Un an de santé publique ?

L'an dernier, un 13 mars, les rumeurs d'une action publique très dure pour assurer la santé de tou·tes m'avaient poussée à écrire sur cette notion de santé publique. Sur ce qu'est la santé en régime capitaliste, un secteur marchand dont le premier objectif est de faire du profit. Sur notre refus d'entendre que la santé de tou·tes suppose de prendre soin de chacun·e, y compris des personnes migrantes qui ont été privées d'accès aux soins en France dans les années 1990. Nous avions oublié, en raison notamment de la faible prévalence des maladies infectieuses, que la santé était un bien commun.

Cette année nous avons compris qu'on ne peut pas se protéger, se soigner seul·e. Nous avons compris ce qui nous unit.

Et pourtant, nous continuons sur notre lancée.

Les leçons d'autres pandémies, comme celle de Sida, ne sont pas retenues et plutôt que de faire le choix d'une politique de santé publique avec les gens, le régime parie de faire sans eux, sans les médecins libéraux, sans les corps intermédiaires de la société, sans le Parlement, sans le conseil des ministres et désormais sans le conseil scientifique. Mais rassurez-vous, Emmanuel Macron est « épidémiologiste en chef » et futur agrégé « d'immunologie ».

L'hôpital reste étranglé par le sous-financement, la réforme emblématique de ce lent mouvement restant la tarification à l'acte ou T2A mise en œuvre par un certain Jean Castex (écouter à ce sujet l'émission de vulgarisation économique « Pourquoi maltraite-t-on nos hôpitaux ? » rediffusée le 17 mars 2020). Côté prévention, William Dab, épidémiologiste et ancien directeur de la santé (2003-2005), décrit ici les raisons structurelles qui nous font payer si cher cette pandémie parce que nos dirigeants ont refusé d'y mettre les moyens : « Il y a dans ce pays une faiblesse de la santé publique et une vision comptable des missions de l’État. (…) On s’intéresse à la santé publique en temps de crise, en temps de paix, on oublie. (…) C'est comme si nous n'apprenions pas. »

Les vaccins restent un bien privé, comme ça les pays qui ne peuvent pas se les payer seront le terrain de jeux de nouveaux variants. Ceux-ci viendront mettre à mal les efforts des pays qui peuvent se payer un vaccin et se croient bien à l'abri derrière leurs petites frontières-forteresses que seul l'argent peut traverser.

Nos vies sont au service de l'économie et nous sommes sommé·es de ne plus exister à partir de 18 h quand nous rentrons du boulot, et bientôt peut-être le week-end. Nous payons la lutte contre la pandémie de nos vies sociales, affectives, politiques, pendant que les activités économiques ne se voient imposer aucune obligation de protection des salarié·es, ça leur est seulement recommandé (1). Cette priorisation de l'économie maintient l'urgence sanitaire à un niveau élevé, laisse mourir les plus vulnérables, des gens sûrement incapables d'après nos dirigeants de « vivre avec le virus », et perd sur les deux tableaux, comme l'explique ici Romaric Godin :

« On peut considérer que c’est une forme d’absence de choix, mais, plus exactement, c’est un choix de donner la priorité, autant qu’il est possible, au maintien de l’activité économique. Le choix du couvre-feu ou d’un confinement "réduit" vient confirmer cette tendance : il s’agit de sauvegarder autant qu’on le peut l’activité productive. Fût-ce au prix de la destruction de tous les autres moments de la vie. (…) Mais cette stratégie est perdante à coup sûr parce qu’elle conduit au pire des deux mondes : un désastre économique et un désastre sanitaire. C’est finalement assez logique : la concentration sur l’économique laisse la situation sanitaire se dégrader, sans en réalité protéger l’activité qui est alors ralentie par la prudence des agents économiques et la situation internationale. (…) Autrement dit : en voulant ménager "l’économie", on provoque un choc négatif violent en même temps que l’on a déjà perdu la bataille contre le virus. »

Quand cette politique extrêmement dure de santé publique, cette politique qui nous évoque le Moyen-Âge (2) a été mise en œuvre l'an dernier, c'était un effort impensable auquel nous nous sommes pourtant soumis·es un peu par peur et beaucoup pour casser l'épidémie par un effort collectif. Se voir demander un nouvel effort parce qu'on n'a rien capitalisé du premier, constater que cet effort n'a plus d'efficacité (il ne fait que contenir un chiffre d'hospitalisations et de morts élevé), qu'il n'est plus partagé que de manière extrêmement inéquitable et constater qu'en manière d'économie la solidarité est un vain mot (pendant que les plus riches se bâfrent avec moins de vergogne que jamais, d'autres réapprennent la bête, l'ignoble faim, dans un pays exportateur de nourriture), voilà un beau paradoxe.

La santé est un bien commun mais que nous gérons dans une optique néolibérale et prédatrice (3). Sans surprise, nous en mourons à petit feu, corps et âmes.

(1) Je raconterai ici comment j'ai été contaminée au travail en l'absence de mesures de protection.
(2) François Bonnet dans Mediapart parle de « mesure jamais intervenue depuis le Moyen Âge » mais à vrai dire le confinement et la quarantaine se sont poursuivies sous des formes diverses à l'âge classique et après, écouter à ce sujet l'historien Patrick Boucheron.
(3) Ce qui est public appartient à l'État, pas à la société, et plus celui-ci s'éloigne de la mission dont il se prétend (hypocritement) chargé, plus la différence est sensible entre ce qui est public et ce qui est commun.

À (re)lire également, ce texte du 12 mars 2020 : « La réduction des risques et la solidarité, c’est nous »

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