Madame ou mademoiselle ?

J’y ai fait allusion ici a plusieurs reprises : « mademoiselle » a officiellement disparu du langage administratif francais (1) et j’en viens a me demander, meme si l’on doit ce pas en avant a un gouvernement de droite, si ce n’est pas une mesure aussi importante que le mariage pour tou-te-s. Les deux contribuent a la remise en cause d’une vision du couple et de la famille qui avaient fait leur temps. Non pas qu’avant soit par essence moins bien, mais le nom de famille n’etait plus patronymique depuis qu’une mere pouvait donner le sien et le celibat d’une femme ne laissait plus automatiquement supposer sa disponibilite sexuelle...

Car a quoi bon s’acharner a donner aux femmes des titres en rapport avec leur statut marital, alors que celui des hommes n’a jamais interesse au point qu’on appelle les puceaux « mondamoiseau » ? C’est bien parce que les attentes concernant la vie sexuelle des femmes et des hommes sont longtemps restees asymetriques – mais tout va bien depuis, vive la liberalisation sexuelle. Les plus grands philosophes (on me confirmera si John Locke en faisait partie) l’ont meme theorisee au titre de la difference naturelle entre femmes et hommes : les premieres ont plus de mal a cacher leur statut de parent biologique, tandis que les seconds pourront toujours etre tenailles par le doute. Ca, c’est la nature, le socle auquel il faut tout ramener (ici collez le discours sexiste de votre choix) ou qu’il s’agit de nier en bloc – et je me souviens du malheureux jour ou j’ai ose dire devant une feministe radicale qu’en rencontrant une personne pour la premiere fois on eprouvait a son sujet une curiosite « naturelle ». Sur ce socle de la difference sexuelle, des donnees naturelles dont je reconnais l’existence, s’invente le genre, tout le travail fait pour organiser la vie sociale selon deux modeles, feminin et masculin. En etudiant ce champ de l'activite humaine, on a appris des choses passionnantes, combien nombre de traits qui nous paraissaient naturels sont en fait construits, y compris la definition rigide de deux sexes biologiques (2). Ces traits, culturels, evoluent donc d’une societe a l’autre. S’il est naturel qu’un homme ne soit jamais assure d’etre le pere d’un enfant, il est en revanche culturel que cela lui cause du souci, au point qu’il decide d’etablir un regime particulier de relation a autrui pour les femmes dont il ne souhaite pas qu’elles lui occasionnent un doute trop aigu. Meme si je comprends l’esprit de cette mesure, je continue a me demander pourquoi il n’a jamais ete imagine qu’une fidelite conjugale symetrique pouvait etre plus efficace pour atteindre le but en question, d’eviter les relations sexuelles en-dehors des liens sociaux formels... Puisqu’il s’agit de reguler la vie heterosexuelle, s’assurer la fidelite des seules femmes, c’est faire la moitie du boulot. Et leur compliquer la tache. Tout en se gardant un beau role. Tout cela pour rappeler que « mademoiselle » a une histoire.

Mais « mademoiselle » a aussi un present. « Madame ou mademoiselle ? » (ajouter un sourire qui se veut charmeur, des fois que ce serait la seconde), « alors les filles, vous etes toutes seules ? », « vous habitez chez vos parents ? » : tout participe a un traitement differencie des femmes selon la relation qu’elles entretiennent avec un homme. On pourra retorquer que c’est bien naturel, de chercher des signes de disponibilite chez l’objet de son desir, et que les femmes ne sont pas les dernieres a reperer une alliance sur une main virile. Mais elles le font plus discretement... c'est que nous sommes en regime d'inegalite femmes-hommes, dans lequel la disponibilite sexuelle des femmes reste une affaire, dont temoignent par exemple les enjeux autour du viol. Et quand cette curiosite s’attache de fait a evaluer les droits de propriete et le capital-risque en cas d’empietement (3), une femme doit pouvoir exiger d'etre consideree pour soi, en tant qu’individu a part entiere et non moitie en attente de remplissage... Sortons un peu du contexte des rapports de seduction : que fait « Madame ou mademoiselle ? » sinon tenter a tout prix de nous y ramener ? Une tribune politique, signee par un etudiant a l’attention d’une journaliste dont il souhaite demonter le propos, commence par l’adresse suivante : « Chère mademoiselle (madame ?) ». A quoi sert donc la pique qui met en scene la recherche du statut marital de l’interessee ? A la rendre vulnerable a tout prix, et ce sera ici par le rappel qu'elle est une femme. Le rappel qu’elle a la fesse ferme (mademoiselle) ou le sein qui tombe (madame), sachant qu’aucun des deux ne conviendra. Le rappel qu’elle est en couple ou seule, et qu’elle sera jugee en fonction. Idee de stereotypes : en couple elle est trop debordee par ses obligations familiales pour bien faire son boulot, seule elle compense sa frustration de non-remplie en surinvestissant son travail. Le rappel qu’elle est une femme et qu’on peut lui demander en public si elle est en mains. Ce que des etudiants de gauche font encore aujourd’hui a des femmes, un gouvernement de droite nous en a liberees. Il n’y a pas que le mariage dans la vie, il y a aussi le droit de ne pas exister qu’en fonction des liens qu’il cree.

 

(1) Circulaire n° 5575/SG du 21 février 2012 relative à la suppression des termes « mademoiselle », « nom de jeune fille », « nom patronymique », « nom d'épouse » et « nom d'époux » des formulaires et correspondances des administrations. Mais, pour les chauvins de la politique, les petitions contre cette mesure (toi aussi, si tu t'ennuies, defends des expressions condescendantes) etaient issues de la droite.

(2) Anne Fausto-Sterling, Les Cinq Sexes, traduction Anne-Emmanuelle Boterf, Payot et Rivages, 2012.

(3) « Désolé, je savais pas. Tu lui diras que je ne savais pas. » Ce sont les paroles d’un dragueur de nuit a une amie, s’adressant a travers elle au proprietaire des lieux, lequel n’est pas seulement absent mais aussi imaginaire.

Commentaires

1. Le jeudi, 3 juillet, 2014, 03h48 par Aude

Bizarre@yahoo.fr, monpuceau, je ne libèrerai pas ton article. Trop agressif et peu argumenté.

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