En Malaisie, réapprendre à cultiver naturellement

Confrontée à l’abondance de ressources d’une agriculture prospère, la Malaisie connaît désormais les maladies de civilisation que sont l’obésité, le diabète et les maladies cardio-vasculaires. Boissons sucrées et viande bon marché ont complété une cuisine dont les deux plats emblématiques sont le nasi goreng, ou riz frit, et le nasi lemak, ou riz gras, le plat du matin, un délicieux riz cuit dans de la noix de coco et des feuilles de pandan, servi avec des anchois, des cacahuètes, des concombres et de la sauce épicée (sambal). Et désormais avec une cuisse de poulet par-dessus, pour faire bonne mesure. La vie quotidienne y est plutôt sédentaire : les rues sont trop chaudes pour y faire de longues marches ou du vélo, alors les membres de la classe moyenne s’inscrivent à des salles de gym qu’ils fréquentent après leurs heures de travail. Et les ChinoisES de Penang découvrent le vélo, si ce n’est à titre de moyen de transport, au moins à titre de sport, tôt le matin ou en soirée. Malgré ces quelques tendances, on considère qu’il y a 10 % de diabétiques de type 2 en Malaisie, soit deux fois plus qu’il y a cinq ans, qui ont développé leur maladie en raison d’une mauvaise hygiène de vie. Et les images du Premier ministre Najib Razak à vélo pendant une demi-heure ce printemps ou les injonctions des gouvernants à arrêter le nasi lemak n’y changent pas grand-chose.

Atelier d'agroécologie dans les locaux de CAP.

On peut juger plus prometteuses des initiatives comme celle de Consumers Association de Pengang, qui tente de faire retrouver aux MalaisienNEs une vraie culture culinaire, en rupture avec la malbouffe industrielle et en lien avec des pratiques agricoles soutenables et accessibles. L’association, en plus de son engagement sur des fronts écologistes (comme celui de Bukit Merah contre l’usine Asian Rare Earth), mène donc de nombreuses campagnes d’information contre les boissons sucrées, pour l’usage du vélo en ville et des ateliers d’agroécologie qui essaiment dans toute l’Asie. Penang n’est qu’une étape, puisque les pratiques dont rendent compte Subbarow, Saraswathi et leur petite équipe viennent d’Inde, pays dont ils sont originaires comme nombre de MalaisienNEs. Ces pratiques consistent en recettes d’engrais et de pesticides naturels. Pas de pesticides, en fait, puisque les recettes naturelles doivent éloigner les pestes, pas forcément les tuer. Subba tente de faire passer dans ses ateliers le respect de la vie à des groupes qui ne sont pas végétariens mais opinent sans conviction. L’heure suivante sera consacrée à une drôle de cuisine. Têtes de poisson et sucre de canne pour le fer, œuf et citron pour le calcium, les recettes ont parfois l’air comestible, jusqu’à ce qu’on y ajoute de la bouse ou de l’urine de vache, qui sont deux ingrédients magiques dans les recettes indiennes. Les vers jouent aussi leur rôle dans l’affaire, avec un grand vermicompost à la bouse et un autre aux tiges de bananier.


Compostage de tiges de bananiers.

C’est le même qu’au Sarawak, dans le jardin pilote de l’association des résidentEs de Uma Bawang emmenée par Jok (les deux déjà présentés dans cette série de reportages). Sylvia, après avoir été formée par le groupe de Penang, y forme désormais des Kayan et des Iban de Bornéo aux pratiques agroécologiques. Et le mot se répand, dans les écoles, les universités, les villages. Et même les fermes. Le public est large, à convaincre des bénéfices des mains dans la terre ou de l’intérêt de ne plus recourir aux pesticides et engrais du marché. Trop chers et trop violents. Mais quand les autorités subventionnent l’achat de ces intrants, il est plus difficile de refuser. Scolaires, femmes au foyer et agriculteurs participent aux ateliers, jusqu’à des journalistes khmerEs intéresséEs par le projet et qui viennent apprendre à faire de la pancakavya, un engrais au nom indien. Dans un pays fier de sa prospérité, qui passe notamment par la monoculture et des usines de production animale, CAP porte une voix qui n’est pas forcément très audible… mais l’explosion des coûts de santé est en train de changer la donne. La Malaisie doit retrouver une culture alimentaire soutenable. Et on ne s’alimente jamais mieux que quand on mange de manière plus écologique, en lien avec son environnement. C’est tout l’espoir de Subba et de Sylvia, d’arriver à y changer quelque chose.

Long In dans son jardin sans pesticides à Marudi, Sarawak. Elle tient ses engrais naturels de Jok et de l’Uma Bawang Resident Association. 


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