Les Quichottes

couv-quichotteshd_0.jpg, mai 2021Les Quichottes. Voix de la Laponie espagnole, Paco Cerdá, traduit de l'espagnol par Marielle Leroy, La Contre-allée, 2021, 272 pages, 20 €

L’Union européenne est plus densément peuplée que l’Asie (99 hab/km²) ou l’Afrique (44 hab/km²) mais comme partout, la population y est inégalement répartie, se concentrant dans les grandes villes et sur les littoraux. L’Espagne offre un paysage démographique encore plus contrasté puisque le cœur du pays, une région montagneuse au nord et à l’est de Madrid, est aussi dépeuplée que la Laponie, la région la plus septentrionale de Scandinavie. La notion de Serranía celtibérica a permis de décrire ce qui ne sautait pas tout à fait aux yeux. Si elle était une région en soi, elle montrerait des indicateurs inquiétants mais à cheval sur huit provinces et une communauté autonome, la Laponie espagnole est restée longtemps discrète.

Les hivers sont rudes dans la sierra, le relief est tourmenté. Mais il fait froid aussi à Umeå en Suède, rappelle Paco Cerdá, et la Suisse est nichée au cœur des Alpes. Ce qui a dépeuplé la Serranía, c’est autant des facteurs naturels que le volontarisme de l’Espagne franquiste à industrialiser son littoral, en particulier basque et catalan. L’Espagne a été l’objet pendant cette période de fortes migrations, des régions rurales vers celles plus industrialisées et vers la France. Aujourd’hui la Serranía a perdu nombre de ses habitant·es et dans une province comme Soria vivent moins de 10 hab/km².

Cerdá est parti à la recherche des histoires de la Laponie espagnole et, de village dépeuplé en village désert, il crée une mosaïque de récits avec des vieilles et des vieux, beaucoup, mais aussi des enfants dans des classes de quatre élèves ou des néo-ruraux/ales qui en ont chié pour rester. Le dépeuplement, c'est autant une certaine solitude qu'un manque de services publics et certains villages sans électricité sont néanmoins tout près d'une ligne THT (très haute tension). L'auteur se noie parfois dans les chiffres, à la recherche de la densité la plus spectaculaire et multipliant les milliers de kilomètres carrés de surface (allant jusqu’à les convertir en terrains de foot, l’unité de mesure à la mode). Mais côté faits, on reste parfois sur sa faim en ce qui concerne les dynamiques sociales, économiques et politiques qui ont dépeuplé la Serranía aussi sûrement que les rêves modernes de ses habitant·es. Quels choix ont été faits en matière d’agriculture, notamment, pour dépeupler à ce point la sierra ? Qui sont ces acteurs économiques qui profitent du dépeuplement pour mettre la main sur les terres et qu’en font-ils ?

Ce sont néanmoins de beaux récits, joliment écrits et sensibles, et en affleurent souvent les réflexions des habitant·es de la Serranía sur la ruralité et le traitement inéquitable entre urbain·es et ruraux/ales (1), le confort moderne (de quoi avons-nous vraiment besoin ?), le rapport aux autres (la solitude est plus ou moins acceptée par celles et ceux qui restent ou reviennent), la vie administrée dans les grandes villes (y émigrer, c’est se salarier et accepter les ordres de la hiérarchie), la liberté enfin.

(1) Les services publics en milieu dispersé sont plus difficiles à assurer, donc plus chers pour la collectivité, mais les grandes villes concentrent les moyens publics, y compris quand on les évalue par habitant·e. Ce sont des choix politiques et qui légitiment qu’on en fasse d’autres pour assurer un aménagement plus harmonieux du territoire, sans aller jusqu’au mitage, la liberté absolue d’installation.

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