Voyage à la source des écologistes de Java
Par Aude le dimanche, 22 janvier, 2017, 17h48 - Malaisie et Indonésie - Lien permanent
Reportage paru dans le numéro 116 de L’Âge de faire en février 2017.
C’est dans un pick-up que nous quittons Wringinanom, où se trouvent les locaux
de l’association écologiste Ecoton, pour rejoindre les hautes terres de
Wonosalam, à l’Est de Java, en Indonésie. À moitié biologiste de terrain et à
moitié organisateur communautaire, Amir est au volant. C’est lui qui coordonne
depuis 2010 un programme de réhabilitation de la forêt mené avec les
habitant·es du
district. Il a vécu sur place pendant deux ans lors de la mise en place du
programme et aujourd’hui il est accompagné par Riska, biologiste elle aussi,
par Afrianto, un bénévole de l’association, et par Heri, dont les photos
illustrent ce reportage. Tout le monde a hâte de rejoindre la fraîcheur des
hautes terres. Pour les biologistes, il s’agit
d’améliorer la qualité des eaux des cinq rivières qui dévalent de ces
montagnes. Les habitant·es, pour leur part, cherchent des activités durables pour
faire vivre leur district.
Depuis 2010, grâce notamment à des financements extérieurs à la communauté villageoise, les opérations de plantation d'arbres vont bon train, principalement d'essences fruitières dont les récoltes pourront augmenter le revenu des villageois-es. Wagisan, un homme d'une cinquantaine d'années, s'occupe d'une pépinière. Sous serre comme autour de sa maison, des centaines de pousses grandissent dans des pots avant de pouvoir être replantés : caféiers, girofliers, durians, mangoustans, noyers des Moluques, bananiers, ce sont des arbres et des palmiers de diverses essences qui mettront cinq à quinze ans pour pousser dans cet écosystème tropical. Pour mener ce projet de réhabilitation, les écolièr-es de la madrasah Faser, une école privée qu'il dirige, reçoivent l'aide d'une école catholique en aval de la rivière dont les élèves viennent participer à des chantiers. Ce matin, une sortie est organisée avec les élèves aux « sept fontaines », mBeji, dans le village de Panglungan. Aujourd'hui « laboratoire de la forêt », c'est aussi un lieu sacré depuis les temps où l'on pratiquait à Java un culte hindou-bouddhiste. Les habitant-es musulman-es continuent à laisser des offrandes dans une clairière au milieu de 8,5 hectares de forêt préservée. Une écolière explique : « On vient ici parfois pour remercier Dieu. Ce sont probablement les singes qui mangent nos offrandes ! » Perhutani n'a pas osé déforester mBeji et les élèves identifient dans ce lieu préservé 38 essences d'arbres dont se nourrit la faune locale.
Beaucoup d'enfants et d'adolescent-es participent aux efforts de la communauté pour réhabiliter l'écosystème du district. Ils et elles sont nombreuses à s'être engagées comme « détective des eaux », detektiv air en indonésien. Le lendemain, un samedi matin, nous les attendons au fond d'une vallée, dans la cabane construite par les bénévoles d'Ecoton. Les nuits y sont fraîches et un petit feu fume pour réchauffer ceux et celles qui ont campé sur place. Quatre élèves d'un lycée professionnel viennent pour une séance de biomonitoring (observation et recueil de données) avec Riska. Il s'agit de prélever des échantillons dans la rivière et d'inventorier les espèces d'insectes que l'on y trouve. Après des prélèvements dans un ruisseau très agité, les adolescent-es mettent les insectes dans des bacs à glaçons et tentent d'identifier chaque espèce. L'exercice n'est pas facile et propice aux erreurs. Malgré le livret qui montre un spécimen de chaque espèce, certains insectes se ressemblent trop pour pouvoir être identifiés sans l'aide de Riska. L'identification de l'insecte offre alors une information puisque dans le livret chaque espèce est associée à un environnement. Certaines espèces apprécient une eau polluée, d'autres ne vivent que dans des eaux pures. Capturer des espèces très sensibles permet alors de constater à moindres frais que la qualité de l'eau est bonne. C'est la méthode d'Ecoton pour à la fois intéresser les plus jeunes à l'état de l'environnement et produire des connaissances à moindre coût, un facteur important dans un pays pauvre comme l'Indonésie. « Avant, explique Amir, les gens trouvaient la biologie compliquée, pas pour eux. Ici on arrive à produire avec des jeunes des observations très satisfaisantes. »
Amir se souvient de sa rencontre avec les habitant-es : « C'est nous qui sommes venus les voir parce que nous souhaitions travailler à la préservation de la rivière jusqu'en amont. » Ils ont alors cherché ensemble des manières de se passer des redevances de Perhutani et de valoriser un environnement géré de manière durable. Outre les productions agricoles, leur objectif est de faire venir des visiteurs pour un tourisme orienté vers la nature. Amir rappelle que l'un des premiers visiteurs occidentaux de passage à Wonosalam n'était autre qu'Alfred Russell Wallace, le naturaliste anglais auteur au milieu en 1869 de L'Archipel malais, une somme sur la faune et la flore de ce qui est maintenant l'Indonésie et la Malaisie. Au regard des merveilles que décrivait Wallace, le milieu naturel du district apparaît aujourd'hui fortement dégradé mais Amir compte bien intéresser les amateurs d'oiseaux grâce à la présence du calao rhinocéros, un oiseau majestueux très présent à Bornéo mais rare à Java. Les villageois-es ont construit un poste d'observation qui donne sur la montagne Arjuna et son piémont. Il est inauguré sans cérémonie lors d'une après-midi passée à scruter le paysage. Jumelles et téléobjectifs passent de main en main, deux militants écologistes nous ont rejoints. Au bout de quelques heures, un calao se montre enfin, de l'autre côté de la vallée. Une expédition le lendemain matin permet de l'identifier, il est d'une autre espèce moins emblématique et plus commune. Amir explique l'enjeu : « Si nous arrivons à montrer que Wonosalam est l'habitat du calao rhinocéros, nous aurons un argument de poids pour faire reconnaître l'intérêt écologique du district. » Les habitant-es et Ecoton ont déjà fait imprimer des t-shirts qui promeuvent le calao local. Quelques semaines plus tard, Amir annonce la nouvelle : il a réuni assez de preuves de la présence du calao rhinocéros à Wonosalam pour le faire officiellement répertorier. Le conflit avec Perhutani n'est pas réglé pour autant, la compagnie réclame toujours des droits sur les terres. Mais si celles-ci acquièrent le statut de réserve naturelle, les efforts des villageois-es seront couronnés de succès et leur forêt pourra retrouver sa splendeur.