C’est à ça que servent les féministes !

« Mademoiselle », « nom de jeune fille »… au-delà du caractère symbolique qu’a le renvoi systématique des femmes à leur statut marital, faire jongler les femmes avec plusieurs noms leur porte préjudice en compliquant leurs démarches administratives et en étant source d’erreurs. Rencontre avec l’une des petites mains d’un chantier de refonte des sites administratifs qui permettent d’effectuer des démarches en ligne. Elle est ergonome et développeuse mais également féministe et blogueuse.

En quoi consistait ton travail sur ce chantier ?
J’ai travaillé sur l’ergonomie des démarches administratives dématérialisées avec une vingtaine de personnes. Il s’agissait essentiellement de formulaires web dont les champs devaient être organisés le mieux possible pour faciliter le parcours de l’usager-e. Les commanditaires (divers services administratifs et ministères) expliquent les informations dont ils ont besoin et je conçois l’interface, les écrans et les champs que l’usager-e aura à remplir pour enclencher sa démarche. Dès qu’il y a un champ civilité je mets « monsieur, madame » en toutes lettres. Je ne mets plus « mademoiselle » qui n’a pas de raison d’être : aucune loi en France n’impose pour les femmes non-mariées le terme « mademoiselle », il est même considéré comme discriminant (1). Je n’ai pas eu à argumenter à ce sujet avec tous les interlocuteurs que j’ai eus. C’est sur « nom de famille », « nom de naissance », « nom de jeune fille » que ce n’est pas encore acquis. Je connais assez bien le sujet pour m’y être intéressée à titre personnel.

Tu peux rappeler la règle ? Qu’est-ce que le nom de famille ?
On n’a qu’un seul nom, à vie, dont on n’a pas le droit de changer, c’est celui qu’on reçoit à la naissance. L’idée reçue selon laquelle la femme change de nom quand elle se marie n’a jamais été vraie. Elle adopte un nom d’usage qui est celui de son époux, s’il est d’accord et si elle le veut. Mais son nom reste celui qui est reçu à la naissance. Ce serait plus pertinent de l’appeler « nom de naissance », les gens comprendraient mieux. Autrefois on l’appelait « nom patronymique ». C’est une appellation qui a changé parce que ce n’est pas forcément le nom du père dont on hérite. Maintenant il s’appelle « nom de famille », ce qui prête à confusion : une femme mariée qui a pris de manière traditionnelle le nom de son époux peut penser que le nom de famille, c’est celui de son époux, et que le nom d’usage est un pseudonyme ou un nom d’artiste.

Le nom d’usage, c’est n’importe quel nom qu’on adopte au cours de sa vie ?
Le nom d’usage peut être celui d’une personne existante, un conjoint, un parent ou quelqu’un d’autre. Dans ce cas, il faut demander l’autorisation à cette personne. Avec le mariage on sait que c’est l’habitude mais il devrait y avoir un formulaire à remplir où le mari autorise à prendre son nom. Les habitudes ont une telle force qu’elles en sont venues à déformer les formulaires administratifs. J’ai encore vu il n’y a pas très longtemps « nom de jeune fille » dans un formulaire Cerfa très officiel. Je suis restée bloquée devant ! Les champs « nom de jeune fille » ou « nom d’épouse » n’ont aucune raison d’être. Ce n’est rien de nouveau, ils n’ont jamais eu aucune valeur en droit français.

Parfois on me demandait : « mais pourquoi il n’y a pas le nom de jeune fille ? » et il fallait argumenter, refaire l’explication. J’étais confrontée à de l’étonnement. Je donnais l’argument, je rappelais l’article de loi, au besoin j’allais le chercher sur Internet pour le montrer mais sans trop de difficulté. Les gens de l’administration sont pleins de bonne volonté, ils sont là pour appliquer la loi. Ça s’est fait sans trop de résistance. L’inertie est calquée sur l’usage et peut-être aussi sur les modes de fonctionnement : les formulaires ne sont pas forcément faits en interne mais confiés à des prestataires qui répondent à des appels d’offre et qui eux-mêmes ne sont pas très informés. C’est un coup de bol que j’aie eu sur ce sujet la vigilance nécessaire et que j’aie tenu aux bons intitulés. Peut-être que dans le lot de mes interlocuteurs l’un d’eux l’aurait relevé mais peut-être pas. Je n’étais pas la seule, les partenaires administratifs confirmaient que j’avais raison, ils étaient informés et faisaient attention… plus souvent les femmes, d’ailleurs.

