La barbe !

Lors du mouvement contre la loi travail, nous avions été surpris·es de voir débarquer des flics barbus. Pas vraiment le genre de look des gardiens de la loi et de l’ordre, traditionnellement plutôt glabres ou moustachus. De fait, la barbe a longtemps été interdite chez les flics en uniforme. Au-delà du règlement, il y a aussi ce fait que la barbe est plutôt l’attribut des religieux et des gauchistes, deux traditions bien éloignées de la culture policière. Je ne me prononcerai pas sur les premiers (cathos de gauche ou islamistes) mais il y a chez les seconds sûrement une rupture avec le conventionnel menton rasé et un refus de l’entretien quotidien – qui est aussi un privilège masculin, nous raconte Geneviève Sellier, autrice de La Drôle de guerre des sexes du cinéma français (1930-1956) (1). La barbe des gauchistes (héritage des guérillas latino-américaines ?) se posait contre le menton rasé, discipliné et conformiste.

Mais aujourd’hui il semble bien que la barbe ne s’oppose plus tant au menton glabre des autres hommes qu’à celui des femmes. La mode est aux barbes… et pas n’importe lesquelles, il s’agit de porter la barbe longue mais bien entretenue, comme la nuque de mon grand-père qui allait chez le coiffeur toutes les semaines dans les années 50. Une mode réac emmène la barbe très à droite. Le menton barbu a toujours eu un caractère patriarcal, étant un attribut que la nature réserve en général (2) aux hommes à partir d’un certain âge. Les aristocrates du XVIIIe siècle se rasaient et les représentations ne sont pas rares qui les montrent en tissus satinés et pastels, la bouche telle un pétale de rose. Quelques décennies plus tard, l’homme de pouvoir se vêt de rude toile noire et porte barbe ou monstrueux favoris. Les rôles sexuels sont bien plus marqués.

Que nous raconte la barbe des types branchés, flics ou pas, des relations femmes-hommes ? Entre ce salon de coiffure masculin (pardon, ce barbier, les mots sont importants) qui met en avant son caractère non-mixte dans un pays où les femmes sont tenues de subir des grossesses qu’elles ne désirent pas et nos flics avec des looks de hipster désormais mainstream, cette barbe dit le refus de l’indifférence des sexes, pose un modèle très masculin. Ça tombe bien, on est en plein backlash, avec notamment un retour à des injonctions très genrées, qui enferment les femmes dans des rôles stéréotypés, l’espace domestique ou une sexualisation au profit des hommes. Les hommes des années 50, qui se complaisaient dans des rôles sociaux de sexe très marqués, qui aux États-Unis laissaient péricliter leurs épouses à la maison, qui en France mettaient à l’honneur des patriarches à la Gabin (3), cultivaient en comparaison un look moins viril. Encore un truc qui fait peur. Camarades, soyez subversifs, rasez-vous.

(1) « La mode récente de la barbe de trois jours me paraît très significative de l'autorisation donnée aux hommes d'avoir l'air négligé. À l'inverse, les femmes doivent rester impeccables, séduisantes, avenantes. » Geneviève Sellier dans « Au cinéma, les hommes ont le droit de vieillir, pas les femmes », France Télévisions, 15 mars 2013.

(2) Pas tout le temps non plus, vu les femmes (trans ou pas) à barbe. Voir La Vie exemplaire de la femme à barbe, François Caradec et Jean Nohain, réédition L'Échappée, 2017.

(3) Voir encore Geneviève Sellier et son équipe pour les représentations du masculin dans le cinéma français, dans lequel peu après la guerre les hommes doux sont remplacés par des hommes comme Gabin, autoritaire et dur et qui a perdu toute la tendresse, voire la fragilité, avec laquelle les réalisateurs des années 30 aimaient jouer.

Commentaires

1. Le mercredi, 9 mai, 2018, 15h31 par Biojm2 (Jean-Marie GRANDJEAN)

Quand parlera t-on enfin des grossesses que les hommes ne désirent pas et qui leur sont imposées par des femmes sans scrupules ?
Mais là, bizarre, c'est le monde du silence. Pire que celui de Cousteau.

2. Le jeudi, 10 mai, 2018, 09h33 par Aude

On parlera des grossesses imposées par les femmes quand tous les hommes paieront leur pension alimentaire ?

Dans Réflexions autour d'un tabou, livre collectif paru chez Cambourakis, il est question de Dominique Cottrez, des grossesses multiples devant lesquelles elle était démunie, de son mari qui la montait quand il voulait, la laissant seule avec ces choses qui grossissaient dans son ventre sans qu'elle sût rien y faire que les supprimer une fois sorties. Encore aujourd'hui, il est courant que les hommes ne prennent aucune responsabilité ou des responsabilités sur mesure, comme ça leur chante, face à la reproduction. Permettez moi de ne pas chouiner avec vous sur les femmes qui imposent la paternité à des hommes. C'est arrivé à un homme très proche, qui voit son fils deux fois par an, paye depuis dix ans une pension en Allemagne (pays qui l'exige vraiment, contrairement à la France qui tolère que les hommes ne participent pas) et que je n'ai jamais, jamais entendu se plaindre. À comparer aux chouineurs qui disent tout et le contraire, aimer leur gosse et regretter qu'il soit né, pour exprimer leur dépit de ne pas avoir tout contrôlé (alors que la contraception masculine existe et que personne ne leur a volé leur sperme). Non, vraiment, il y a des choses plus graves qui clochent sur les questions de parentalité.

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