Gosses de Berlin

Ou « Scie j'avais un marteau... »

Paru dans L'An 02 n°5, fin janvier

Wedding, un quartier au nord-ouest de Berlin. Jadis rouge, toujours populaire : le multiplexe du quartier diffuse des films turcs en VO et des blockbusters doublés en allemand. Les enfants d'ici viennent souvent d'ailleurs. Qu'il neige ou qu'il pleuve, ils et elles sont tou·te·s les bienvenu·e·s dans un « terrain de jeux et d'aventures » et une « ferme des enfants » ouvertes cinq et six jours sur sept. Le premier est créé en 1973, quand un projet de construction de terrains de tennis est refusé par une « initiative citoyenne », un dispositif propre au pays, qui lui oppose la création d'un terrain de jeux. Dix ans plus tard, c'est une ferme qui est ouverte à côté. Les deux sont animés par des salarié·e·s, épaulé·e·s par des bénévoles, pour presque une centaine d'enfants de moins de quatorze ans qui passent chaque jour. Le matin des jours de classe, des écoles viennent découvrir les lieux. Le reste de la journée, la porte reste ouverte à tou·te·s, pour retrouver les copains/ines ou pour des ateliers (cuisine, poterie, petite menuiserie, jeux de société, etc.).

Mais à la ferme l'activité centrale est le soin aux animaux et dans le terrain de jeux la construction de cabanes. Marteaux, clous, scies et bois de construction (un peu de récup', un peu d'achats) sont à la disposition des enfants pour construire des cabanes. Thomas, qui prodigue depuis quinze ans des conseils à ceux et celles qui les demandent, constate que les enfants s'en sortent plutôt pas mal, mieux évidemment quand ils et elles viennent très régulièrement. Certain·e·s sont donc là tous les jours, et tel·le·s des Pénélope construisent, détruisent, reconstruisent des cabanes. Mais, même si racisme et sexisme sont également combattus, ce sont plus souvent des garçons. Quand leur intérêt faiblit ou que la cabane est finie, elle est « louée » à un·e autre. Il est donc rare d'en voir une dans sa splendeur, l'essentiel étant de planter des clous et de scier des planches.


La sécurité ? Markus, qui anime la ferme, répond qu'on prend la question à l'envers. Les enfants élevés dans des univers trop hygiéniques développent plus facilement des maladies, de même que ceux et celles que l'on ne laisse pas se prendre en main se mettent plus facilement en danger. Les squares où les parents gardent un œil inquiet sur leur progéniture sont donc moins sûrs que des espaces où on leur fait confiance et où ils et elles sont plus autonomes. Le soin aux animaux, qui représente l'essentiel de la vie quotidienne, est assuré par des enfants qui viennent au moins deux fois par semaine et s'organisent pour ne pas laisser les canards sans nourriture, les étables sales et les poneys pas étrillés. Une sacrée responsabilité, qu'ils et elles assument selon les possibilités que leur offre leur âge. La relation aux animaux que propose la ferme apporte aussi selon Markus confiance en soi, apprentissage de l'altérité et d'une communication qui engage tout le corps. Au lieu d'admettre des animaux dans leur maison, les enfants vont à leur rencontre, dans leur univers fait de paille et de déjections. Avec six canards, deux oies, huit poneys (dont un de 34 ans), une douzaine de chèvres et de moutons, il y a du travail pour tout le monde mais plus de place aujourd'hui pour un cochon, même en choisissant d'héberger des espèces anciennes, rustiques... et petites. Beaucoup parmi les animaux sont nés sur la ferme, mais elle n'est plus en mesure d'accueillir de nouvelles naissances. Les enfants d'aujourd'hui ont donc plus de chances de voir mourir une brebis que naître un agneau.

Une bulle dans la ville ? Pas la seule en tout cas, puisqu'il y a dans cette métropole plutôt verte et peu dense six autres fermes et bien plus de terrains de jeux. Les enfants y sont accueillis gratuitement, mais les dons ne suffisent pas à l'entretien des lieux. Politique d'austérité ou pas, on compte ici sur la ville pour continuer à les financer et refuser de livrer ce bout de terrain à la spéculation.

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