La fabrique de l'ignorance

De loin, il est fascinant de voir l'état des savoirs évoluer aussi vite à propos du Covid-19. Pendant le premier confinement, nous apprenions avec anxiété que le virus pouvait tenir sur des surfaces pendant des heures, peut-être des jours. Faut-il désinfecter ses courses ou seulement les mettre en quarantaine ? Finalement les contaminations par les surfaces sont considérées comme beaucoup plus rares que celles par la respiration. Les particules que nous expirons ont plusieurs tailles. On a un temps cru que le virus se transmettait uniquement par les particules les plus larges et donc les plus lourdes que nous expirons, les gouttelettes, mais il s'avère que les aérosols sont aussi dangereux et de plus ils sont plus légers et donc plus volatils : la distance est donc un facteur moins important que nous ne le pensions, il faut aussi porter des masques et aérer fréquemment les espaces clos. Les premiers tâtonnements concernant la mortalité et les facteurs de risque se sont précisés : oui, on meurt plus facilement de la maladie quand on est âgé·e (à vrai dire le risque est multiplié à chaque décennie) mais on peut à tout âge en mourir, s'en remettre difficilement et/ou en porter longtemps les séquelles. Tout cela, qui pourrait ne concerner que des spécialistes, a des répercutions sur nos vies.

Dans un monde idéal, on prendrait des dispositions en fonction de l'état des savoirs, de ce qui est le plus efficace, et non pas de ce qui est le plus abordable, comme on l'observe dans les pays qui gèrent mal la pandémie. Par exemple le gel hydroalcoolique ne coûte rien, mettons-le au centre de nos pratiques de réduction des risques, même si les contaminations par les surfaces sont anecdotiques. La distanciation sociale, un mètre ou deux ? Les modèles de diffusion du virus dans l'air relativisent la question. L'aération ? Ne communiquons pas trop dessus bien que ce soit le geste le plus important avec le masque, ce serait trop simple, on en veut encore aux Chinois d'avoir découvert avant nous la transmission par aérosols. L'ouverture des écoles y compris pendant que les adultes n'ont pas le droit de sortir sans raison valable et dûment argumentée ? L'arbitrage est très compliqué (le confinement accentue les inégalités scolaires et complique fortement la vie des parents, dans la majorité des cas des mères) mais il a été fait en arguant à tort que les enfants n'étaient pas contagieux et avec des moyens ridicules pour ce défi majeur de réduction de la circulation du virus dans les salles de classe.

Que des mesures douteuses soient prises, à faire s'arracher les cheveux des épidémiologistes, c'est une chose. Une autre est la fabrique de l'ignorance qui l'accompagne et empêche que nous nous saisissions des enjeux de cette pandémie, adaptions nos vies en conséquence, mesurions les risques et contribuions le mieux possible à un effort que nous comprendrions.

Or l'impression persiste, passé les choix criminels des premiers mois qui prétendaient indulgemment être de l'improvisation, d'être pris·es pour des imbéciles. Aussi bien que la fois où Sibeth Ndiaye nous a recommandé de ne pas porter le masque si nous n'étions pas malades alors que nous savions déjà que beaucoup de malades, en l'absence de symptômes, s'ignoraient. Aussi bien que la fois où Emmanuel Macron nous a engagé·es à faire comme lui et à aller au théâtre mélanger nos haleines avec des centaines de personnes non-masquées, huit jours avant de passer à la mesure ultime, de dernier ressort, quand les plus gros efforts (déjà, ne pas aller au théâtre sans masque) n'ont pas été concluants…

Nous sommes début novembre et l'information qui est mise à notre disposition est toujours aussi médiocre.

covid-transmission-minsanté.png, nov. 2020 covid-transm-minsanté.png, nov. 2020

Cette mauvaise information est d'autant plus grave quand c'est à destination des personnes qui ont le moins de ressources pour aller chercher une information de meilleure qualité, comme sur la page gouvernementale qui informe sur le Covid en « français simplifié » (les professionnel·les parlent plus volontiers de « français facile », c'est plus simple) à l'attention des personnes qui lisent difficilement, parlent mal français ou ont des handicaps intellectuels. J'ai un temps cru que cette page avait été oubliée depuis le mois de mars dans les mises à jour mais elle annonce bien le confinement du 30 octobre.

