Mon blog sur l'écologie politique - Mot-clé - Cinéma2024-03-26T09:56:39+01:00Audeurn:md5:78a731c5da243981157a40ec0da23d7cDotclearGhosbusters et le sens de l'empathieurn:md5:a14605bc25d0cedbafa9363ebb5711702016-07-19T11:46:00+02:002016-07-19T12:01:36+02:00AudeTextesCinémaGenre<p>Stupeur en ce début d'année 2016, quand Sony Pictures dévoile les premières
images de son reboot <em>Ghostbusters</em>, produit par Ivan Reitman et dans
lequel apparaissent les acteurs et co-auteurs du film original (à l'exception
de Harold Ramis, décédé en 2014). Malgré le parrainage de l'équipe originale,
le public s'étrangle d'indignation. Ce nouveau <em>Ghostbusters</em> a-t-il
annoncé être composé de longues digressions façon cours de physique ?
Met-il en scène des fantômes à la Casper, trop gentils pour nous faire
sursauter ? Les nouveaux chasseurs de fantôme sont-ils tous les quatre les
acteurs les plus détestés de Hollywood, spécialisés dans des rôles de serial
killer ? La bande annonce est-elle assurée par Doris Day ? Non, ce
qui déclenche cette tempête, c'est que les personnages principaux sont tous
féminins. Rendez-vous compte, quatre femmes, alors qu'une suffit souvent à
rétablir l'équilibre (avec un Noir et un nerd).</p>
<p><img alt="" src="https://anthonyvecch.files.wordpress.com/2015/07/ghostbusters-jumpsuits.jpg" height="257" width="458" /></p> <br />
Sur les bientôt 37 millions de vues de la bande annonce, environ 2,5 % du
public a pris la peine de signaler la médiocrité de l'annonce puis du film.
Impossible de retrouver les commentaires de l'époque tellement le flot de
protestations ne tarit pas (« les féminazies ont mis la main sur la
franchise Ghostbusters », « ce n'est pas parce que ce sont des
femmes, c'est juste que le film est nul » – d'où viendrait donc cet
acharnement à le faire valoir ?). Relativisons un peu : on estime que
80 % des commentaires en ligne sont produits par des hommes. Ils ont plus
de temps que les femmes dans la vie et ils sont plus assertifs. Et ce ne sont
pas les plus lucides et équilibrés qui prennent la peine d'écrire. Quand il est
question de genre, la sphère masculiniste se mobilise mieux que vos potes (à
moins que vous ayez des potes masculinistes). Il y a donc un léger biais dans
la représentativité des commentaires.<br />
<br />
Mais pourquoi tant de haine ? Les petites filles sont habituées à
s'identifier aux personnage masculins, à les intégrer à leur personnalité sans
se contenter des personnages féminins, souvent moins riches et moins centraux.
Les garçons ne font pas cette expérience. Ils ont toujours un personnage
masculin sous la main et cela complique leur identification à des femmes.
Savoir qu'un film qu'on aime sera rebooté (avec de super effets spéciaux) sans
cette capacité d'identification, c'est un peu comme apprendre qu'à côté de chez
soi ouvre une usine de bonbons avec une vitrine de 20 m de long mais
fermée au public. C'est une offense faite à l'amateur. Cette anecdote pose la
question de l'identification impossible des hommes aux femmes et de ses
conséquences souvent plus tragiques que 270 000 commentaires, aussi haineux
soient-ils.<br />
<br />
Rendant compte d'actes de violence (le plus souvent symbolique) à mon égard,
j'ai souvent remarqué l'incapacité à me remercier pour mon témoignage, à
m'exprimer un peu d'empathie ou à reconnaître la violence qui m'avait été
faite. Et pareil pour toutes les femmes qui font ce genre de récit. Avant toute
chose, la majorité des hommes qui interviennent ici prennent soin de parler
d'eux, de se justifier, d'expliquer qu'eux se comportent beaucoup mieux ou que
ma parole ne vaut rien. Comme si aucune femme n'avait été blessée lors du
tournage de l'histoire qui leur était racontée… En réaction à <a href="https://blog.ecologie-politique.eu/post/Un-homme-qui-ne-se-laissera-rien">« Si tu me dis encore une fois
que je suis charmante, je t'arrache les couilles »</a>, le visiteur de
l'expo comme le lâcheur de commentaires sur mon blog n'ont qu'une
réaction : hé ho, c'est pas gentil. Pas gentil quoi ? Pas gentil
d'aborder dans la rue des personnes qui n'ont rien demandé et se plaignent de
harcèlement ? Ou pas gentil de menacer des hommes de leur couper les
couilles alors qu'on sait qu'en fait, messieurs, elles vont rester bien
attachées et qu'il y a beaucoup, mais alors beaucoup plus de femmes agressées
chaque jour dans le monde que d'hommes auxquels des femmes arrachent les
testicules ? Si j'ignorais tout de cette situation, au moins je me
demanderais : comment peut-on en être réduite à une telle violence
verbale ? Avant toute question sur le vécu de l'autre, je ne vois qu'un
intérêt disproportionné pour ses testicules. À soi.<br />
<br />
Dans <em>Crocodiles</em> (1), le dessinateur Thomas Mathieu met en scène des
agressions subies par des femmes et qu'elles ont souhaité lui raconter. Après
quelques essais, il a décidé de représenter les hommes, qu'ils soient
agresseurs, spectateurs ou alliés, sous la forme de crocodiles. Certains ont un
museau tout rond quand d'autres ont des dents très effilées, selon leur
caractère. Mais tous sont des crocodiles, qu'ils s'en défendent ou non. La
raison de ce parti pris ? Les premiers lecteurs s'identifiaient beaucoup
plus facilement aux autres hommes du récit (même aux agresseurs !) qu'aux
femmes. C'est cet obstacle que Thomas Mathieu a tenté de surmonter (et au
passage cette représentation a aussi le mérite de rappeler que les hommes ne
sont pas séparés en deux groupes, ceux qui agressent et ceux qui jamais
n'agresseraient, mais qu'ils font tous partie d'un groupe à qui l'on inculque
qu'il a <a href="https://blog.ecologie-politique.eu/post/Le-continuum-du-male-entitlement">des droits sur les
femmes</a>).<br />
<br />
Il est à cet égard important que les hommes puissent trouver normal de
s'identifier à des personnages féminins, pas que pour des raisons
cinématographiques mais aussi pour développer un peu d'empathie par rapport au
sort des autres. Qu'il soit <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Black_Lives_Matter">Noir</a>, musulman ou
femelle. Important que la violence qui lui est faite soit aussi intolérable que
celle qui est faite à mes semblables, ceux auxquels je m'identifie. Et si le
cinéma a un rôle à jouer, c'est celui d'offrir l'opportunité à tout le monde de
s'identifier à des personnages féminins, des personnages profonds, aimables et
qui ont des interactions riches avec leurs semblables. Parce que pour
l'instant, ce n'est pas fameux. Non seulement <em>Ghostbusters</em> passe le
<a href="http://bechdeltest.com/">test de Bechdel</a> (qui nous renseigne sur
la dimension sociale des perso féminins) mais en plus ces personnages ont le
même droit au ridicule, à l’embonpoint et à montrer qu'ils ont dépassé quarante
ans que leurs camarades masculins. Bonus : les mauvaises langues pourront
continuer à dire que le film est nul mais il m'a fait sursauter et rire jusqu'à
la dernière seconde.<br />
<br />
(1) Thomas Mathieu, <em>Crocodiles</em>, Le Lombard, 2014 et sur <a href="http://projetcrocodiles.tumblr.com/">Tumblr</a>.<br />
<br />
<img alt="" src="https://cinemania-cdn.s3.amazonaws.com/images/2011/201202/TheBechdelTest.jpg" height="548" width="409" /><br />
–Tu veux aller voir un film, on prend du pop-corn ?<br />
–Ouais, je sais pas... J'ai cette règle, tu sais. Je ne vais voir que les films
qui satisfont à trois exigences. Un, il faut qu'il y ait au moins deux femmes.
