La « démocratie participative » au chevet des partis ?

La vie politique, dans les régimes représentatifs libéraux, est traditionnellement structurée autour des partis (et autres corps intermédiaires comme les syndicats). Traditionnellement mais pas de tous temps puisque avant 1848 les corps intermédiaires étaient interdits, accusés de briser le bel unanimisme du peuple. Quand les associations, les syndicats et les partis sont autorisés en 1848, cette disposition est l'occasion pour des classes qui jusqu'ici avaient été tenues à l'écart de la vie publique, et pas seulement par le suffrage censitaire, d'y participer pleinement. Avant 1848, être élu supposait d'avoir les moyens de mener campagne sur des ressources individuelles. Après 1848, non seulement tout le peuple est invité à voter (tout le peuple ? à l'exception des femmes, soit de sa moitié) mais en plus il gagne le droit de s'auto-organiser dans des structures qui lui permettent de mettre en commun des moyens pour peser dans le débat public – et plus concrètement de s'organiser dans son bras de fer avec ses employeurs. En théorie, les corps intermédiaires portent une dimension démocratique du gouvernement représentatif (lequel est, en théorie aussi, faiblement démocratique).


Dans la pratique, c'est une autre affaire… Dans la pratique, ni le suffrage censitaire ni l'existence de partis populaires ou socialistes n'ont permis de faire accéder au pouvoir des gouvernements qui portaient prioritairement les intérêts des classes populaires, pourtant majoritaires (si vous vous demandez pourquoi, j'ai tenté une réponse ici-même). Dans la pratique, les partis politiques ne sont tenus par aucune obligation légale à être eux-mêmes démocratiques (étonnant, quand on y pense). Dans la pratique, les partis sont des lieux de reproduction de la domination des classes aisées sur les classes populaires (les politistes Lefebvre et Sawicki ont montré comment, dans une fédération départementale du PS, les pauvres faisaient les sandwiches et le café pendant que les classes moyennes et supérieures faisaient de la politique). Dans la pratique, ces institutions collectives que sont les partis sont parfois gérées comme des entreprises familiales (comme le FN) ou des entreprises de promotion d'un grand personnage (RPF puis UNR puis UDR... le nom a souvent changé mais le parti a toujours été au service de De Gaulle). Il serait déplacé de parler d'Emmanuel Macron comme du leader de La République en marche (LREM). Il n'anime pas ce parti comme un simple dirigeant, disons plutôt qu'il en est l'âme. Car il a personnalisé et instrumentalisé comme jamais un parti politique, lequel porte ses initiales et fait office de marionnette dans ses mains. Le « coup d'État démocratique » d'un parti sorti de nulle part, atteignant 28 % des suffrages au premier tour et remportant la majorité absolue des sièges au second, s'est doublée d'une mise à pied bien peu libérale du pouvoir législatif, aux ordres de l'exécutif.

Mais voilà, il suffit d'une crise sanitaire et économique d'ampleur pour que les membres de ce parti qui n'en est pas un se réveillent. Après avoir voté comme un seul homme depuis 2017 les mesures néolibérales, autoritaires et liberticides du gouvernement d'Édouard Philippe, après avoir voté à l'unanimité un « état d'urgence sanitaire » qui mêle des dispositions sanitaires adaptées et une régression sociale jamais vue et étrangement alignée avec les politiques macroniennes d'avant le coronavirus, quelques-un·es des godillots de LREM se découvrent une conscience et prennent langue avec leur opposition, ces sénateurs écologistes et socialistes qui ont eu la décence de s'abstenir de voter l'état d'urgence sanitaire, arguant qu'il y a dans le texte « trop d'habilitations, de chèques en blanc, voire en bois » ou que le texte prévoit « pas de moyens pour les hôpitaux, des dérogations nombreuses au droit du travail, un Parlement qui semble mis sur la touche ».

La carpe et le lapin, la carpe qui a béni chacune des abjections macroniennes et le lapin qui les a documentées et refusées, se rejoignent donc pour nous proposer d'imaginer ensemble la France d'après, une France qui prend au sérieux la possibilité d'un effondrement écologique, démocratique et social, ainsi que la nécessité de mettre l'économie au service d'autre chose que l'économie. Sur le fond, je m'en tiendrai à relayer la fine critique émise ici (premier commentaire du fil) et qui note « un sacré biais sur la vision du jour d’après de ces députés ». L'initiative a par ailleurs repris le nom d'une pétition menée par la société civile réformiste écologiste et féministe, ce qui contribue au brouillage. Sur la forme… La « démocratie participative » a souvent été appelée à donner un supplément d'âme à une représentation en perte de légitimité, « démocratie participative » contre démocratie directe. Non seulement il appartient toujours aux élus de disposer des conclusions de ces débats mais encore ce sont principalement des classes dotées de capital social qui s'en emparent, cela biaisant fortement le caractère démocratique de la consultation.

Nous voilà donc, comme au temps des Gilets jaunes et du « Grand Débat » (dont les conclusions sont à la poubelle et on ne sait même pas dans laquelle), invité·es à valider par nos contributions l'initiative de quelques dizaines de girouettes (1) qui nous ont tranquillement marché sur la gueule avec la machine LREM pendant presque trois ans. Je n'avais encore jamais vu la « démocratie participative » convoquée pour ce genre de tâche mais des historien·nes de la politique politicienne pourraient peut-être nous retrouver des précédents. Alors c'est une bonne nouvelle, que La République d'Emmanuel Macron devienne un vrai parti politique, avec des tendances et des projeeeeets différents qui entrent en débat… mais que ses membres ne viennent pas nous demander de les appuyer dans leur boulot de politicien·nes, ne sollicitant directement le peuple que quand il peut lui être utile.

(1) Matthieu Orphelin, ex-LREM, Barbara Pompili ex-EELV, Aurélien Taché qui répond aux invitations de Marion Maréchal-Le Pen pour unir la droite… en mélange avec quelques sénateurs et sénatrices EELV, pas les plus perspicaces. Que du beau monde !

Commentaires

1. Le vendredi, 17 avril, 2020, 23h13 par cta

merci pour ce billet et les liens. Perso, je suis une traumatisée de '83, et après ça, qui peut encore s'étonner de ce que font nos chers hommes politiques ? ils sentent le vent tourner et préparent leurs arrières, quoi de plus normal ?
en tout cas, bravo pour l'imitation de Pasqua, je l'ai reconnu tout de suite. et en parlant de voix, j'avoue que je n'ai jamais su différencier Sarkozy et Hollande à la radio. y avait-il un sens caché ?

2. Le samedi, 18 avril, 2020, 10h23 par Aude

Merci ! Pour l'imitation de Pasqua, le secret c'est d'avoir déjà un vrai accent du Sud !

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