Crowdfunding à la française
Par Aude le mardi, 13 octobre, 2015, 14h32 - Annonces - Lien permanent
Lors d’un séjour aux États-Unis à Portland, Oregon, j’ai eu le plaisir de donner un coup de main régulier dans un cinéma associatif. Tous les samedis on pouvait me trouver derrière la caisse à jongler entre le logiciel d’édition des billets et les coupures de dix dollars, quand je ne partais pas passer le balai dans les salles. Pendant mon séjour, et deux ans après avoir financé ainsi de nouveaux sièges, le cinéma a lancé une opération de crowdfunding sur Kickstarter pour rénover sa marquee. Voici le cinéma avant, quand j’y balayais le pop corn, et après, suite au succès de la levée de fonds populaires (sachant que le cinéma a aussi des mécènes corporate, dont Nike qui est basée à deux pas). Pas mal…
Photos : moi-même (gauche) et Hollywood Theater (droite).
En rentrant j’ai découvert le crowdfunding à la française : pas de traduction (« levée de fonds populaire » ?) mais un plaquage hors sol d’une notion mal importée. Mélangez du storytelling avec du community management, ouvrez un compte chez un acteur corporate et hop, levez les sous. Tiens, pourquoi vous ne feriez pas de crowdfunding, à L’An 02, la revue écolo qui peine à trouver de nouveaux abonnés ? Déjà, on n’a pas une histoire à vendre mais un objet déjà produit, à savoir sept numéros d’une belle revue de 60 pages en couleurs pour mettre en valeur le boulot d’iconographie fait par Hazel et Mikaël avec des artistes qui ont plein de choses à dire (et ça, contrairement aux articles, ça ne sera jamais mis en ligne). Ensuite le community management nous botte un peu moins que l’animation d’une communauté de lecteurs et lectrices. On se rencontre sur Seenthis, un réseau social à taille humaine avec lequel on partage des valeurs, mais aussi de visu quand on tient des stands à la braderie de Lille ou dans un Alternatiba. Et on prend la peine de répondre au courrier. On a cédé un temps au compte Paypal, malgré tout le mépris qu’on peut avoir pour le fondateur de cette boîte, mais depuis que nos lecteurs et lectrices ont délaissé ce moyen de paiement et se sont plaint-e-s de ne pas pouvoir régler sans ouvrir un compte, on a fermé le nôtre. Ils et elles mettent les 60 centimes que Paypal aurait pris sur la transaction dans l’achat d’un timbre et on reçoit des petits mots très agréables dans des enveloppes parfois décorées et bidouillées (voir la 4e de couv’ du n°2, dans laquelle on donnait tout ça à voir). Paypal, c’est fini et on ne va pas travailler avec une autre boîte qui se sucrera au passage : on paye déjà une banque.
Tout ça pour dire que si le crowdfunding à la française est une monoforme propre à lever du pognon par des communicants qui maitrisent les codes pour buzzer sur le net et n’ont pas de souci avec l’emprise des géants de l’Internet sur ce dont on aimerait faire un bien commun, L’An 02 ne peut pas jouer le jeu. Si en revanche le crowdfunding c’est la levée de fonds dans les poches de gens qui en ont marre que les aides à la presse concernent des magazines dont l’intérêt collectif est aussi avéré que Voici, qui en ont marre de n’entendre que la voix du pouvoir et de ses larbins quand il est question d’écologie (« fermez le robinet, signez la pétition, inscrivez-vous dans une Amap et le tour est joué »), qui ont envie de lire autre chose mais sous une forme qui fasse plaisir aux yeux, là on peut parler...
Le crowdfunding est né aux États-Unis dans une société basée sur les communautés et méfiante envers l’État. Une société aux accents libertariens (la violence sociale y est peu régulée) mais, et c’est son bon côté, où l’auto-organisation populaire a plus de sens que chez nous. C’est dans ce cadre que la circulation d’argent privé s’organise pour entretenir des biens communs. Plutôt que de plaquer cette pratique sur une société individualiste et étatiste comme la nôtre, tentons de traduire l’idée que nous pouvons un peu en faisant circuler de l’argent dans une économie en adéquation avec nos valeurs. Que dix euros ne valent pas grand-chose à la Fnac mais qu’ils représentent beaucoup pour un micro-projet éditorial, politique ou artistique.
Depuis que je me suis engagée dans la recherche (pas vraiment couronnée de succès) de financements pour L’An 02, quand je vois passer dans mon entourage des appels à souscription je ne me demande plus si le spectacle ou le film me plaira mais combien je peux donner. Parce que, qu’il s’agisse d’un disque de chansons folk ou d’une plate-forme de conférences en ligne, cultiver la solidarité me semble plus important que mes goûts et mes couleurs. Si vous ne lisez pas la presse alternative… au moins achetez-la. Et si vous ne faites que l’acheter, L’An 02 trouvera quelqu’un-e pour la lire. Voir ici pour l’annonce de numéros « suspendus », payés par les un-e-s et disponibles pour les autres. Je paye déjà un pack de mes numéros préférés, « Ensemble, c’est trop ? » et « Altercapitalisme », n’hésitez pas à le commander. Bonne lecture !