Deux, qui parlent ensemble de... Trois, autre chose que d'un homme.<br />
–C'est beaucoup demander mais c'est une bonne idée.<br />
–Sans blague. Le dernier film que j'ai pu voir, c'était <em>Alien</em>... les
deux femmes dedans parlent du monstre.<br />
–Tu veux venir chez moi et on fait du pop-corn ?<br />
–...<br />
–Ah, ça c'est parler !<br />Game of Thrones est-elle une série féministe ?urn:md5:b06f5150ba8f3dbe28e5d1b7ac8367432013-12-26T08:15:00+01:002013-12-26T08:15:00+01:00AudeLecturesCinémaFéminismeGenre<p>La polémique fait rage dans un groupe de mes ami⋅e⋅s (et au-delà
semble-t-il) : <em>Game of Thrones</em> est-elle une série féministe ?
Pour : des personnages féminins nombreux, variés, forts (si l'on est
faible, dans ce Moyen-Âge fantasmé <strong>(1)</strong> et marqué par le
darwinisme social, on a peu de chances de rester un personnage) et une
narration qui serait « <a href="http://www.newyorker.com/arts/critics/television/2012/05/07/120507crte_television_nussbaum">un
drame sophistiqué sur la subculture patriarcale</a> », à l'instar des
<em>Sopranos</em> ou de <em>Mad Men</em>. C'est à dire que la fiction se
déroule dans un monde brutalement patriarcal pour justement produire un
discours là-dessus et en montrer la misère, pour les femmes comme pour les
hommes.</p> <p>Je n'entends pourtant pas les créateurs de la série me chuchoter à l'oreille
« <em>Ces mecs sont vraiment des salauds</em> » comme Matthew Weiner
le fait en continu dans <em>Mad Men</em> <strong>(2)</strong>. J'imagine
plutôt, si je le regardais en mauvaise compagnie, des « <em>Arf arf, tu as
vu, femelle, il ne faut pas faire chier le mâle ! Rhôôô, mais je
rigole !</em> » Soit un genre de troisième degré, le premier livrant
le spectacle du patriarcat (en tant que <a href="https://blog.ecologie-politique.eu/post/Le-patriarche-en-gros-bebe">violence des hommes sur les femmes et des
hommes forts sur les hommes faibles</a>), le second portant dessus un discours
critique, et le troisième profitant de l'ambiguïté pour ne pas prendre parti et
jouir avec d'autant moins de scrupules du spectacle. Que faire de cette vague
impression ? Ma subjectivité suffit-elle à trancher la question ? Et
le fait que dans le débat les hommes disent plutôt <em>oui</em> et les femmes
plutôt <em>non</em> peut-il constituer un argument ? (Au passage, la plus
grande facilité pour les hommes à reconnaître la série comme féministe
m'inquiète sans me surprendre, mais celui avec qui j'ai le plus échangé à ce
sujet est d'un proféminisme au-dessus de mon soupçon – <a href="https://blog.ecologie-politique.eu/post/Feminisme-pourquoi-tant-d-interet">et je suis très
soupçonneuse</a>.)<br />
<br />
Beaucoup a été dit sur la représentation de la sexualité dans <em>Game of
Thrones</em>. On a bien sûr noté <a href="http://io9.com/5906540/is-game-of-thrones-gratiutious-sex-worse-than-the-gratuitous-violence">
la fréquence des scènes de cul</a> et leur violence, ainsi que leur
exploitation graphique, des rudes coups de reins par derrière – il semble que
le <em>Kâmasûtra</em> des Sept Couronnes se réduise à une seule page – au thème
du viol, conjugal ou de guerre. On a aussi bien noté que <a href="http://www.washingtonpost.com/lifestyle/style/skin-is-wearing-thin-on-hbos-game-of-thrones/2012/04/26/gIQA4hd6jT_story_1.html">
la nudité était l'apanage des femmes</a>, et la facilité qu'elles avaient à se
dévêtir – d'autant plus quand elles sont jeunes et de condition sociale basse,
puisque leur corps est leur arme pour chercher un meilleur statut
<strong>(3)</strong>. Certes on pourra se rincer l’œil sur le <em>khal</em>
Drogo, cette brute des déserts qui déborde de muscles, mais les autres beaux
gosses de la série ne se baladent pas à poil – il fait moins chaud. On a donc
une exhibition des corps très asymétrique, ce qui n'est justifié ni par la
narration ni par les usages du monde qu'elle dépeint, mais constitue un choix
esthétique... et politique : celui de satisfaire <a href="http://cafaitgenre.org/2013/07/15/le-male-gaze-regard-masculin/">la pulsion
scopique d'un public compris comme masculin hétéro</a>.<br />
<br />
Autre classique de la critique des représentations sexistes : les
personnages de femmes et leur variété <strong>(4)</strong>. Il y a ici des
jeunes femmes et des vieilles, des blondes et des brunes (et des
rousses !), une obèse, une personne atteinte de nanisme, et pas mal de
moches. Euh, non, ça c'est les personnages masculins ! Il n'y a pas de
moche, pas de grosse, pas de femme atteinte de nanisme évidemment. Catelyn
Stark fait figure de doyenne (d'après l'âge de son aîné, elle devrait avoir 35
ans et elle est incarnée par une actrice qui en a 48 au début du tournage, ce
qui est assez réaliste) alors qu'elle suscite encore le désir du proxénète Lord
Baelish, qui a pourtant des dizaines de jeunes prostituées à se mettre sous la
dent pour l'oublier. Pas de vieille femme ? Sachant que les femmes ne font
pas la guerre et ont un peu plus de chances de mourir dans leur lit, voilà qui
est franchement incongru <strong>(5)</strong>. Là encore, ce sont des
représentations du féminin assez convenues qui sont imposées aux
spectateurs/rices de <em>Game of Thrones</em>.<br />
<br />
Mais ce qui m'a saisie au visionnage de la première saison, et qui justifie
peut-être que j'aborde la question dans mon blog (où je tente très peu
modestement d'exprimer mes points de vue quand je ne les entends nulle part
ailleurs, et parfois plus simplement de faire le point à l'écrit quand je n'ai
pas su le faire à l'oral), c'est la quasi-absence d'interactions entre femmes.
