Le Grand Livre pour sauver la planète

Documentaire de Brigitte Bègue et Anne-Marie Thomazeau, illustrations de Pef, direction éditoriale Alain Serres
Avec la participation de Yann Arthus-Bertrand, Allain Bougrain-Dubourg, Jean-Louis Étienne, Jean-Marie Pelt et Aminata Traoré
Rue du Monde, 2009

Tout savoir sur l'écologie, le retour du retour. Le Grand Livre pour sauver la planète n'est le premier ni de sa collection (chaque question de société a son Grand Livre chez Rue du Monde), ni du concept « bouquin encyclopédique et de sensibilisation des 8-13 ans aux questions d'écologie ». Le résultat est encore une fois impressionnant, riche non seulement en illustrations (les gags de Pef et des photos en noir et blanc dont on sent que certaines acceptent mal de quitter leurs couleurs originelles), mais aussi en informations, dans le texte principal et dans ses à-côté (les « bonnes nouvelles », « alertes », autres notes marginales et grands témoins dont l'entretien clôt chaque séquence de deux chapitres). Le livre, pour foisonnant qu'il soit, respire agréablement, sa langue et sa mise en page sont claires.

La progression est assez classique, qui met d'abord en avant de grands dossier environnementaux (eau, forêt, air et pollutions, climat, déchets). Chacun est abordé depuis son versant scientifique, avec force chiffres, avant de devenir un thème de société. Toujours la même hésitation au sujet de l'écologie, discipline scientifique devenue pensée politique. Une approche sociale (l'indispensable solidarité avec nos six milliards de colocataires de la planète Terre) vient compléter l'ouvrage, qui s'achève sur des réponses (les éco-gestes, l'engagement associatif) à la malheureuse question : « mais qu'est-ce qu'on peut faire ? ». Air connu donc, et ici Rue du Monde ne rompt pas avec les bonnes habitudes.

L'une d'elles consiste à dépolitiser les questions écologiques, pour permettre aux plus jeunes (dont le devoir sera de « faire passer le message » aux générations perdues, comme le souhaite Allain Bougrain-Dubourg) d'intégrer la vulgate écologique du moment. D'emblée l'écologie politique est désavouée, avec la mention de « slogans inscrits sur des tracts ou des banderoles, comme c'est le cas depuis plus de trente ans ». Les théoriciens de l'écologie, de Serge Moscovici à René Dumont, en passant par Jacques Ellul et André Gorz, apprécieraient de voir leur œuvre réduite à des « slogans ». Plus loin, crédit est fait aux associations et partis qui se sont emparés de la question écologique d'avoir sensibilisé les auteurs des politiques publiques en la matière. Ouf.

Mais cette incohérence n'est ni la première ni la dernière, et le livre fourmille de propos modalisés (« les consommateurs que nous sommes sont toujours un peu responsables »), de réserves (« la France se contente de conseiller aux agriculteurs et aux jardiniers d'être prudents en manipulant (les pesticides) ») immédiatement suivies de cris de victoires (« les coccinelles et les fleurs sauvages vont se réjouir ! ») ou surmontées par un optimisme de bon aloi (« c'est déjà ça ! » pour le Grenelle, « c'est mieux que rien » pour l'évaluation a minima des substances chimiques présentes sur les marchés européens – ou projet REACH). C'est le royaume des mais, néanmoins et malgré tout, avec une hésitation constante à propos de la tête sur laquelle faire porter le chapeau.

Manque de « discipline », de « responsabilité », « d'efforts » de la part des individu-e-s ? Ou emprise des entreprises sur la vie publique ? Si certaines responsabilités sont nommément citées (l'exploitant de forêts boréales et fabricant de Kleenex Kimberly-Clark), d'autres restent tues (ah ! ce drame de l'exploitation des bois tropicaux africains dont il serait indélicat d'accuser le papetier français Bolloré, patron de presse et ami du président de la République). Et toujours l'on tourne autour du pot : les hommes d'affaires, les industriels, l'organisation du commerce, les grands groupes… ne seraient-ils pas des substituts au gros mot capitalisme ? Aminata Traoré crache le morceau et avoue la faute au « système économique libéral ». Enfin ! On avait fini par imaginer que les problèmes de sous-alimentation au Sud n'étaient qu'un problème de production agricole… On apprécie quelques partis pas si facile à prendre, comme les arguments en faveur du nucléaire qui n'arrivent pas à balancer ceux qui s'y opposent, ou la relativisation de l'impact climatique de la Chine, quand un-e Chinois-e émet encore deux fois moins de gaz à effet de serre qu'un-e Français-e. Il aurait été plus facile de se contenter de la condamnation des 4x4, des OGM et de l'inaction de gouvernements abstraits.

Mais d'autres prises de position auront de quoi faire hurler les écolos: « la bio ne peut répondre aux besoins alimentaires de toute la planète », le TGV est plus écologique que le train, la décroissance est un mouvement réactionnaire qui ne propose que du moins. Car si ce Grand Livre semble dépolitisé, il est néanmoins porteur des valeurs productivistes qui irriguent toujours notre pensée. Progressiste: « depuis six millions d'années les hommes ne cessent ainsi d'améliorer les conditions de vie »… On demande à voir, entre détérioration de l'environnement et régression sociale, si le mouvement de l'Humanité a toujours été celui d'un progrès égal. Et si, fruit de ce progrès, le grille-pain est vraiment aussi indispensable à une vie confortable que le lave-linge! Techniciste : tour à tour le dessalement de l'eau de mer, les avions solaires et les vaccins pour neutraliser la flore intestinale des vaches et les empêcher d'émettre du méthane sont présentés comme des solutions qui permettront (dans un futur imprécis) de résoudre nos petits soucis écologiques tout en ne changeant rien (à notre sur-consommation de viande, par exemple). Pourtant l'aventure racontée ici du pot catalytique, dont les bienfaits se sont trouvés noyés dans l'usage accru de la bagnole, aurait pu aider à remettre en question le recours si pratique à la solution technique.

L'ouvrage ne se déprend pas non plus d'une confusion entre l'être humain et son milieu, dans une anthropomorphisation de la nature, qui dit merci à la dame (les rivières sont contentes, les coccinelles ravies) tandis que la planète qu'il s'agit de sauver signifie aussi bien, dans une métonymie qui commence à devenir fatigante, « milieu de vie de l'être humain », « conditions de la vie humaine dans ce milieu », parfois même « Humanité ». D'où le rappel de Jean-Louis Étienne: « c'est l'homme qu'il faut sauver, pas la planète ! ». Les auteures de Rue du Monde, sous la direction d'Alain Serres, ne sortent pas des sentiers battus de l'écologie à l'usage des jeunes générations et nous livrent un nouveau bouquin ambitieux, bien fichu et, malgré ses grandes qualités, limité. Leurs hésitations et leurs incohérences ne leur sont toutefois pas propres, et viennent plutôt d'une pensée qui domine toujours en matière d'écologie et qu'il faudra un jour cesser de transmettre aux plus jeunes…

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