Les féministes notent également que F précède H dans l’alphabet mais qu’on présente toujours H en premier.
Ça fait grincer des dents mais ce n’est que symbolique… Je ne sais plus dans quel ordre j’ai mis la civilité : « madame, monsieur » ou « monsieur, madame ». Mais je ne vais pas me battre : quelque soit l’ordre dans lequel c’est affiché sur l’écran, ça ne fausse pas la récolte de données. L’existence de la case « mademoiselle » impactait la vie des personnes défavorablement et de façon sexiste. Par exemple, quand une personne coche « mademoiselle », le système informatique décrète derrière qu’elle n’est pas mariée et ne tient pas compte de son nom d’usage. Elle ne va pas être enregistrée sur le nom sous lequel elle est réellement appelée, ça complique ses démarches. Dans mon travail d’ergonome je dois gommer ce qui va poser des difficultés dans l’usage du formulaire.

« Nom de famille » reste néanmoins propice à la confusion...
On a été obligé d'ajouter des bulles d’aide pour aider à remplir les champs. Les formulations ne sont toujours pas satisfaisantes. Mais elles sont légales. Malheureusement je ne peux pas faire grand-chose, je ne peux pas changer les intitulés. Légalement je vais mettre « nom de famille » mais ergonomiquement j’aurais plutôt recommandé « nom de naissance ». Personne ne se trompe sur son nom de naissance, on sait quel nom on a reçu à la naissance !

La langue française est très genrée mais on avait peu de phrases à accorder au féminin ou au masculin. On arrivait à les tourner autrement, par exemple en demandant la date de naissance plutôt qu’en ouvrant un champ « né(e) le ». Rédiger de façon non sexiste est une habitude pour moi. Si on arrive à faire changer les choses, c’est parce qu’on a travaillé depuis des années dessus, argumenté, publié, manifesté. C’est à ça que servent les militantes féministes !

Mais on peut difficilement prendre l’initiative de ne pas faire selon la loi. Maintenant il faudrait lancer le débat dans l’espace public. Même si ça risque d’être virulent, comme je le vois sur les blogs chaque fois qu’il est question de langue française. Je peux comprendre que les femmes qui ont des emmerdes dans leurs démarches administratives à cause de l’existence de « mademoiselle » se fâchent. Mais des hommes qui se plaignent aussi violemment que la tradition n’est pas respectée ? Je n’ai pas réussi à comprendre leurs arguments.

D’autres causes en vue ?
Mes interlocuteurs étaient précautionneux de ne pas demander trop de données aux personnes. C’est un travers que je vois souvent chez mes clients habituels qui profitent du moindre formulaire en ligne pour récolter plein d’informations sur les gens. Là, sur chaque champ on se demandait si on avait vraiment besoin de telle donnée, si ça faisait partie des informations utiles pour réaliser la démarche. Quand c’était non, la civilité pour une création d’association par exemple, on retirait le champ. Dans d’autres situations, on a besoin de vérifier l’état civil parce que c'est nécessaire à la démarche. Ça tient aussi au respect de la vie privée. J’ai été positivement surprise par la sensibilité des services à cette question, y compris la préfecture de police. C’était rassurant. Les discussions ne sont pas allées jusque là mais j’ai quand même essayé de supprimer le « monsieur, madame ». La civilité, ça permet surtout d’envoyer des courriers bien formulés. C’est le sexe qui fait partie de l’état civil. Les deux sont indépendants et il y a eu un seul cas dans tous les formulaires sur lesquels j’ai travaillé dans lequel le sexe a été nécessaire, pour une démarche qui anticipe des soins médicaux. La plupart du temps on n’en a pas besoin. J’ai donc aussi râlé quand on demandait le sexe ou la civilité des personnes. Je serais pour la disparition de cette notion dans l’état civil.

(1) « L’existence des deux termes différents pour désigner les femmes mariées et celles qui ne le sont pas constitue une discrimination à l’égard des femmes. » Réponse ministérielle n°5128 du 3 mars 1983, « Femmes : modification d’état civil » de « madame le ministre délégué auprès du Premier ministre chargé des droits de la femme ».

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