Où l'on revient au <a href="http://www.flickr.com/photos/zizyphus/34585797">test de Bechdel</a>, qui est
décidément incontournable : ce qui fait une œuvre féministe, ce ne sont
pas des personnages forts et attachants, des princesses Leia qui surnagent dans
un océan d'hommes, c'est la représentation des hommes et des femmes à égalité.
Ils et elles peuvent être pris dans des situations hiérarchiques qui mettent
celles-ci au service de ceux-là, mais il est légitime d'attendre que si les
personnages masculins sont variés, les personnages féminins le soient aussi,
que s'ils ont une variété de relations les uns aux autres, elles aient une
variété de relations les unes aux autres. Parce que c'est ce qui se passe dans
la vie, et c'est ce qui ne passe toujours pas au cinéma et dans les romans, où
les personnages féminins, même extrêmement bien dessinés à titre individuel,
n'ont pas cette richesse que j'appellerais <em>sociale</em>. Alison Bechdel et
Liz Wallace posent donc qu'une œuvre est acceptable pour une spectatrice
féministe :<br />
-si elle met en scène plus d'un protagoniste (ou personnage principal, ou
personnage « à point de vue ») féminin ;<br />
-si à un moment ces protagonistes se parlent (ouuuh !) ;<br />
-et qu'elles parlent d'autre chose que d'un homme (dont elles seraient
l'accessoire : amante, mère, secrétaire, etc.).</p>
<p>Et peu de films réunissent les trois critères, aussi peu exigeants
soient-ils (en apparence).<br />
<br />
Or, dans la saison 1 de <em>Game of Thrones</em>, où l'on parle beaucoup (et où
l'on se glisse beaucoup de regards plus parlants que de longs discours), une
majorité de paroles ne se pose pas dans le champ du discours public ou de
l'activité guerrière, ce qui justifierait cette exclusion – dont ne souffrent
toutefois ni Cersei Lannister ni Catelyn Stark. Les femmes sont présentes, on
parle beaucoup avec elles mais elles se parlent rarement les unes aux autres.
Alors que le scénario ne fait pas l'économie des conversations entre hommes, il
fait celle des conversations entre femmes. Une à deux fois par épisode, des
femmes se parlent : ce sont le plus souvent Catelyn Stark et sa fille, une
fille Stark et sa gouvernante, la <em>khaleesi</em> Daenerys Targaryen et sa
servante, soit des relations très hiérarchiques. Des conversations entre
égales, rivales, concurrentes, complices, sœurs ? On doit pouvoir les
compter sur les doigts d'une main (les sœurs Stark, les sœurs Tully, Cersei
Lannister et Catelyn Stark-Tully ?), et je vous engage à me livrer les
conclusions de votre étude car je ne reverrai pas la saison 1 pour vérifier
cette intuition qui m'est apparue en cours de route. En revanche, moi qui avais
arrêté mon visionnage au bout de quatre épisodes d'une exposition qui n'en
finissait pas, et l'ai reprise dans le seul but de me faire mon idée sur cette
question du féminisme de la série, même si ma réponse à cette question est
<em>non</em>, je consens à me faire prêter la saison 2...<br />
<br />
<strong>(1)</strong> Ce fantasme étant au principe de la <em>fantasy</em>. Ici
les dynasties sont exclusivement patrilinéaires alors qu'elles ne l'étaient pas
toutes dans l'Europe médiévale, le clergé ou l'université sont absents alors
que c'étaient des institutions importantes, la première même incontournable, et
la prostitution est la seule économie documentée – avec la production et le
commerce de l'acier des épées ? même pas.</p>
<p><strong>(2)</strong> Ceci dit, tout le monde n'a pas entendu le message
(voir dans <a href="http://www.editions-zones.fr/spip.php?article149"><em>Beauté fatale</em></a>
l'extase sur les « secrétaires <em>fifties</em> »), alors qu'il me
semble si évident, en particulier dans les premiers épisodes de la première
saison qui sont d'une violence symbolique très forte, notamment quand le corps
médical est requis pour surveiller la sexualité des femmes ou rapporter à leurs
maris la teneur des consultations de leurs épouses (aujourd'hui même les
consultations des enfants sont plus confidentielles, on a bien compris que
Betty était une enfant dans le regard des hommes qui l'entourent). Il est bon
de préciser que l'équipe de <em>Mad Men</em>, emmenée par un homme, est
relativement paritaire, à la production comme au scénario, alors qu'il n'y a
qu'une femme scénariste dans <em>Game of Thrones</em>.</p>
<p><strong>(3)</strong> C'est aussi le cas de Daenerys Targaryen, le personnage
qui justifierait le mieux le féminisme de la série en raison de son
itinéraire : elle passe grâce à sa volonté et à des conseils ancillaires
du statut d'épouse violentée et d'objet d'échange entre un roi déchu et un roi
en exercice à celui d'amante qui enseigne à son mari un désir basé sur la
réciprocité et gagne ainsi en influence auprès de lui. <em>Empowerment</em>
sexuel puis politique : Daenerys Targaryen apprend à faire avec les
ressources à sa disposition, comme les prostituées de la série. C'est une
vision politique de la prostitution, qui serait une ressource au service des
femmes et non leur mise à disposition sexuelle aux hommes dans le cadre d'un
système d'exploitation (ici domestique, là sexuelle, et ne pas oublier
reproductive), <a href="https://blog.ecologie-politique.eu/post/grosse-pute">à laquelle je n'adhère pas</a>.</p>
<strong>(4)</strong> Des actrices qui se plaignent de la faible étendue du
registre des personnages féminins, c'est dans <a href="http://www.centre-simone-de-beauvoir.com/distribution/DVD.html"><em>Sois belle
et tais-toi !</em> de Delphine Seyrig (1976)</a>.
