Chemins de fer et colonisation

S'il est une chose bien matérielle que les pays occidentaux pensent avoir apportée aux pays qu'ils ont colonisés, c'est les chemins de fer. « Rendez-vous compte, grâce à nous ! » nous disent celles et ceux qui malgré des années passées sur les bancs des écoles, collèges et lycées, ignorent tout un pan de l'histoire de leur pays, celui qui concerne sa relation avec une partie du monde qu'il a tenue sous sa dépendance coloniale. Rien que ça. Cette histoire compte pour comprendre le monde d'aujourd'hui mais notre ignorance à ce sujet est assez crasseuse. Alors si vous ne la connaissez pas bien, plongez-vous dedans, d'autant qu'il est d'autres manières de s'instruire, plus agréables que des cours magistraux. Dans Terre d'ébène, son livre de reportages en Afrique de l'Ouest constamment réédité depuis 1928, Albert Londres rappelle que le chemin de fer Congo-Océan n'a pas été construit par la métropole mais par le travail forcé des locaux dont 17 000 moururent dans les travaux (ce pour quoi la République française et Spie Batignolles ont été poursuivies). Comme beaucoup de personnes éduquées en France, je ne connais pas mieux cette histoire mais j'ai la chance d'avoir suivi quelques cours sans complaisance sur une autre partie du monde.

Voici la Malaya, une colonie britannique au bout de la péninsule sud-est asiatique, riche en bois tropicaux, latex sauvages et cultivés (mais pas encore recouverte de palmier à huile) et mines d'étain. Je vous invite à observer le tronçon Taping-Port Weld, le premier qui ait été inauguré, un peu au-dessous de l'île de Penang sur la côte ouest. Il relie l'intérieur à la côte en quelques dizaines de kilomètres. Notez également, un peu plus au sud, le tronçon de Tapah Road, celui de Kuala Lumpur, celui de Seremban. Tous ceux qui n'ont pas été inclus dans une ère métropolitaine ont été fermés. Pourquoi donc ? Ce sont des tronçons courts, est-ouest, qui n'ont pas pour intérêt de faire voyager les gens et les biens de consommation le long d'une péninsule orientée nord-sud. Le principal usage de ces lignes était d'envoyer les cargaisons d'étain vers le port le plus proche pour les valoriser sur le marché mondial. Ce sont ces tronçons-là que les colons britanniques ont jugé bon d'ouvrir en premier.

Même logique à Java, sauf que l'île est cette fois allongée d'est en ouest. Java Est est bien quadrillée, par les lignes est-ouest toujours actives mais également par de courts tronçons nord-sud. La région était sous l'ère coloniale dédiée à la production intensive de canne à sucre et de tabac. Dans certains districts (comme Bondowoso) la population est encore majoritairement maduraise, elle a été déportée par les Néerlandais depuis la petite île à peine au nord pour travailler dans les champs (et peut-être également dans la construction du chemin de fer en question). Le tronçon qui innervait ce district et envoyait les cargaisons vers Situbondo a été fermé – assez récemment et à l'instar d'autres tronçons semblables.

Loin d'être une entreprise au service des populations locales, ces chemins de fer étaient la structure matérielle d'un système extractiviste d'exploitation des richesses locales par les puissances coloniales. Voilà à quoi ressemble l'entreprise civilisatrice de l'Europe et d'autres pays ont encore d'autres histoires à raconter dans d'autres domaines. Et voilà peut-être « pourquoi les Premières Nations canadiennes bloquent les chemins de fer et pourquoi c'est important »...

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