« Ensemble, combattons le coronavirus »
Par Aude le dimanche, 9 mai, 2021, 12h06 - Textes - Lien permanent
Évidemment qu'une maladie infectieuse se combat « ensemble » et oblige à penser les politiques de santé non comme l'organisation d'une offre de soins qu'il faudrait mériter (par ses cotisations ou son appartenance nationale) mais comme un bien commun auquel il appartient à chacun·e de prendre soin. Mais « ensemble », vraiment ?
« Ensemble » n'a plus trop de sens au regard de ce qui s'est passé depuis plus d'un an et qui n'est qu'une accélération du rythme de concentration des richesses en France, ce que Romaric Godin appelle la guerre sociale et dont même BFM doit constater qu'elle est depuis dix ans très favorable aux ultra-riches. L'intervention de l'État depuis mars 2020 s'est dirigée vers le soutien aux entreprises à travers le chômage technique et des aides non-conditionnées, simple invitation à les faire ruisseler sur leurs salarié·es (alors même que la « théorie du ruissellement », déjà remise en cause depuis quelques années dans les recherches publiées par le FMI ou la Banque mondiale, vient de se voir finalement désavouée par le président états-unien). Les entreprises du CAC 40 qui ont toutes bénéficié des largesses de l'État (soit de notre argent) non seulement débauchent mais aussi empruntent 51 milliards d'euros pour verser des dividendes à leurs actionnaires (voir ici l'Observatoire des multinationales et là une chronique radio qui explique l'essentiel). Les bénéfices ne sont pas au rendez-vous cette année, c'est en anticipation des prochains gains. Les aides accordées sur notre pognon ne seront pas à rembourser alors que le ministre de l'économie nous a promis que nous rembourserions dans la douleur le plan d'austérité « France Relance », à peine le double des dividendes du CAC 40 et loin de répondre à la hauteur des pertes essuyées comme tente de le faire le plan états-unien (décidément).
Le plan français s'attache plutôt à faire ruisseler sur les entreprises plutôt qu'à soigner les personnes les plus fragilisées par cette crise économique qui s'annonce (personnes dont le ralentissement de la consommation, y compris la partie la plus nécessaire, est susceptible d'affecter l'ensemble de l'économie, qui continuerait sa récession sans pour autant entrer en décroissance et affecter l'industrie du jet privé ou du yacht de luxe, au contraire). Quid des personnes qui ne sont pas ou plus en emploi ? Une réforme de l'assurance chômage plus sévère que jamais, qui va faire passer bien en-dessous du seuil de pauvreté nombre d'allocataires. Quid des personnes qui n'ont plus d'argent pour manger trois fois par jour ? Elles sont 8 millions à se régaler des invendus des industries agricoles et agro-alimentaires, défiscalisés à nos dépens, triés gratuitement par les petites mains des associations (oui, même ce qui ne peut être que jeté est défiscalisé), lesquelles cinq associations charitables se satisfont presque toutes du scandale. « Ensemble » ? Ça ressemble plus à « chacun·e sa gueule ».
Au niveau mondial, les gouvernants européens ne nous payent pas même de promesses, alors que la maladie est un phénomène qui connecte comme jamais les un·es aux autres les habitant·es de cette planète. Qu'un autocrate choisisse de ne pas prendre de mesures sanitaires dignes de ce nom, comme Jair Bolsonaro au Brésil et Narendra Modi en Inde, et c'est le monde entier qui est sous la menace des variants créés par une intense circulation du virus dans les pays en question. Les brevets sur les vaccins empêchent l'Inde, pays doté d'une des plus grandes capacités de fabrication de produits pharmaceutiques, de contribuer à combattre ensemble le virus. Les profits de quelques compagnies passent avant nos besoins… Là encore, le social-libéral Joe Biden, dont on n'attendait pourtant rien, propose de poser quelques limites à la toute-puissance de Big Pharma, après que ses investissements ont déjà largement été payés de retour. Les gouvernements européens, qui n'ont à la bouche que des mots encourageants sur des efforts partagés, continuent à imposer ces efforts principalement à nos petites personnes ni bien rentables et ni bien dangereuses.
Dans ces conditions où « ensemble » ne veut plus rien dire mais où on nous le ressasse dans des spots qui ne sont pas à la hauteur des besoins (criants, hurlants) d'information sur le Covid d'une immense partie de la population qui reste mal informée, les critiques les plus radicales se focalisent sur le port du masque obligatoire (protéger les autres dans les cas où le masque est nécessaire ? que nenni !) et la rebellitude sur le besoin urgent de s'alcooliser ensemble malgré le couvre-feu (1) ou dans les bars qui doivent absolument rouvrir parce que le client est roi. Rien ne va…
Qu'est-ce qu'« ensemble » pourrait signifier ? « Ensemble » pourrait signifier effort partagé, interdépendance, responsabilité et reprise en mains par en-bas d'une politique sanitaire cohérente. Comme le résument des camarades ici : « Quelqu’un·e qui n’aurait "même pas peur" que le virus passe par lui/elle fait courir un risque plus important aux collègues de son/sa colocataire ou aux parents d’élèves de la classe de son enfant (entre autres). Les conditions de vie des un·es mettent certain·es plus en danger que d’autres, en particulier celles et ceux qui n’ont pas le choix d’échapper à la promiscuité : les habitant·es de foyers d’hébergement, les travailleur·ses qui ne peuvent télétravailler, les détenu·es, etc., les rendant plus tributaires du comportement collectif. Notre santé physique, notre santé mentale, celle de nos proches, de nos voisin·es sont interdépendantes. » Ensemble, oui, plus que jamais, mais pas n'importe comment.
NB : À lire sur un sujet proche, cet ouvrage de Kate Pickett et Richard Wilkinson déjà chroniqué ici, Pour vivre heureux, vivons égaux ! Comment l'égalité réduit le stress, préserve la santé mentale et améliore le bien-être de tous, Les Liens qui libèrent, 2020.
(1) Je ne suggère pas ici que le couvre-feu est une mesure sanitaire efficace et intelligente (ce n'est pas le cas) mais qu'en matière de désobéissance civile il est des causes moins nombrilistes.