<p><strong>(5)</strong> Je note toutefois l'apparition en 2013 (donc peut-être
pas encore sur les écrans français) d'un personnage secondaire incarné par la
sublime Diana Rigg, née en 1938.</p>
<p><strong>D'autres réponses à la question :</strong> <em>Game of Thrones</em>
est-elle une série féministe ?</p>
<p><a href="http://www.telegraph.co.uk/women/womens-life/9959063/Game-of-Throness-George-RR-Martin-Im-a-feminist.html">
Oui, « et pour moi être féministe c'est traiter hommes et femmes à égalité
»</a> selon l'auteur George R.R. Martin.</p>
<p><a href="http://jezebel.com/5993176/game-of-thrones-george-rr-martin-is-feminist-at-heart">
Oui : « malgré les scènes de sexe de HBO, les femmes de Westeros sont plus que
des objets sexuels – elles sont les sujets de leurs propres récits »</a>
selon Tracie Egan Morrissey.<br />
<br />
<a href="http://martiennes.wordpress.com/2013/01/22/game-of-thrones-une-serie-feministe/">
Non, « la série reste une série conçue par des hommes pour des
hommes »</a> et Charlotte Lazimi mobilise des arguments intéressants pour
le démontrer.<br />
<br />
<a href="http://ecrans.liberation.fr/ecrans/2013/01/10/game-of-thrones-medieval-feministe_956164">
Oui, et « surtout, c’est la construction des personnages féminins qui réjouit.
Elles possèdent toutes une ambition propre et luttent, chacune à sa manière,
contre le carcan imposé par cette société patriarcale »</a> d'après Erwan
Cario pour qui cela suffit.<br />
<br />
<a href="http://literatico.com/features-and-opinion/the-gender-card/the-fans-doth-protest-too-much-methinks-is-game-of-thrones-truly-feminist">
Non ! « Est-ce complexité de caractère égale féminisme ? Les femmes
dans <em>Game of Thrones</em> incarnent une grande variété de traits de
caractère et d'ambitions. Même si les personnages féminins sont ambitieux,
ont-elles accès au pouvoir ? »</a> d'après Elizabeth Mulhall.</p>
<p><a href="http://www.buzzfeed.com/kateaurthur/9-ways-game-of-thrones-is-actually-feminist">
Neuf raisons pour lesquelles l'adaptation est plus féministe que le livre</a>,
par Kate Aurthur, et ça tourne encore autour des capacités
d'<em>empowerment</em> des personnages féminins.</p>
<p>La réception de la série met en question ce qu'est le féminisme, autour des
notions de puissance et de pouvoir, d'égalité, de liberté, de regard et de
réification, de stéréotypes de genre et de la possibilité d'y échapper avec des
personnages complexes... Ça n'est pas inintéressant.</p>La fin du monde, les riches et les gueuxurn:md5:1286b3739bfa1ffac94fede5f7aa357d2013-11-16T10:06:00+01:002013-11-16T10:16:12+01:00AudeLecturesCinémaTechniqueÉcologie politique<p style="margin-bottom: 0cm"><strong>A propos de trois films</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm"><strong><em>Soleil vert</em>, Richard Fleischer
(1973)<br />
<em>Idiocracy</em>, Mike Judge (2006)<br />
<em>Elyseum</em>, Neill Blomkamp (2013)</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm">C'est dans 50 ou 150 ans et le monde est devenu
étouffant dans tous les sens du terme : surpeuplé et surchauffé, un
enfer.</p> A New York on élit domicile dans les cages d'escaliers, pendant que de vastes
étendues naturelles sont protégées dans un conservationnisme devenu fou. Une
société autoritaire, donc, capable de gérer des masses de manifestant-e-s avec
des dispositifs anti-émeutes assez sommaires et desquels un héros peut toujours
s'échapper. Pendant que ces masses sont tant bien que mal satisfaites par la
livraison de nourriture, sous la forme de tablettes de soja au contenu douteux
<strong>(1)</strong>, l'élite se goinfre. Salade, confiture de fraises et
steaks font s'évanouir de plaisir notre protagoniste (Charlton Heston), un flic
pas si ripou, quand sa fréquentation de l'oligarchie lors d'une enquête lui
permet de mettre la main dessus. Il y a aussi chez les vieux hommes riches du
savon et de la belle meuf (du « mobilier ») qui font l'objet de la
même avidité et de la même prédation. Même quand tout s'est effondré, on peut
arriver à se faire plaisir. Tout le film se passe à New York, dans une lutte
des classes pas si sommaire : l'élite quasi-invisible, certes, et les
gueux, mais ceux-ci ne partageant pas tou-te-s le même degré d'infortune. Il
manque toutefois ceux et celles qui doivent bien produire le peu de nourriture
encore en circulation. En clair : où sont passé-e-s les fermier-e-s ?
comment les espaces ruraux sont-ils alloués aux activités productrices ou à la
conservation ? quels phénomènes de domination s'exercent là-bas ?
Oui, je sais, je pose beaucoup de questions, persuadée que l'usage des terres
agricoles est une de ces questions-clefs qu'il nous faudra régler pour ne pas
finir comme dans <em>Soleil vert</em>.
