La réforme des retraites ou trois leçons sur la démocratie

La réforme des retraites est un moment de déni de démocratie à plusieurs titres. Non seulement, comme l’a montré la constitutionnaliste Laureline Fontaine, le 49.3 de la première ministre pour se passer du vote du Parlement a été déclenché sans fondement, comme pour une simple loi de financement, alors qu’il s’agissait d’une réforme importante et non d’une reprise du fonctionnement annuel, ce qui interdisait d’avoir recours à une telle procédure d’adoption. Si la loi n’a pas été retoquée par le Conseil constitutionnel, toujours selon Fontaine, c’est en raison de la faiblesse grave de cette institution, trop proche du pouvoir et qui n’a pas les moyens de fonctionner comme le ferait un conseil de sages juristes (mais ça y est, on a la confirmation que son président a bien un DEUG de droit, un diplôme qui sanctionne deux années d’études).

Le deuxième déni de démocratie, ce sont des millions de personnes dans la rue en 2023 pour mettre la pression sur le Parlement, 80 % de personnes opposées à la réforme dans les études d’opinion et une loi qui passe quand même. On ne réunit pas cette majorité énorme avec un raisonnement démagogique à la « après moi, le déluge » qui aurait inquiété toutes les personnes de plus de 50 ans sur leur propre avenir. On la réunit quand on a des alternatives et le conseil d’orientation sur les retraites (COR) en proposait trois, non-exclusives l’une de l’autre :

1-Réduire le montant des pensions est une option dangereuse car les retraité·s et les futur·es retraité·es votent plus que le reste de la population et par ailleurs les gens qui espèrent un jour toucher une retraite ont l’ambition de ne pas vivre, comme le firent les plus vieux jusque dans les années 1980, dans une pauvreté crasse qui justifie encore aujourd’hui le tarif réduit au cinéma. Néanmoins il existe de grandes injustices intragénérationnelles, quand des femmes et des indépendant·es aujourd’hui ont des retraites en-dessous du seuil de pauvreté. Et des injustices intergénérationnelles, puisque dans ma classe d’âge nous avons pour beaucoup des parents (y compris de classe populaire) qui gagnent 50 000 euros par an, prêt du logement depuis longtemps remboursé et héritage encaissé alors que nous-mêmes avons ont un avenir beaucoup plus incertain (1).

2-Augmenter les cotisations sociales est l’option à laquelle répugnent tous nos gouvernements depuis quarante ans, suivant ainsi une doxa néolibérale qui n’a jamais fonctionné que pour le profit du capital : les prélèvements de l’État doivent à tout prix baisser. L’évaluation des derniers dispositifs en date d’exemption de cotisations, comme le CICE, ne montre pas d’effet significatif sur l’emploi, seulement en négatif sur les finances publiques et les biens communs comme la Sécurité sociale. La baisse des recettes de l’État est une politique de classe qui fait le consensus de la classe politique, d’une bonne partie du PS au RN alors qu’elle est remise en cause par un paquet d’économistes non-orthodoxes et une majorité de la population. Cette option d’augmentation des cotisations avait la préférence d’une grande part des gens qui battaient le pavé en 2023.

3-Augmenter l’âge de la retraite est l’option préférée des gouvernements qui se sont succédé depuis un quart de siècle, avec un passage de 60 à 62 puis 64 ans aujourd’hui, alors même que l’espérance de vie en bonne santé commence à régresser et quand bien même le chômage des plus de 50 ans est élevé. (Entre ça et le chômage des jeunes, c’est la moitié de sa carrière qu’on passera dans une situation fragile.)

Nouveau déni de démocratie, l’épisode actuel dans lequel le PS accepte d’apparaître comme un soutien à une minorité présidentielle qui gouverne depuis trois ans avec la complicité de l’extrême droite, en échange d’un moratoire de la réforme des retraites jusqu’à des élections qui dégageront une majorité plus sûre que les trois blocs actuels (dont l’un se targue d’avoir le plus grand nombre de député·es, l’autre d’être le plus gros parti en nombre de député·es, le dernier enfin d’avoir avec lui la présidence). Le moratoire en question n’est à vrai dire qu’un décalage de trois mois (si j’ai bien compris) de la mise en œuvre de la réforme, selon l’économiste Mickaël Zemmour qui a plus d’une fois expliqué avec clarté les enjeux du financement des retraites. Autant dire que cet épisode relève de l’enfumage.

On a donc ici trois modes de gouvernement anti-démocratiques :
-l’enfumage, les fausses promesses, les déclarations biaisées ou carrément mensongères qui ne permettent pas aux gens d’avoir une opinion informée ;
-une faiblesse des garde-fous démocratiques, la Constitution (piège à cons selon Fontaine) et l’instance qui est censée la faire respecter ;
-le fossé faramineux entre le peuple et sa représentation qui est au fond le problème le plus grave, pas seulement dû à l’abstention d’une moitié d’électeurs et loin d’être une nouveauté mais seulement accentué par le caractère très hasardeux des élections en danger RN, lequel fait voter de manière insincère pour éviter un plus grand mal.

Voilà où nous en sommes aujourd’hui, entre crise et fonctionnement peu démocratique habituel des régimes libéraux. Attendons-nous à trimer longtemps si le régime ne subit pas un choc de démocratisation.

(1) Une remarque à mettre en regard avec mon billet précédent.

PS : Pour suivre l'actualité de ce blog et vous abonner à sa lettre mensuelle, envoyez un mail vide à mensuelle-blog-ecologie-politique-subscribe@lists.riseup.net et suivez la démarche.

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : https://blog.ecologie-politique.eu/?trackback/512

Fil des commentaires de ce billet