Les mérites de l'exemplarité
Par Aude le dimanche, 30 mai, 2021, 10h09 - Textes - Lien permanent
Faites ce que je dis, mais pas ce que je fais… Alors que la situation sanitaire qui s’impose à nous depuis plus d’un an requiert des changements de comportement importants et que changer est difficile (même quand les efforts demandés sont moindres, c’est en soi un effort que d’acquérir de nouvelles habitudes), les personnes qui prétendent la gérer nous imposent le spectacle de leur incapacité à adopter elles-mêmes les comportements auxquels elles nous contraignent avec plus d’autoritarisme que jamais.
À la radio les spots se suivent et se ressemblent qui nous répètent niaisement de porter le masque en toute circonstance (1). Mais Jean Castex, le héros du déconfinement, celui-là qui a réussi à nous faire perdre en quatre mois tout le bénéfice de deux mois d’une épreuve extrêmement douloureuse pour beaucoup d’entre nous, s’affiche parlant au micro du train de nuit avec un masque qui pendouille à son oreille gauche. Quel message nous envoie-t-il ? La radio publique diffuse les vidéos de ses émissions et chacun·e peut constater que les intervenant·es sont tou·tes masqué·es au micro et que malgré ça on les entend très bien. Les enseignant·es non plus ne se prévalent pas de leur nécessité de parler pour l’enlever, et dans tant d’autres professions on travaille toute la journée masqué·e quand bien même on devrait parler. Une amie libraire me raconte le mal qu’elle a eu à faire comprendre aux client·es tenté·es d’enlever le masque pour lui poser une question qu’il est d’autant plus nécessaire à ce moment-là et qu’elle les entend très bien avec. En mai 2021, me dit-elle, ce ne sont plus que les personnes très âgées, celles qui ne sortent plus beaucoup de chez elles, qui ont encore ce réflexe.
Mais c’est pourtant ce geste que des internautes ont noté chez Emmanuel Macron, 43 ans, au moment de commander son premier café en terrasse de l’année. Celui-ci a pourtant la responsabilité de promouvoir les gestes barrière et s’est mis complaisamment en scène dans une com plus politique que sanitairement correcte (on se lave les mains avec de l'eau et du savon, à proprement parler). Alors oui, au niveau macro, le fait que Jean Castex ou Emmanuel Macron enlève son masque pour parler pendant 10 ou 30" ne change rien au R0 observé en France… mais c’est peu de dire que ça brouille la communication des autorités.
J’en profite pour signaler que c’est la même chose quand le chef de l’État mime maladroitement une masculinité hétérosexuelle et grossière en s’asseyant les jambes ouvertes à 150°, coupant de fait le passage des autres client·es et des serveurs. Combien d’efforts faits par les autorités de transports en commun pour enjoindre les voyageurs à ne pas se comporter aussi mal l’ont été en pure perte quand le président lui-même, qui est prescripteur, se met en scène souffrant du syndrome dit « de la couille de cristal », cette incapacité culturelle à ne pas s’étaler sur les autres voyageurs ni les empêcher de passer confortablement dans l’allée ? Voilà une testicule bien aérée mais à un prix élevé pour la collectivité.
Au-delà de ces gestes du quotidien, ceux qui nous gouvernent s’affranchissent aussi très délibérément des règles communes. Gérald Darmanin, le supposé trafiquant d’influences et violeur, a ainsi célébré son mariage fin août 2020 dans la plus stricte intimité de sa famille, ses amis et ses collègues du gouvernement alors que la deuxième vague s’annonçait et que les autorités comptaient sur le civisme de tout un·e chacun·e pour ne pas tenir ce type de rassemblement privé, non recommandé. Emmanuel Macron, malade du Covid qui s’ignorait et au pic de sa contamination, a lui aussi réuni en plein confinement neuf autres personnes lors de ce qui nous a été présenté comme une réunion de travail au sommet de l’État alors qu’il s’agissait bien d’un dîner de quatre heures au sommet de La République en marche, soit un parti politique où ces messieurs sont bénévoles (il ne s’agit ni de mission publique ni d’activité économique, ni non plus d'une réunion dûment masquée à côté de laquelle on se restaure dans un temps limité comme nous autres étions invité·es à faire). Ces actes d’incivisme n’ont rien coûté à leurs auteurs.
De l’autre côté de l’océan, en Californie, le gouverneur Gavin Newson a perdu vingt points de popularité et fait l’objet d’une procédure de recall (les électeurs et électrices auront la possibilité de couper court à son mandat lors d’un vote) notamment car il a dîné avec douze personnes, quelques jours avant l’annonce d’un confinement, dans un restaurant… français, ironiquement. Cet incivisme accepté est un trait culturel qui ne fait pas honneur à notre pays. Pour le coup, il ne s’agit plus simplement de brouiller la communication sanitaire mais de saboter tous les efforts de mobilisation. En s’accordant des passe-droits aux règles sanitaires, ceux qui prétendent nous gouverner ne font pas que normaliser leur non-respect aux yeux de chacun·e, ils rendent en outre désirable le fait de les outrepasser. Car la course à la distinction est féroce et si ne pas respecter des procédures de réduction des risques est perçu comme un privilège, alors ce non-respect gagne en prestige (quand bien même dans un monde idéal il devrait signaler un incivisme et une bêtise crasseuses) et devient une manière d’affirmer un statut social élevé… ou dont on aimerait qu’il le fût. C’est ce qui peut arriver de pire à la mobilisation générale pour la sauvegarde d’un bien commun, faire des entorses un signe extérieur de prestige.