<p style="margin-bottom: 0cm">Même angle métropolitain dans <em>Elyseum</em>,
sauf que cette fois c'est <em>toute</em> la planète qui est surpeuplée comme à
Los Angeles. Tout pareil comme à L.A. ? Puisqu'on vous le dit. Les élites,
ici, se sont cachées dans un satellite (Elyseum) pas plus discret qu'une lune
et qui suscite plus encore de curiosité et d'envie qu'au XVIIe siècle quand
l'astronomie battait son plein et que Cyrano de Bergerac rêvait d'aller y faire
un tour. Levant les yeux depuis votre quartier de taudis californien, vous
pouvez à tout moment voir <em>the place to be</em>. Alors qu'en bas est livré à
l'arbitraire d'en haut, en haut fonctionne selon des règles plus civilisées,
une gouvernance aristocratique constitutionnelle. Malheur à celle, une
dirigeante française anglophone (Jodie Foster), qui franchirait le pas :
il est strictement interdit de faire exploser en vol les vaisseaux de
migrant-e-s qui tentent parfois l'aventure. Il faut les traiter avec
« humanité et cœur » <strong>(2)</strong>, comme on aurait fait à
Lampedusa <em>si on avait su</em>. Et les renvoyer en douceur dans le gourbi où
ils et elles sont destiné-e-s à vivre leur vie comme tout un chacun en se
crevant à la tâche ou de maladie. Et c'est là qu'intervient le grand thème du
film : en bas il y a certes des hôpitaux avec des infirmières à plein
temps qui n'ont pas besoin de chercher un deuxième boulot pour croûter, mais en
haut il y a des machines à soigner. Tu t'allonges, ton identité sert de clef et
enclenche un <em>scan</em> réparateur. Pas de clef, pas de soin. Alors que
<span style="font-style: normal">ce serait si facile... il y a d'ailleurs des
centaines de scanners qui attendent dans un coin d'Elyseum, o</span>n ne sait
pas trop quoi en faire, à part peut-être « nanana nanère ». En bas
une société policière, avec des moyens de répression beaucoup plus pointus qu'à
l'époque des tractopelles à manifestant-e-s (le héros, incarné par Matt Damon,
est identifié nominativement à la moindre friction avec les forces de l'ordre,
il ne pourra pas se cacher derrière un mur comme Charlton Heston en son temps),
une colonie gouvernée depuis en haut, qui surveille en continu les flux de
personnes et de biens produits en bas pour assurer la prospérité des
habitant-e-s d'Elyseum. Mais le plus scandaleux c'est bien que des nenfants
meurent de maladies (en bas – comme en 2013 – incurables) <em>alors qu'en haut
on pourrait les soigner</em>. Où l'utopie techno de la santé parfaite, à
travers la mise à disposition charitable de machines à soigner, remplace tout
projet social et politique.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm"><em>Elyseum</em> et <em>Soleil vert</em> sont
intéressants parce que derrière le « tou-te-s ensemble pour sauver la
planète », ils pointent du doigt la variété des intérêts à le faire :
pour les gueux, vital, pour les élites, on trouvera toujours une solution. A
cette aune, le « capitalisme vert » finira par faire ricaner aussi
ses dernier-e-s crédules. Car ce n'est pas « la planète » qu'il faut
sauver, mais des conditions de vie décentes pour tou-te-s, et ça passe par une
réflexion sur les besoins de la vie décente au regard des ressources naturelles
disponibles, les rapports de pouvoir, etc.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm">Mais alors que les rapports de pouvoir figurent
dès le titre (« idiocratie », c'est le <em>pouvoir</em> des
idiot-e-s), on a affaire dans <em>Idiocracy</em> à une vision délirante de la
société. Bon, ça fait du bien parfois de délirer, et c'est le dernier film qui
m'ait fait autant rigoler en offrant un spectacle particulièrement inventif de
ce que peut signifier « être bête à manger du foin ». Mais c'est
l'ensemble de la société qui a été contaminé en 500 ans (!) par l'empressement
des prolos nigauds à se reproduire, tandis que la classe moyenne cultivée se
demandait si vraiment, on pouvait donner la vie dans un monde pareil. A partir
de ce point de vue classiste, le film (scénarisé par le réalisateur et un
quasi-homonyme d'Ethan Coen – le h est placé ailleurs) développe une approche
ignorante des rapports de classe. Paradoxe ? Quand on pense que la bêtise
est génétique et que les <em>white trash</em> (Blanc-he-s pauvres quasiment
privé-e-s de leurs privilèges de race) galèrent parce qu'ils et elles sont des
idiot-e-s congénitaux/ales, pas seulement en raison de leur privation d'accès à
une éducation de qualité et à des perspectives socialement plus réjouissantes,
on n'est pas en mesure de proposer des analyses fulgurantes. Dans
<em>Idiocracy</em>, donc, étrangement, aucune élite sociale n'a eu l'idée de se
protéger de la bêtise ! Alors que... dans la Silicon Valley aujourd'hui,
les enfants des informaticien-ne-s aisé-e-s peuvent redécouvrir dans des écoles
sans écran ce que c'est que d'aller au tableau <strong>(3)</strong>. Dans des
écoles désargentées, en revanche, on arbitre entre l'apprentissage de
l'écriture manuscrite et celui des écrans – et ce sera le deuxième, apprends à
taper ta liste de courses sur ton smartphone. Les élites ont toujours su
s'extraire de la dégradation des sociétés qu'elles gouvernaient pour préserver
leur mode de vie.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm">C'est d'ailleurs tout l'intérêt de films comme
<em>Soleil vert</em> ou <em>Elyseum</em> d'imaginer les nouvelles enclosures
qu'elles auront mises en place dans cette optique. Mais pas dans
<em>Idiocracy</em>, où elles sont aussi nœuds-nœuds que leurs administré-e-s.
Question : est-ce que la science-fiction peut être aussi délirante ?
