En toute impunité (2)

Un an plus tard, mon agresseur court toujours avec sa haine, toujours capable d'un passage à l'acte violent. Un an plus tard, je me décide à faire d'autres démarches, cette fois sans attendre la police. Grâce à un ami et à l'excellent site Service-public.fr, je saisis le procureur de la République par une lettre recommandée et attire son attention sur ma plainte en déshérence. Celui-ci peut juger que « mon agresseur » n'est pas que mon agresseur mais une menace pour d'autres encore, autres personnes à vélo ou à pied où dont la tête ne lui revient pas et qu'il souhaite punir comme il a puni mon ami puis moi. J'ai porté plainte pour mon assurance (mais je ne me suis pas assez bien assurée) et pour ça. Mon agresseur n'appartient pas à mon cercle de connaissances, je ne peux rien négocier avec lui, ses proches ou les miens, rien exiger comme réparation. Dans une société anonyme, je ne peux faire appel qu'à la police. Puis à la justice, qui ne bouge pas. Sans réponse du procureur, je porte plainte auprès du doyen des juges d'instruction et demande en raison de ma pauvreté l'exemption d'une provision que sans ça je devrais faire dans le cas où ma plainte serait calomnieuse. Cette exemption m'est accordée et une juge d'instruction est saisie de l'affaire.

Nous sommes plus de deux ans après les faits quand je suis reçue par la juge, Mme Moreau, à laquelle je raconte de nouveaux les faits, mes séquelles psychologiques et des doutes que j'ai concernant le statut de mon agresseur. L'enquête, pourtant pas compliquée puisque le véhicule n'était pas volé, n'a pas abouti. Mon agresseur ressemblait à un membre de la BAC, dans la violence de ses actes comme dans l'assurance de son impunité. La seule pièce qui ne s'emboîte pas avec les autres, c'est la fuite. La BAC ne fait pas de délit de fuite. La juge prend mes doutes au sérieux : « Trois hommes dans une petite voiture, en effet. » Elle me promet donc de ne pas redonner l'enquête à la police sans avoir vérifié à qui appartenait la voiture en question. Si elle appartenait au ministère de l'intérieur, elle saisirait plutôt l'IGPN que la police. Ici les esprits critiques objecteront que l'IGPN, c'est aussi la police puisque notre pays est l'un des seuls d'Europe à n'avoir pas d'instance de contrôle et de discipline des forces de l'ordre structurellement indépendante. On fait avec ce qu'on a.

Cette année-là, un nouveau policier, M. Pannier, prend contact avec moi par mail. Il me propose d'identifier un suspect. Malgré le très très mauvais scan, j'identifie l'homme comme étant de type maghrébin ou d'Europe du Sud (rien à voir avec mon agresseur à la peau rose septentrionale) et j'apprendrai plus tard qu'il s'appellerait… Jean-Pierre. C'est donc à la police que l'enquête a été redonnée. Cette fois l'agent m'explique : « La difficulté dans votre dossier c'est que le véhicule a été acheté à plusieurs reprises et également prêté ce qui rend la tâche ardue afin de tenter de retrouver l'auteur. » Que la voiture soit passée de main en main sans qu'il soit possible de déterminer le conducteur le jour des faits, d'accord, mais pas même le propriétaire ? Le service de l'immatriculation a de ces mystères, moi qui croyais que chaque véhicule avait un propriétaire dûment enregistré.

Deux ans et demie après les faits, la juge me refait signe. Je dois demander l'intervention d'un·e avocat·e pour que me soient adressées les conclusions de l'enquête. L'association de défense du vélo en Nord-Pas de Calais me donne le nom d'une avocate, Me Paternoster, qui a déjà défendu des personnes blessées à vélo et fait pour moi cette démarche pro bono, pour le bien public, gratuitement. Sans cela j'aurais dû payer ses services pour apprendre que la police était ressortie broucouille de la deuxième enquête et que la juge concluait conséquemment à un non-lieu.

L'échec de cette enquête me semble douteux : la police a suspecté un Jean-Pierre qui s'est défendu en disant qu'il avait acheté la voiture courant 2016, quelques mois après les faits. Et sa parole met fin à l'enquête. D'historique des immatriculations, il n'est pas question. De première enquête établissant dès novembre 2015 l'identité du propriétaire, il n'est pas question non plus. Et je n'aurai pas justice.

Qu'il s'appelle Jean-Pierre ou Didier, mon agresseur (bientôt le vôtre ?) court encore les rues. Il se pensait au-dessus des lois, encouragé à punir qui bon lui semble. Et il l'est. Pourquoi, comment un type comme ça peut-il être libre, laissé la bride sur le col par la police et la justice ? Un ami qui étudie la police pour une thèse en sciences sociales hasarde une hypothèse : ce serait un indicateur de police, un informateur bénévole. En échange, la police fermerait les yeux sur ses activités délictueuses et sur ses crimes. Ce type a pu tenter de me tuer en toute impunité.

Si (par votre travail dans l'administration ou une compagnie d'assurance) vous avez accès à des informations permettant d'identifier mon agresseur, merci de les partager avec moi en commentaires ou sur une adresse sécurisée, les informations seront gardées et les messages détruits : aofobb(a)riseup.net.

Commentaires

1. Le vendredi, 5 juin, 2020, 09h48 par pedro38

Une petite erreur concernant le "propriétaire" du véhicule qui serait titulaire du certificat d'immatriculation : c'est faux.
Le propriétaire est celui qui achète la voiture, mais le titulaire de la carte grise peut être n'importe quelle personne (consentante, normalement !), même un mineur, ou une société étrangère.
Il n'est donc pas immédiat de connaître le vrai propriétaire d'un véhicule : çà nécessite enquête (surtout que si le propriétaire a quelque chose à cacher, il évite d'afficher son nom sur une carte grise, c'est quand même la base !)

2. Le vendredi, 5 juin, 2020, 11h38 par Aude

Merci pour la précision ! La police n'a retrouvé aucun responsable : propriétaire, possesseur de la carte grise, pote à qui la voiture aurait été prêtée.

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