", signe d’un mépris bien-pensant pour les classes populaires de la part d’une écologie représentée ce jour-là par une ministre qui arborait un carré Hermès. Gageons que cette intervention a eu son effet dans le divorce qui sera consommé en 1999-2000 entre Chiche ! et les Verts, l’un de nos deux mouvements de référence. Peut-on donner un revenu pour l’autonomie à la condition de ne pas acheter des Nike avec ?
Revenu pour l’autonomie ou pour le contrôle social ?
Ici se dessine un autre aménagement proposé par Chiche !, l’impossibilité d’assortir le droit au revenu avec un contrôle social. Le RAPT ne soumet son bénéficiaire à aucune obligation d’insertion définie a priori. La personne qui le reçoit peut au choix étudier, rechercher activement un emploi... ou non, ou bien travailler à temps partiel. La condition principale pour recevoir le RAPT, c’est de disposer de faibles ressources dans une déclaration fiscale autonome.
Cela signifie, écrit Patrick Soulignac, "sortir d’une infantilisation
des exclu-e-s. Cela signifie leur laisser le choix, de la vie qu’ils et elles
veulent et de leur parcours d’insertion. Cela signifie leur faire confiance,
leur rendre leur dignité sans les culpabiliser. Le RAPT n’est pas un acte de
charité, c’est un pas vers l’autonomie. Celle des plus pauvres qu’il aide à
résister à la flexibilisation du monde du travail, et celle de tou-te-s à qui
il permet de suivre d’autres voies que celles des entreprises". Le revenu
d’autonomie peut bel et bien peser dans le rapport de force entre entreprises
et travailleurs/euses rendu-e-s dociles par la peur du chômage. Mais il est
aussi une façon de questionner l’utilité sociale du travail.
Notons enfin une autre dimension du RAPT affirmée par David Langlois-Mallet.
"'Pour tou-te-s' englobe aussi les résident-e-s étrangèr-e-s pour,
écrit-il, une campagne 'poupées russes', au sens où elle contient une
reconnaissance des sans-papiers, comme les campagnes en faveur des sans-papiers
contiennent (implicitement) une lutte anti-fasciste".
Plus tard un dernier aspect qui jusqu’alors pesait moins, celui de la possibilité offerte de se dégager des obligations de production et de consommation, va supplanter les premiers dans le cœur des militant-e-s chichon-ne-s.
Zéro plus zéro égale ?
L’année 1999-2000 est donc celle du "Revenu d’autonomie pour tou-te-s", campagne que nous menons parallèlement au "Pari contre l’effet de serre". Nous publions une affiche qui insiste sur l’urgence d’un revenu pour les jeunes : photo sur fond noir d’une pièce de zéro franc assortie d’un slogan, "si t’as moins de vingt-cinq ans, t’as zéro franc !" Le RAPT sort des tracts pour investir la rue : suite à des conférences-débat présentant/discutant le projet ont lieu des manifestations diverses. Le 1er avril 2000 à Bordeaux nous dessinons sur nos visages des têtes à Toto : zéro plus zéro égale ? Le même jour, Chiche ! Rennes colle dans le dos des passant-e-s des pièces de zéro franc, déclinant ainsi le visuel de la campagne. Plus facile de faire passer de manière drôle et concrète les revendications anti-McDo que le revenu d’autonomie ...
Plus tard c’est le côté culturel du changement social proposé par le RAPT
qui est mis en avant. Le 1er mai 2001 à Bordeaux nous fêtons la paresse,
projection de L’An 01 de Gébé et Doillon suivie d’un débat avec les
militant-e-s d’Agir ensemble contre le chômage (AC !). Nous creusons
l’idée de paresse pour sortir d’une injonction morale à travailler qui est le
nœud du problème si l’on en croit les remarques qui nous sont souvent exprimées
depuis le courant dominant de la société.
Dans le même temps, à Chiche ! Paname et Dijon, c’est la gratuité qui
devient notion-clef. Plutôt que de donner un revenu à chacun-e, si nous
réinventions la gratuité ? Squats, autoproduction, communs (transports en
commun, culture, logement, bons d’alimentation en circuits courts/équitables,
etc.) viennent annoncer/renforcer les changements culturels induits par le
revenu d’autonomie.
Perdre sa vie à la gagner
En 2002 la décroissance séduit Chiche ! qui en fait sa campagne... sociale ou environnementale, dites ? Réduction du temps de travail mais surtout revenu d’autonomie sont la clef de voûte de ce changement dont les motivations sont a priori d’ordre environnemental.
C’est l’époque où nous mêlons les revendications de deux générations chichonnes pour éditer de manière artisanale une brochure intitulée Perdre sa vie à la gagner qui rassemble d’une part les textes plus politiques et sociaux de chichons historiques comme David Langlois-Mallet ou Patrick Soulignac et d’autre part ceux plus culturels et décroissants des filles de Chiche ! Bordeaux, Iseline Moret, Aude Vidal et Marion Moustaki : "Travailler c’est vendre son temps, c’est renoncer (volontairement ou non) à transformer son temps en bonheur en tranches". Le Paul Lafargue du Droit à la paresse mais aussi Diderot ou l’Evangile selon St Matthieu sont aussi mis à contribution : "Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent ni ne recueillent en des greniers, et votre Père céleste les nourrit ! Ne valez-vous pas plus qu’eux ?"
La critique s’attaque désormais moins au scandale que représente la pauvreté de certain-e-s dans une société où les biens abondent qu’à celui d’une société où une majorité travaille encore pour produire ces biens dont la production et la consommation sont devenues une nuisance environnementale et un non-sens humain.
Quand l’utopie apparaît plus que jamais nécessaire
Loin d’apparaître comme une panacée qui nous permettrait d’apporter toujours la même réponse convenue, qu’il s’agisse de faire face dans ces années 2002-2006 aux promoteurs du RMA ou du CPE, le revenu d’autonomie représente en outre une solution crédible dans la gestion de la crise économique majeure qui s’annonce avec la "fin du pétrole" : en créant un droit déconnecté de la condition salariale fondée sur la société productiviste, il constitue le moyen d’amortir les effets sociaux dévastateurs d’un choc inéluctable et, surtout, en sus des mesures de régulation qui restent à imaginer, fonde la réforme devant permettre la révolution de nos modes de vie, vers une société plus solidaire et plus sobre. Le revenu d’autonomie représente donc aujourd’hui un rempart contre le workfare à la française et contre l’accroissement futur des inégalités générées par une crise durable.
Chiche ! jeunes écolos alternatif/ves solidaires, mai 2006
A lire : Perdre sa vie à la gagner. Eloge de la paresse pour une société plus écologique, brochure auto-produite, format A5, 20 pages, copyleft, prix libre plus frais de port
(1) La date signifie combien cette naissance est un contrecoup de la campagne commune Verts/AREV (Alternative rouge et verte) à la présidentielle de 1995 ainsi que des mouvements sociaux de décembre qui suivent l’élection de Jacques Chirac et voient une nouvelle génération de jeunes entrer hors parti en militantisme.