Ce virus donne des maladies.

Ces maladies peuvent être :

Graves si on est fragile, comme les vieux ou les malades.

Sans danger pour notre corps si on est en bonne santé.

Cette maladie tue à tous les âges, avec une létalité multipliée par l'âge, à chaque décennie. Et il semble que les séquelles à long terme puissent être graves.

Le coronavirus se transmet par la toux, la salive et par les mains.

Le coronavirus se transmet avant tout par la respiration.

Je respecte les gestes barrières :

Je garde la distance d’1 mètre avec les autres.

Je me lave souvent les mains avec du savon ou du gel hydro-alcoolique

Je tousse dans mon coude, ou dans un mouchoir que je jette à la poubelle après.

Je ne serre pas la main.

Je ne fais pas de bisous et de câlin aux autres.

Outre l'ambiguïté concernant les « bisous » (concerne-t-elle la bise de salutation conventionnelle ? les personnes qui lisent difficilement le français ont-elles un vocabulaire enfantin ?), je note l'absence de l'aération des pièces dans les gestes-barrières. C'est un élément qui est arrivé très tard dans la communication gouvernementale grand public, ce retard n'a été compensé par aucune insistance particulière et cette information n'est pas dispensée aux lecteurs et lectrices en français facile.

En complément des gestes barrières, je porte un masque :

Si j’ai attrapé le virus ou si une personne de mon entourage l’a attrapé ; Sibeth Ndiaye, sors de ce corps !

Si la distance d’1 mètre avec les autres ne peut pas être respectée ; Distance arbitraire, plus courte en France qu'ailleurs, qui dépend de la qualité de l'aération et qui ne justifie jamais le non-port du masque.

Si je suis fragile car j'ai des problèmes de santé quand on vient me voir et dès que je sors de chez moi.

Si je suis avec des personnes fragiles.

Au travail, si les règles de sécurité pour me protéger et protéger mes collègues ne sont pas suffisantes ;

À l’école, Si je suis encadrant ou enseignant dans l’école Plus probablement si je suis un personnel technique puisqu'on peut espérer des enseignant·es qu'elles et ils savent bien lire et comprendre le français.

Si je suis collégien

Si je suis à l’école élémentaire et si j’ai les symptômes du virus, j’attends que quelqu’un vienne me chercher Dans les commerces, si on me le demande ou si la distance d’1 mètre avec les autres ne peut pas être respectée

Dans tous les transports en commun, dans les taxis, s’il n’y a pas de vitre de séparation, dans les VTC et si je fais du covoiturage.

Belle énumération. Serait-elle plus facile à mémoriser que ce principe simple ? Je porte le masque si je suis en contact avec des personnes dans une pièce fermée ou en plein air en contact rapproché. De manière plus opérationnelle encore : je porte le masque si c'est obligatoire, ce qui est le cas même en extérieur (soit dans aucune des conditions citées) et ce dans un paquet de villes.

Il y a quelques mois j'écrivais sur cette propension à l'information douteuse :

Si le gouverne ment, les théories du complot fourmillent, la recherche d'infos se fait plus frénétique et plus douteuse, et surtout la notion d'intérêt collectif se dilue et nous sommes moins susceptibles d'adopter en masse les bons gestes, ou alors seulement sous la menace du bâton et sans vraiment les comprendre.

Le manque d'adhésion justifie l'autoritarisme, une option systématiquement adoptée sur d'autres sujets par notre président-barrage au fascisme. C'est pathétique et dangereux dans toutes les dimensions de la vie sociale mais concernant la crise sanitaire c'est d'autant plus frustrant qu'on avait beaucoup appris du Sida.

La bonne nouvelle, c'est que malgré cette fabrique l'ignorance, nous avons compris le message et nous ne l'oublierons pas.

NP : Le site Adios Corona fait régulièrement le point sur l'état des savoirs, avec une communication claire et à partir de synthèses de la littérature scientifique. Leurs sources sont mises à disposition. Si vous ne lisez qu'une page, que ce soit celle qui concerne la transmission du virus.

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