Du blé de toutes les couleurs
Par Aude le jeudi, 13 octobre, 2005, 12h16 - Textes - Lien permanent
Jean-François Berthellot est un agriculteur bio et un boulanger passionné. Nous l'avons rencontré à Port Sainte Marie (Lot-et-Garonne) dans le cadre de notre banquet annuel en septembre 2005. Voici des extraits de ce qu’il nous a appris à cette occasion.
Des variétés anciennes
Jean-François est venu dans le sud pour faire des fruits bio mais plusieurs
années de suite la grêle a ravagé ses cultures. Comme il ne souhaitait pas
avoir recours à des protections de plastique, il a décidé de cultiver du blé
pour en faire du pain. Après chaque culture, il fait pousser de la luzerne et
du trèfle sur la terre pour la nourrir. Son blé est moulu par une meule de
pierre. Son pain est au levain, il ne contient pas de levures (aujourd'hui
toutes les levures sont transgéniques !). Les gens de la communauté de l'Arche
lui ont fait découvrir des variétés anciennes de blé. Aujourd'hui, il fait du
pain à partir de quinze à vingt variétés qu'il mélange, cela donne un pain plus
coloré et plus parfumé. Les analyses révèlent un taux de protéines plus élevé
mais une valeur boulangère très mauvaise. En fait, l'explication tient au fait
que toutes les variétés modernes ont été sélectionnées seulement pour leur
valeur boulangère, c'est-à-dire pour répondre aux procédés de la panification
industrielle, ceci au détriment de la valeur nutritive. Les protéines des
variétés modernes sont grosses et complexes, peu digestes. Ainsi, de plus en
plus de gens sont allergiques au gluten.
Aujourd'hui, quarante variétés de blé sont inscrites sur le catalogue
officiel, elles se ressemblent toutes très fortement. L'inscription sur le
catalogue officiel correspond à une homologation des semences en vertu de quoi
elles peuvent être données, échangées, et vendues. Cette homologation exige la
satisfaction de trois critères : distinction, homogénéité, stabilité. La
distinction signifie qu'on peut distinguer très facilement une espèce d'une
autre. L'homogénéité signifie que toutes les plantes issues des semences
doivent avoir le même aspect. Or il n'y a que la sélection clonale telle que la
pratiquent les semenciers qui permet cela. La stabilité signifie que lorsqu'on
ressème, on doit obtenir exactement la même plante. Ces critères favorisent
l'appropriation du vivant par les firmes semencières.
Pour la biodiversité cultivée
Dans le milieu écolo, l'idée de la biodiversité inter-espèces est bien ancrée. On sait que les « mauvaise herbes » doivent avoir leur place dans les cultures. On sait aussi qu'arrêter les produits chimiques fait revenir les animaux et régénère ainsi de précieux écosystèmes. En revanche, il y a très peu de sensibilisation à la biodiversité intra-espèces, même chez les agriculteurs bio, et cette diversité ne figure pas dans le cahier des charges du label AB. Dans les années 80, il y a eu une prise de conscience au niveau mondial sur la baisse de la biodiversité. C'est pourquoi le FAO a exigé que les pays recensent leurs variétés et créent des conservatoires de biodiversité. En France, c'est à l'INRA de Clermont-Ferrand que sont conservé de nombreuses de variétés de blé. Une directive communautaire vise aussi à favoriser la biodiversité des cultures. Mais les semenciers et le catalogue officiel sont des freins à l’application de cette directive et de ses principes. Les semenciers ont commencé à s'approprier le vivant bien avant les OGM par l'hybridation et l'inscription sur le catalogue officiel. Les OGM représentent l'aboutissement de cette stratégie. Le meilleur moyen de lutter contre cela est de boycotter les semences de ces firmes. Malheureusement aujourd'hui 99 % des paysans bio français achètent leurs semences chez Pioneer (qui lorsqu'il ne vend pas des OGM vend des hybrides). Il faut donc cesser d'acheter ces semences hybrides et conquérir le droit d'échanger les variétés anciennes. Il faut savoir que les semences inscrites sur le catalogue officiel sont adaptées à l'agriculture moderne ; en conséquence lorsqu'on leur enlève les engrais et les produits chimiques, le résultat n'est pas brillant. Voilà pourquoi on obtient de mauvais rendements en agriculture bio avec ces variétés-là.
Paysan-ne-s délinquant-e-s !
Sur ses terres, Jean-François cultive du blé issu de vingt-cinq variétés anciennes sur différentes bandes. Ils ne sont que quatre ou cinq en France à faire ce type d'expérimentation. Bien qu'il n'ait pas le droit de vendre, échanger ou donner ce blé, il a le droit de vendre son pain, ce qu’il fait dans les Biocoops et sur les marchés. Il pourrait aussi vendre son blé comme blé de consommation sans spécifier qu'il s'agit d'une variété ancienne, mais il se refuse à faire cela. Il fait partie du réseau « Semences paysannes » qui pratique l'échange des semences anciennes, en toute illégalité bien sûr. Les variétés anciennes se sont adaptées à un milieu et à des pratiques agricoles, autrement dit à un terroir. Si les paysans les ont peu à peu abandonnées, c’est dans un contexte de pénurie, pour faire du rendement. Jean-François a un rendement de vingt-cinq à trente quintaux par hectare contre soixante-quinze pour l’agriculture productiviste. De nos jours en France le blé est utilisé à proportion de 27 % pour le pain, de 10 % pour les pâtes etc. et le reste est consacré à l'alimentation animale. Si on réduisait notre consommation de viande, il serait possible de ne cultiver que des variétés anciennes de manière biologique.
Écrit avec la collaboration de Pauline, Chiche ! Toulouse