J'en doute, car c'est bien le réalisme et la cohérence des situations, quand
bien mêmes elles seraient éloignées dans le temps et dans l'espace, qui me
semble être au cœur du genre. A voir...</p>
<p style="margin-bottom: 0cm">(1) Toute ressemblance avec les tentatives
actuelles de promotion du végétarisme ou de l'entomophagie, par lesquelles des
élites bien-pensantes, emmenées par Bill Gates et Paul McCartney, cherchent les
moyens d'éviter au bon peuple la consommation de viande qui ferait du mal à la
planète, est purement fortuite.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm">(2) Pour les plus jeunes, c'est comme ça qu'un
ministre de l'Intérieur décrivait l'expulsion de sans-papiers de l'église St
Bernard en 1996.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm">(3) Cédric Biagini, <em>L'Emprise numérique</em>,
L’Échappée, 2013.</p>
<p><img src="https://blog.ecologie-politique.eu/post/La-fin-du-monde-riches-gueux#" alt="" /></p>Portland, capitale cinéphile de l'Amérique du Nord ?urn:md5:969b8e9a61c0c201e54c92d3ed471de72013-01-19T04:15:00+01:002014-01-04T11:11:48+01:00AudeReportagesAmérique du NordCinémaTechnique<p>Avant que ne décline dramatiquement la fréquentation des salles de cinéma,
l'exploitation des films était structurée d'une manière assez différente de
celle que nous connaissons aujourd'hui. Au fil des décennies, le nombre de
copies mises en circulation à leur sortie n'a cessé de croître, l'idéal étant
que dans les plus petites salles on puisse accéder aux films huit semaines au
plus tard après leur sortie nationale. La télévision, qui a drainé le public
des salles, stimule aussi la fréquentation des cinémas. Et tout le monde est de
plus en plus impatient de voir dès les premières semaines une sortie
abondamment commentée à la télé. L'offre des salles répond à cette impatience,
les copies déferlent sur tout le territoire pour une durée de vie de plus en
plus courte, et chaque année voit battu le record du nombre de copies pour un
même film (350 ! 700 !). On voit même des multiplexes programmer le même
blockbuster dans plusieurs salles pour qu'il soit accessible à n'importe quelle
heure du jour. On n'a plus jamais loupé l'heure, la prochaine séance commence
en permanence. Tout cela occasionne un gâchis de pellicule auquel le numérique
et ses copies reproductibles sans (presque) de support matériel semblerait
(presque) apporter une réponse écologique (nous y reviendrons dans un prochain
texte). Et une standardisation des salles, qui programment toutes à peu près
les mêmes films au même moment (y compris les films de patrimoine, qui
n'échappent pas à la règle), et dont les différences tarifaires ne tiennent
qu'à un critère : subventionnées ou non.</p>
<p>En arrivant à Portland, sans me douter du sort qui m'attendait en tant que
spectatrice, j'ai fait non seulement un voyage dans l'espace, mais aussi un
voyage dans le temps.</p> <p>Au temps des salles de quartier et des salles de première exclusivité...
C'est dans les premières que sortaient les productions de prestige : en
centre-ville, dans des salles classieuses, plus grandes, plus neuves, elles
attiraient un public aisé ou désireux de se payer le grand jeu. Les films y
étaient projetés au tout début de leur carrière, qui se poursuivait pendant des
mois, descendant chaque fois dans une salle moins prestigieuse, jusqu'à arriver
dans les quartiers. C'est là qu'allaient les voir les gamins avides de cinéma,
les amoureux/ses pas très difficiles sur le choix du film et tout un public
populaire, pas très argenté mais qui se payait facilement une séance
hebdomadaire. Laquelle séance occupait plusieurs heures, entre les bobines
d'actu, les dessins animés, le grand film et la série B. Ce cinéma de
grand-papa, c'est celui qu'on retrouve dans les films qui rendent compte d'une
enfance de cinévore d'après-guerre <strong>(1)</strong>.</p>
<p>Nous sommes en 2013, et il y a à Portland comme ailleurs des multiplexes
avec leurs places à dix dollars, idéalement situés dans des centres
commerciaux, mais aussi des salles de prestige comme celle du NW Film Center,
où je n'ai pas mis les pieds. C'est que les grands films d'Universal, la rétro
Barbara Stanwick, j'en profiterai en Europe si je n'ai pas déjà tout vu dans
les cinémathèques que j'y ai fréquentées (Amsterdam, Valencia, Bruxelles) ou en
DVD. Ici je profite des salles de quartier, qui sont une expérience de
spectatrice fondamentalement différente. Sur la rue, une enseigne vieillotte
qui brille de tous ses feux. C'est le paon du <a href="http://cinematreasures.org/theaters/3326">Laurelhurst</a>, les lettres animées
du <a href="http://cinematreasures.org/theaters/2014">Cine...magic</a> ou la
verticalité du Hollywood Theater. Et de tant d'autres où je n'ai pas eu
l'occasion d'aller tellement les reprises étaient tardives ou les films un peu
trop nuls : le <a href="http://cinematreasures.org/theaters/335">Bagdad</a> et sa déco orientale,
l'Avalon où l'on peut aussi passer la journée sur des jeux vidéo, l'Academia un
peu loin de chez moi mais où l'on sert paraît-il d'excellentes pizzas. A
l'intérieur, juste après la caisse, il faut refaire la queue pour les
<em>concessions</em>, soda et pop-corn ou bière d'une micro-brasserie locale et
pizza elle aussi du quartier. Et dans la salle, il y a des tablettes devant
chaque siège pour pouvoir poser tout ça. Aller voir un film sans passer la
première demi-heure à grignoter semble un plaisir aussi douteux que des cookies
sans un verre de lait... Mais avec une place à trois ou cinq dollars, la soirée
ne vous coûtera jamais aussi cher que la reprise d'un Maurice Pialat en
centre-ville.</p>
<p>Dans certaines salles, le sol poisse un peu, le film est déjà vu et revu, et
trois dollars c'est ce que ça vaut. Au Hollywood, les tarifs hésitent entre
cinq et sept dollars, on est en milieu de gamme, dans une ancienne salle de
première exclusivité. C'est l'unique cinéma associatif de la ville, financé par
son public, ses sympathisant-e-s et mécènes, et quelques fondations. Et le sol
est impeccable, c'est moi qui passe le balai entre chaque séance avec une
cinquantaine de bénévoles. Après <em>Holy Motors</em> ou le docu sur le
changement climatique vu par les glaciers, on s'ennuie un peu. Mais après les
séances de kung-fu de Dan, le programmateur qui distille les perles de sa
collection (la centaine de bobines est à la cave), qu'est-ce qu'on s'amuse à
repérer les verres de bière vides parfois malicieusement cachés entre deux
sièges. Le cinéma fonctionne avec une équipe salariée soutenue par des
bénévoles qui s'occupent de la caisse, de faire péter le pop-corn ou de servir
des verres aux plus de 21 ans <strong>(2)</strong>. A chaque fin de semestre,
il faut se battre pour trouver un créneau libre, parce que c'est le moment où
les étudiant-e-s doivent justifier des heures de bénévolat pour leur cursus.
