Ghosbusters et le sens de l'empathie

Stupeur en ce début d'année 2016, quand Sony Pictures dévoile les premières images de son reboot Ghostbusters, produit par Ivan Reitman et dans lequel apparaissent les acteurs et co-auteurs du film original (à l'exception de Harold Ramis, décédé en 2014). Malgré le parrainage de l'équipe originale, le public s'étrangle d'indignation. Ce nouveau Ghostbusters a-t-il annoncé être composé de longues digressions façon cours de physique ? Met-il en scène des fantômes à la Casper, trop gentils pour nous faire sursauter ? Les nouveaux chasseurs de fantôme sont-ils tous les quatre les acteurs les plus détestés de Hollywood, spécialisés dans des rôles de serial killer ? La bande annonce est-elle assurée par Doris Day ? Non, ce qui déclenche cette tempête, c'est que les personnages principaux sont tous féminins. Rendez-vous compte, quatre femmes, alors qu'une suffit souvent à rétablir l'équilibre (avec un Noir et un nerd).


Sur les bientôt 37 millions de vues de la bande annonce, environ 2,5 % du public a pris la peine de signaler la médiocrité de l'annonce puis du film. Impossible de retrouver les commentaires de l'époque tellement le flot de protestations ne tarit pas (« les féminazies ont mis la main sur la franchise Ghostbusters », « ce n'est pas parce que ce sont des femmes, c'est juste que le film est nul » – d'où viendrait donc cet acharnement à le faire valoir ?). Relativisons un peu : on estime que 80 % des commentaires en ligne sont produits par des hommes. Ils ont plus de temps que les femmes dans la vie et ils sont plus assertifs. Et ce ne sont pas les plus lucides et équilibrés qui prennent la peine d'écrire. Quand il est question de genre, la sphère masculiniste se mobilise mieux que vos potes (à moins que vous ayez des potes masculinistes). Il y a donc un léger biais dans la représentativité des commentaires.

Mais pourquoi tant de haine ? Les petites filles sont habituées à s'identifier aux personnage masculins, à les intégrer à leur personnalité sans se contenter des personnages féminins, souvent moins riches et moins centraux. Les garçons ne font pas cette expérience. Ils ont toujours un personnage masculin sous la main et cela complique leur identification à des femmes. Savoir qu'un film qu'on aime sera rebooté (avec de super effets spéciaux) sans cette capacité d'identification, c'est un peu comme apprendre qu'à côté de chez soi ouvre une usine de bonbons avec une vitrine de 20 m de long mais fermée au public. C'est une offense faite à l'amateur. Cette anecdote pose la question de l'identification impossible des hommes aux femmes et de ses conséquences souvent plus tragiques que 270 000 commentaires, aussi haineux soient-ils.

Rendant compte d'actes de violence (le plus souvent symbolique) à mon égard, j'ai souvent remarqué l'incapacité à me remercier pour mon témoignage, à m'exprimer un peu d'empathie ou à reconnaître la violence qui m'avait été faite. Et pareil pour toutes les femmes qui font ce genre de récit. Avant toute chose, la majorité des hommes qui interviennent ici prennent soin de parler d'eux, de se justifier, d'expliquer qu'eux se comportent beaucoup mieux ou que ma parole ne vaut rien. Comme si aucune femme n'avait été blessée lors du tournage de l'histoire qui leur était racontée… En réaction à « Si tu me dis encore une fois que je suis charmante, je t'arrache les couilles », le visiteur de l'expo comme le lâcheur de commentaires sur mon blog n'ont qu'une réaction : hé ho, c'est pas gentil. Pas gentil quoi ? Pas gentil d'aborder dans la rue des personnes qui n'ont rien demandé et se plaignent de harcèlement ? Ou pas gentil de menacer des hommes de leur couper les couilles alors qu'on sait qu'en fait, messieurs, elles vont rester bien attachées et qu'il y a beaucoup, mais alors beaucoup plus de femmes agressées chaque jour dans le monde que d'hommes auxquels des femmes arrachent les testicules ? Si j'ignorais tout de cette situation, au moins je me demanderais : comment peut-on en être réduite à une telle violence verbale ? Avant toute question sur le vécu de l'autre, je ne vois qu'un intérêt disproportionné pour ses testicules. À soi.

Dans Crocodiles (1), le dessinateur Thomas Mathieu met en scène des agressions subies par des femmes et qu'elles ont souhaité lui raconter. Après quelques essais, il a décidé de représenter les hommes, qu'ils soient agresseurs, spectateurs ou alliés, sous la forme de crocodiles. Certains ont un museau tout rond quand d'autres ont des dents très effilées, selon leur caractère. Mais tous sont des crocodiles, qu'ils s'en défendent ou non. La raison de ce parti pris ? Les premiers lecteurs s'identifiaient beaucoup plus facilement aux autres hommes du récit (même aux agresseurs !) qu'aux femmes. C'est cet obstacle que Thomas Mathieu a tenté de surmonter (et au passage cette représentation a aussi le mérite de rappeler que les hommes ne sont pas séparés en deux groupes, ceux qui agressent et ceux qui jamais n'agresseraient, mais qu'ils font tous partie d'un groupe à qui l'on inculque qu'il a des droits sur les femmes).

Il est à cet égard important que les hommes puissent trouver normal de s'identifier à des personnages féminins, pas que pour des raisons cinématographiques mais aussi pour développer un peu d'empathie par rapport au sort des autres. Qu'il soit Noir, musulman ou femelle. Important que la violence qui lui est faite soit aussi intolérable que celle qui est faite à mes semblables, ceux auxquels je m'identifie. Et si le cinéma a un rôle à jouer, c'est celui d'offrir l'opportunité à tout le monde de s'identifier à des personnages féminins, des personnages profonds, aimables et qui ont des interactions riches avec leurs semblables. Parce que pour l'instant, ce n'est pas fameux. Non seulement Ghostbusters passe le test de Bechdel (qui nous renseigne sur la dimension sociale des perso féminins) mais en plus ces personnages ont le même droit au ridicule, à l’embonpoint et à montrer qu'ils ont dépassé quarante ans que leurs camarades masculins. Bonus : les mauvaises langues pourront continuer à dire que le film est nul mais il m'a fait sursauter et rire jusqu'à la dernière seconde.

(1) Thomas Mathieu, Crocodiles, Le Lombard, 2014 et sur Tumblr.


–Tu veux aller voir un film, on prend du pop-corn ?
–Ouais, je sais pas... J'ai cette règle, tu sais. Je ne vais voir que les films qui satisfont à trois exigences. Un, il faut qu'il y ait au moins deux femmes. Deux, qui parlent ensemble de... Trois, autre chose que d'un homme.
–C'est beaucoup demander mais c'est une bonne idée.
–Sans blague. Le dernier film que j'ai pu voir, c'était Alien... les deux femmes dedans parlent du monstre.
–Tu veux venir chez moi et on fait du pop-corn ?
–...
–Ah, ça c'est parler !

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