C’est ainsi, donc, qu’Emmanuel Macron se dispense de quarantaine au retour d’un voyage sud-africain (je conseille pour ma part d’aller en Inde en ce moment, tant qu’on y est) au motif qu’il aurait déjà été malade du Covid et donc peu susceptible de transporter un variant qui inquiète les autorités sanitaires. D'une part l'immunité de Macron, malade il y a presque six mois, commence à être scientifiquement douteuse… Rappelons d'autre part les raisons pour lesquelles aucun passe-droit n’est accordé aux personnes déjà infectées. Leur risque de réinfection est très faible mais la durée de leur immunité mal connue et surtout nous avons besoin de mobiliser tout le monde pour ne pas signaler une baisse de vigilance (si les personnes déjà infectées dans les six derniers mois pouvaient prendre le métro sans masque, nul doute que celles qui sont idiotes ou manquent de civisme en profiteraient pour s’accorder la même souplesse) mais aussi parce qu’un effort doit être partagé. Ici on retrouve un autre trait français, le désir d’égalité. C’est lui qui nous poussera à niveler vers le haut ou vers le bas l’adaptation de nos comportements au contexte sanitaire. Ceux qui prétendent nous gouverner stimuleront-ils ce désir-là, très fort et qui nous a fait supporter le premier confinement, ou continueront-ils à promouvoir les gestes barrière et les mesures sanitaires (l'amputation de sa vie sociale et affective) comme un truc à imbécile qui n’a pas la possibilité d’y échapper ?
Si je suggère à ces connards l’exemplarité, c’est que je la pratique et que je l’observe autour de moi. Une amie cadre supérieure et qui bénéficie à ce titre d’un bureau y porte le masque par solidarité pour ses subordonné·es qui sont contraint·es de le porter dans leur open space. Par solidarité et par exemplarité car comment demander aux autres un effort dont soi-même on s’affranchit ? Comme on dit dans Spiderman, un grand pouvoir entraîne de grandes responsabilités vis-à-vis des autres. Lors de ma seule rencontre d’autrice en présence physique depuis le début de la crise sanitaire, on m’a proposé de parler sans masque. Ça a du sens, en matière de réduction des risques, puisqu’on réduisait ainsi de trente à une le nombre de personnes susceptibles de partager leur virus. Et parler pendant une heure et demie avec un masque n’est pas spécialement agréable, au bout d’un moment ça ne sent plus très bon. Mais j’aurais trouvé sale de m’accorder un tel privilège dans un lieu animé par des personnes qui cultivent la solidarité et l’équité. Ces derniers jours j’ai également porté le masque chaque fois que j’étais en intérieur lors d’une rencontre de trente-cinq personnes qui se tenait dans le plus grand irrespect des règles sanitaires de base, au mépris des conditions strictes exigées par la fondation qui nous accueillait gracieusement. Ce groupe d’écologistes, très occupé·es à parler de soin et de qualité relationnelle, refusait de poser des règles de port du masque et j’étais la seule à penser à ouvrir les fenêtres (à 20° dehors et pour seule nuisance sonore le chant des oiseaux, cette mesure ne coûtait strictement rien). Une petite dizaine d'entre nous portaient le masque au début de la rencontre, à la fin nous n’étions plus que quatre. Cela n’avait plus de sens sur le plan sanitaire, et je n’avais d’emblée aucune raison de le porter puisque j’ai déjà été infectée il y a moins de trois mois. Mais nous avons tenu bon. Puisque porter le masque dans les lieux confinés permet de réduire le risque de transmission, en portant le masque nous avons rappelé notre position éminemment politique et écologiste (on en reparlera) de prendre sur soi une contrainte au fond assez légère qui permet de ne pas risquer de faire du mal à autrui (de quelques jours d’inconfort à quelques semaines au lit, sans compter les morts et les Covid longs) et au niveau plus macro de ne pas contribuer à la diffusion d’un sale virus sur cette petite planète dont les sociétés sont si fragiles et ont bien besoin de ces valeurs.
Il y a des gens comme ça, et il y a des gens qui se goinfrent du pouvoir plus ou moins grand qu’ils ont de cracher à la gueule des autres et de les mettre en danger plus ou moins directement. La politique n’est pas affaire que de morale mais enfin, ça aide.
(1) Le masque n’est pas utile en toute circonstance et il me semble plus efficace d’expliquer pourquoi et donc dans quelles situations il est utile mais son port obligatoire est une mesure pas chère, qui ne coûte que notre peine. Il faudra attendre encore un peu pour voir l’intelligence au pouvoir.