D'autres mois sont plus tranquilles, et il a pu nous arriver de faire en équipe
légère, mais le public qui attend à la caisse est extrêmement bienveillant. Pas
parce qu'on est bénévole, mais pas ce qu'il est américain, et que râler lui
gâcherait le plaisir de sa sortie ciné, alors il ne lésine pas sur les sourires
et les encouragements.</p>
<p>L'architecture des lieux est propice à la détente : un hall tout en
courbes, un escalier qui donne sur une rampe mystérieuse, des couleurs chair,
le tout assez utérin. En 1926. l'année de sa construction, la grande salle fait
plus de mille sièges, les toilettes sont comme au cinéma avec un boudoir pour
les dames, et le Hollywood entraîne avec lui le développement économique de
tout un quartier du même nom, le long du Sandy Boulevard, percée diagonale au
milieu des carrés du <em>grid</em> et grande ligne de tram. Aujourd'hui le tram
a disparu et le balcon a été remplacé par deux salles d'une bonne centaine de
places, contre 350 en bas. C'est que le/la spectateurice moderne a besoin de
confort, et partant de plus d'espace. Au Hollywood, ille est soigné-e car les
sièges viennent d'être refaits suite à une souscription populaire. Prochain
projet, le remplacement de la <em>marquee</em> des années 70 (ces rectangles de
lumière où l'on place des lettres sombres) par une nouvelle sur le modèle de
celle des années 20. L'objectif des plusieurs milliers de dollars de dons a été
atteint, et les travaux commenceront ce printemps.</p>
<p><img src="https://blog.ecologie-politique.eu/public/.hollywood_sunset_m.jpg" alt="hollywood_sunset.JPG" style="display:block; margin:0 auto;" title="hollywood_sunset.JPG, janv. 2013" /></p>
<blockquote>
<p><em>La façade baroque du Hollywood Theater.</em></p>
</blockquote>
<p>Pendant que le Hollywood Theater se refait une jeunesse, et que les
brasseurs locaux McMennamin restaurent d'autres cinémas des années 1920 (comme
le Bagdad), la doyenne des salles à l'ouest du Mississipi (1916 !) et ses
boiseries font un peu la gueule. Propriété individuelle, le <a href="http://cinematreasures.org/theaters/6637">Clinton Street Theater</a>
fonctionne aussi avec du bénévolat (prière de signaler ses films préférés dans
la prise de contact) et accueille des associations et des festivals, mais les
lieux ont besoin d'un coup de neuf un peu plus concret. Est-ce que c'est lors
d'une performance du <em>Rocky Horror Picture Show</em> que l'écran s'est pris
cette tache jaune ? On ne le saura pas, mais tous les samedis à minuit
c'est la fête, une fois sur deux avec une bande de comédien-ne-s, et l'autre
samedi c'est la salle qui assure le spectacle <strong>(3)</strong>. Ce n'est
certes pas la première salle où l'on s'est amusé à jouer le film pendant sa
projection, mais c'est la plus ancienne où on le joue sans discontinuer, une
fois par semaine à minuit. Autre record de cette métropole moyenne (la 28e du
pays) mais qui est avec Los Angeles et New York la troisième capitale
américaine du cinéma (je relativise ici le titre et assume la reprise flemmarde
d'un titre récent).</p>
<p>Faute de budgets publics pour permettre aux petites salles d'accompagner la
fuite en avant du numérique, aux USA la transition est plus longue. Comme dans
les salles privées du Quartier latin, les salles de quartier de Portland ont
gardé leurs projecteurs 35mm. Méfiez-vous des projections
« numériques », ce sera du Blu-ray. Mais pour le reste, c'est ici
qu'on appréciera le mieux la fin d'un monde. Un seul gros studio a décidé de ne
plus faire tourner de copies 35mm, mais on attend d'un jour à l'autre que les
autres suivent. Avec l'impossibilité d'assurer les investissement nécessaires,
ce sera évidemment la fin des salles de quartier, trois ou quatre décennies
après la France. Loin de moi l'idée d'encourager le tourisme cinéphile (je
prévois justement l'écriture d'un post sur les illusions du voyage) et sa
consommation de kérosène, mais il y a dans le monde entier des expériences de
spectateurices à faire, et pour l'Amérique du Nord c'est encore à Portland
qu'elles se font !</p>
<p><strong>(1)</strong> Et c'est celui qu'a pris le temps de me raconter Armand
Badéyan, auquel j'aimerais rendre hommage ici.<br />
<strong>(2)</strong> Il faut pour cela une licence spéciale, la vente d'alcool
est tellement encadrée ici qu'un jour je n'ai même pas eu le droit d'entrer
voir un film au Laurelhurst (et donc de passer à côté du bar) sans mon
passeport ou sans mon papa et ma maman au motif que j'avais l'air d'avoir moins
de trente ans. Bonne nouvelle, pour les spectateurices qui n'apprécient pas
trop les ados, à partir de 19h les mineur-e-s mêmes accompagné-e-s n'entrent
pas.<br />
<strong>(3)</strong> En préparation : la reprise de <em>The Big
Lebowski</em>, façon <em>Rocky Horror</em>, <em>dude</em>, pour célébrer l'un
de nos plus récents films-cultes.</p>
<p>---</p>
<p><strong>D'autres beaux cinémas de la côte Ouest</strong></p>
<p><img src="https://blog.ecologie-politique.eu/public/.seattle_cinema_m.jpg" alt="seattle_cinema.JPG" style="display:block; margin:0 auto;" title="seattle_cinema.JPG, mar. 2013" /></p>
<blockquote>
<p><em>Une salle non-identifiée, sur la 45e (?) rue à Seattle, en binôme avec
une deuxième du même modèle. L'une est rose, l'autre bleue.</em></p>
</blockquote>
<p><img src="https://blog.ecologie-politique.eu/public/.olympia_cinema_m.jpg" alt="olympia_cinema.JPG" style="display:block; margin:0 auto;" title="olympia_cinema.JPG, mar. 2013" /></p>
<blockquote>
<p><em>A Olympia, WA, pendant le festival du film.</em></p>
</blockquote>
<p><img src="https://blog.ecologie-politique.eu/public/.castro_lobby_m.jpg" alt="castro_lobby.JPG" style="display:block; margin:0 auto;" title="castro_lobby.JPG, mar. 2013" /></p>
