Le Voyage d’Henry

Le Voyage d’Henry, D.B. JOHNSON, Casterman, coll. Récits d’aujourd’hui, 2001 et 2007, 13,95 euros
(Henry hikes to Fitchburg, 2000)
Lecture parue dans EcoRev'

Voici un album jeunesse passé inaperçu en France, malgré son accueil enthousiaste aux USA : meilleur album jeunesse de l’année d’après le New York Times, belles ventes et depuis l’ouvrage se voit consacrer une page sur Wikipedia. C’est Casterman qui a tenté l’aventure de proposer Le Voyage d’Henry au public francophone et ce, dans deux éditions successives. Et rien.

Pourtant, on est ici devant une curiosité. Car l’auteur a relevé la gageure d’expliquer en quelques pages à un public très jeune la notion de « vitesse généralisée » popularisée dans les années 1970 par Ivan Illich et Jean-Pierre Dupuy. Rien que ça. Rappelons, pour ceux et celles qui ont ignoré Énergie et équité (une série d’articles parus dans Le Monde en 1973, désormais disponible dans le premier tome des Œuvres complètes chez Fayard), ce qu’est la vitesse généralisée. La vitesse d’un véhicule se calcule selon la distance qu’il parcourt en un temps donné. Les embouteillages font déjà considérablement baisser cette vitesse. Mais Jean-Pierre Dupuy pousse le vice jusqu’à ajouter le temps passé à recueillir l’argent nécessaire à l’achat et à l’entretien de la voiture, le temps passé à l’amener au garage, à la laver, etc. Dans les années 1970 cette vitesse généralisée était de 7km/h, aujourd’hui elle est de 6km/h.

Soyons justes, le tour de force que constitue Le Voyage d’Henry tient surtout à l’intuition géniale qu’a eue de la contre-productivité de la technique Henry David Thoreau, auteur de Walden, texte autobiographique publié à Boston en 1854. Dans l’album qui nous intéresse, quand un ami lui propose à d’aller en train à Fitchburg, à 40km de là, Henry répond qu’il préfère faire la distance à pied, plutôt que se contraindre à réunir les 90 cents nécessaires au voyage. Car l’ami d’Henry ne mettra pas une heure à rejoindre Fitchburg dans un train bondé, mais toute la journée, qu’il consacrera à faire de menus travaux rémunérés chez ses voisins. D.B. Johnson propose en montage alterné les journées respectives de l’ami anonyme d’Henry et de ce dernier. Page de gauche, l’ami trime : repeindre une clôture, rentrer du bois... à droite de chaque double page, Henry jouit de la nature. C’est justement ce plaisir de marcher dans la nature, faire la sieste sous un arbre ou cueillir des mûres qui fait arriver Henry à Fitchburg quelques minutes après son ami !

Le Henry de D.B. Johnson est un personnage anthropomorphe vaguement canin, qui évolue dans un décor un peu cubiste et déstructuré aux couleurs profondes. Un style original, loin de l’illustration laborieuse, qui ajoute au plaisir de la lecture. Le Voyage d’Henry est le premier ouvrage que l’auteur a consacré au personnage de Thoreau, sa collection s’étant étoffée de Henry construit une cabane, Henry escalade une montagne et... Henry travaille. Casterman va-t-il publier ces titres ? Espérons qu’un autre éditeur francophone s’en chargera. Car même si cette maison propose sur son site un excellent dossier qui accompagne le livre, il est à remarquer que cette ode à la lenteur, au voyage de proximité, à l’attention portée à la nature sous nos pieds... a été imprimée à Singapour, en pur produit de cette mondialisation inhumaine qui contribue à détruire la planète.

Pour suivre le voyage d’Henry : le site web de l’auteur, sur lequel on peut lire le livre en ligne (en anglais)

D'autres chroniques de bouquins jeunesse sur des questions d'écologie sur le blog de Comptines.

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