7-Écologie : stop la démocratie, ou encore ?
Par Aude le mercredi, 20 octobre, 2010, 14h04 - "Elections, piège à cons ?" - Lien permanent
La catastrophe écologique à venir est le produit de notre société industrielle, qui semble inséparable du système démocratique. Le « choix du feu » et des énergies fossiles, qui est la cause de la pollution de l'air et de l'effet de serre est en effet contemporain de l'extension en Europe occidentale du suffrage universel masculin au milieu du XIXe siècle.
La démocratie au péril de l'environnement ?
Nombreux sont les auteurs qui notent cette corrélation, et qui en font le
signe du caractère anti-écologique de la démocratie. C'est Bertrand Méheust qui
l'exprime le mieux : « Inéluctablement, la démocratie moderne,
c'est à dire la démocratie libérale où l'individu prime sur le collectif,
démultiplie les besoins des hommes et augmente leur pression sur
l'environnement. C'est certainement là l'objection la plus lourde que l'on
puise formuler à son encontre : elle constitue certes, à court terme, le
meilleur (ou plutôt, selon la formule fameuse, le moins mauvais) système
connu ; seulement, (...) pour installer dans l'immensité du temps la
petite bulle de justice et de prospérité qu'elle propose comme modèle à
l'humanité, elle risque de commettre la faute la plus grave jamais perpétrée
par une société, un crime différé et silencieux, mais qui englobera tous les
crimes possibles : le crime contre la biosphère »
(1). La démocratie est le régime de l'égalité, du nivellement
par le haut, elle serait à l'origine de la libération de besoins matériels
éminemment prédateurs. C'est le fondement politique d'une civilisation qui a
perdu le sens de la mesure, la capacité d'auto-limitation et de contrainte
autonome.
G. Hardin, auteur cité depuis quarante ans pour son article « The Tragedy
of the Commons » (2), avait préparé le terrain de cette
méfiance envers la démocratie en refaisant l'histoire de communautés paysannes
incapables de ménager les terres communales dont elles se partageaient l'usage,
soit incapables de ménager leur environnement en l'absence de gouvernance
autoritaire (propriété privée ou étatique). Son article a pourtant depuis
longtemps été réfuté et rattaché à l'offensive néo-libérale
(3).
Choix oligarchiques, choix démocratiques ?
Justement... Bertrand Méheust est le premier à noter le caractère
oligarchique de la société dans laquelle nous vivons, expliquant par exemple la
consommation excessive des voitures par des industriels aveuglés « par
l'énergie bon marché, et par la demande d'une clientèle façonnée par leur
propre propagande publicitaire » (4). Il décrit ainsi un jeu subtil où la
demande sociale, même privée de son autonomie, légitime l'activité économique.
Le tout dans un monde où l'énergie est bon marché car produite dans des pays
avec lesquels nous avons des relations inéquitables, c'est à dire hors régime
démocratique.
Le constat a été dressé depuis longtemps, et il est régulièrement mis en valeur
par les journalistes qui s'intéressent aux questions d'environnement
(5). Le capitalisme (tout comme le capitalisme d'État dans
l'URSS de l'époque) est un système prédateur qui ne suit pas des orientations
démocratiques mais libère les agissements d'oligopoles, grandes entreprises de
l'énergie, de la bagnole, de la grande distribution, etc. Lesquelles s'appuient
sur un consentement des consommateurs interprété comme un consentement
politique (voir « Impossible démocratisation de l'économie ? »).
Un souci partagé pour l'écologie
Quand on consulte le consommateur, la réponse semble être « toujours
plus ». Quand on consulte le citoyen, on est surpris par la contradiction.
En effet, pour peu que l'on pose des questions sur les valeurs, on s'aperçoit
que celles de l'écologie touchent une grande partie de la population. De même,
les Verts connaissent bien la sympathie qui entoure leurs propositions et qui
fait contraste avec le peu de voix qu'ils recueillaient jusqu’à
maintenant.
Contradiction entre le consommateur et le citoyen, que les écologistes
travaillent à réconcilier. Mais contradiction surtout entre électeurs et élus
sur ces questions. Daniel Boy a fait paraître en 2003 une étude sur « Les
parlementaires et l'environnement » (6) qui recueille les
réponses d'un panel représentatif de 200 députés et sénateurs sur des questions
d'environnement, réponses qui nous renseignent sur l'attitude à l'égard de
l'environnement et les priorités politiques des parlementaires. De nombreuses
études existant déjà sur des questions similaires pour le grand public, le
chercheur a choisi d'en reproduire une pour comparer les résultats des
parlementaires avec ceux de leurs électeurs.