<blockquote>
<p><em>Le cinéma Castro, dans le quartier du même nom à San Francisco, le
lendemain de la clôture du festival du film noir.</em></p>
</blockquote>Catch féminin et roller derby : ouvrir le champ des possiblesurn:md5:0130ed54dffc5aa968238d90f87f6f0b2013-01-06T22:26:00+01:002013-11-09T18:50:12+01:00AudeTextesAmérique du NordCinémaFéminismeGenre<p>A propos de deux films<br />
<strong><em>GLOW. Gorgeous Ladies of Wrestling</em>, Brett Whitcomb,
2012</strong><br />
<strong><em>Whip It</em> (<em>Bliss</em>), Drew Barrymore, 2009</strong></p>
<p>Le catch dans les années 80 et le roller derby aujourd'hui sont deux
expressions féminines bien particulières, mais qui ont à y réfléchir de
nombreux points communs. Au-delà du jeu (mettre à terre l'adversaire, se frayer
un passage dans le peloton à coups de hanches), ce sont des jeux de rôle qui
permettent de se moquer d'identités stéréotypées (Babe la gentille fille du
fermier), d'en créer de nouvelles, à l'aide de noms et de costumes, souvent
<em>trash</em>, punk ou mauvais genre, toujours ironiques (ici les exemples ne
manquent pas, mais je ne sais pas par où commencer), ou de rendre hommage à son
histoire et à ses racines (Mount Fiji, Rosa Sparks).</p> <p>Les deux pratiques sont très populaires et ne manquent pas de
spectateurices. La « beauté brutale » de femmes entre elles qui se
font les pires horreurs est un spectacle émoustillant pour le mâle hétéro, mais
<em>GLOW</em>, un show télé des années 80, a conquis un public plus varié, y
compris enfantin, et le roller derby fait rêver les petites et les grandes
filles. Les femmes y trouvent leur compte. Le catch et le roller derby mettent
en scène à l'excès l'agressivité et l'anti-conformisme, avec force bas résille
troués et maquillage outrageux. Mais ça fait du bien, de voir qu'on peut être
autre chose qu'une princesse qui ne peut exister sans être l'appendice d'un
prince.</p>
<p>Les femmes se battent, certes, mais elles sont aussi solidaires. Et l'air de
rien, c'est une découverte aussi étonnante que d'apprendre qu'elles peuvent
faire autre chose que la déco. Dans les représentations traditionnelles, les
femmes entre elles échappent rarement au registre de la rivalité. Il est déjà
rare de voir dans un film ou un roman des femmes se parler (quand il y a deux
femmes, ce qui n'est déjà pas évident <strong>(1)</strong>), mais il l'est
encore plus de les voir s'aider les unes les autres. Cette solidarité, c'est ce
qui transpire du récit de l'expérience des GLOW, et c'est ce qui fait le
<em>happy ending</em> de <em>Bliss</em>. Et l'essentiel de l'expérience du
roller derby, d'ailleurs, puisqu'il s'agit autant pour la joueuse de tête
(<em>jammeuse</em>) de passer les joueuses adversaires que pour les joueuses de
l'équipe (<em>blockeuses</em>) de faire de la place pour leur <em>jammeuse</em>
(et on se relaie dans tous les rôles, même dans <em>Bliss</em> qui pourtant
cède un peu plus que dans la vie au <em>star system</em>, avec une protagoniste
qui ne s'abaisse jamais à être <em>blockeuse</em>).</p>
<p><img src="https://blog.ecologie-politique.eu/public/.roller_derby_m.jpg" alt="roller_derby.JPG" style="display:block; margin:0 auto;" title="roller_derby.JPG, janv. 2013" /> <em>Un
match de roller derby au Coliseum de Portland, Oregon.</em></p>
<p>L'intérêt des deux disciplines, ce n'est pas de présenter un modèle super
intéressant de féminité. C'est de présenter des contre-modèles assumés, de dire
qu'à côté de ce qu'on a en tête comme stéréotype (la belle meuf en maillot de
bain) il y a une réalité diverse (la belle meuf en maillot de main qui hurle à
la figure d'une grosse meuf musclée qui est en train de l'étouffer dans ses
bras). Une des déceptions de <em>Bliss</em> est d'ailleurs le caractère plutôt
conventionnel des corps des actrices, alors que le roller derby arrive à réunir
dans des arènes de 10.000 spectateurices un publie varié (familles plan-plan,
couples de filles, jeunes branché-e-s) pour voir jouer non pas des hommes
professionnels aux corps d'athlètes mais des filles grandes, petites, maigres,
grosses ou au physique plus passe-partout, qui à côté bossent ou étudient.</p>
<p>Ce dont souffrent les femmes aujourd'hui, c'est qu'on ait envers elles des
attentes bien plus stéréotypées qu'à l'égard des hommes, et qui leur ferment
des carrières (je sais pas, moi, leader politique, administratrice d'entreprise
cotée au CAC40, charpentière), soit qu'elles n'osent pas les envisager, soit
qu'on leur fasse la vie extrêmement dure pour arriver au même succès qu'un
homme médiocre dans le même champ. L'idéal étant d'être jolie mais pas trop,
séductrice mais pas salope, et de chercher à briller dans une profession déjà
assez féminisée pour ne pas devoir essuyer les plâtres. Alors tout ce qui peut
faire voler en éclats ces images simplistes de ce que c'est qu'un métier, un
corps, une attitude, une carrière ou une vie de femme, est plus que
bienvenu...</p>
<p><strong>(1)</strong> Le test de Bechdel propose trois critères pour décider
du caractère non-sexiste d'un film ou d'un livre : 1-la présence d'une
deuxième femme (pas juste princesse Leia, aussi formidable soit-elle) ;
2-un dialogue, à un moment, entre deux femmes ; 3-un dialogue qui ne
serait pas focalisé sur un personnage masculin, ce qui exclut aussi bien le
crêpage de chignon entre rivales que les conseils de la belle doche pour
satisfaire monsieur. Et ils sont rares, les films qui échappent à la
condamnation pour sexisme. Pensez-vous, des femmes qui parlent de ce qu'elles
sont ou de ce qu'elles vont faire ensemble, c'est un spectacle peu
ordinaire !</p>