Un fossé important entre élus et électeurs
Alors que 34 % du public est conscient du changement climatique, 21 % des
parlementaires l'admettent également (chiffres faibles, recueillis en
2002-2003). Sur la nécessité de ralentir la croissance économique pour
préserver l'environnement, 63 % du public est favorable, contre 19 % des
parlementaires. Sur l'abandon progressif du nucléaire, une majorité du public
se dégage (55 %), alors que les parlementaires ne sont que 15 % à accepter cet
abandon. Sur le choix entre changer de mode de vie et inventer de nouvelles
techniques contre l'effet de serre, ils sont 12 % du public à faire confiance
avant tout dans la technique... et 40 % de parlementaires. Sur toutes ces
questions d'importance, le fossé entre parlementaires et public varie de 10 à
44 %.
Des raisons à ce fossé peuvent être avancées :
-le genre des parlementaires, les femmes parmi eux étant plus sensibles que
leurs pairs à l'environnement mais moins nombreuses que dans le public... il
s'agit ici d'un manque d'identité entre élus et électorat (même constat
concernant leur âge, en décalage avec celui de la population) ;
-la difficulté à changer de paradigme pour des hommes et des femmes conscients
de leur « supériorité » ;
-la responsabilité que se donnent les parlementaires « d'assurer
l'intendance » et de se soucier avant tout des questions économiques
immédiates, en bons pères de famille. Quitte à laisser la maison
brûler !
Seul bémol, auquel font penser certains manques dans les conclusions de la
conférence de citoyens sur l'effet de serre, le grand public a du mal à
proposer une augmentation des prix du carburant...
Va-t-on pour autant considérer encore les modes de consommation, dont un usage
de la voiture qui est pour une part contraint par les structures sociales
(7), comme un choix anti-écolo, politique et
conscient ?
Chez Casto, y'a tout ce qu'il faut
« L'écologie est subversive car elle met en question l'imaginaire capitaliste qui domine la planète. Elle en récuse le motif central selon lequel notre destin est d'augmenter sans cesse la production et la consommation. Elle montre l'impact catastrophique de la logique capitaliste sur l'environnement naturel et sur la vie des êtres humains. (...) Il ne s'agit pas donc d'une défense bucolique de la "nature" mais d'une lutte pour la sauvegarde de l'être humain et de son habitat. Il est clair, à mes yeux, que cette sauvegarde est incompatible avec le maintien du système existant et qu'elle dépend d'une reconstruction politique de la société, qui en ferait une démocratie en réalité et non pas en paroles » (8).
Pour penser la question écologique et être à la mesure de l'urgence avec laquelle elle se pose, la case éco-fascisme n'est peut-être ni désirable ni nécessaire. Pourquoi pas en effet le fascisme tout court, pour l'allocation la moins juste et la plus violente des ressources qui resteront ? Sur cette question aussi, l'exigence d'une rénovation démocratique de notre société a toute légitimité.
(1) Bertrand Méheust, La Politique de l'oxymore.
Comment ceux qui nous gouvernent nous masquent la réalité du monde, La
Découverte, 2009, pp. 52-53. La citation ci-dessus est introduite ainsi :
« Partout où l'individu devient une valeur centrale, ses besoins
matériels s'accroissent avec l'étendue de sa sphère personnelle ; il ne
supporte plus la promiscuité ; son espace vital minimal augmente en même
temps que ses exigences de mobilité ; sa façon de se nourrir se
modifie ; il lui faut manger plus de viande ; il lui faut aussi
consommer davantage de produits culturels ; il veut tout cela, et plus
encore, pour ses enfants. Qui osera le lui reprocher ? Qui prétendra
s'exempter de ce diagnostic ? Il faut donc construire davantage de
logements, davantage de voitures, davantage d'avions, davantage de bétail,
demander à court terme, donc par des moyens chimiques, si l'on reste dans la
logique agricole actuelle, à la terre plus qu'elle ne donnait alors, et plus
sans doute qu'elle ne pourra donner dans la durée. »
(2) G. Hardin, « The Tragedy of the Commons »,
Science, vol. 162, décembre 1968, pp. 1243-1248.
(3) Notamment par Elinor Ostrom, récente prix de la Banque de
Suède (dit prix Nobel d’économie).
(4) Bertrand Méheust, op. cit., p.84.
(5) Citons les récents ouvrages de Marie-Monique Robin (Le
Monde selon Monsanto) ou Hervé Kempf (Comment les riches détruisent la
planète, Pour sauver la planète, sortez du capitalisme et une
dernière attaque, plus frontale : L'oligarchie, ça suffit, vive la
démocratie)... et toute l'actualité éditoriale des dernières années, à
l'exception des guides du gentil éco-citoyen au quotidien.
(6) Daniel Boy, « Les parlementaires et
l'environnement », Cahiers du PROSES, septembre-octobre 2003,
http://www.developpement.durable.sciences-po.fr/publications/cahier7.pdf.
(7) Frédéric Héran, « De la dépendance automobile »,
EcoRev' 24, automne 2006, dossier « Accepter. Les formes de la
soumission volontaire » coordonné par Bruno Villalba.
(8) Cornelius Castoriadis, « L'écologie contre les
marchands » (1992), in Une société à la dérive, Le Seuil,
2005.