Mon blog sur l'écologie politique - Reportages2024-03-26T09:56:39+01:00Audeurn:md5:78a731c5da243981157a40ec0da23d7cDotclearC’est à ça que servent les féministes !urn:md5:dc99a1b580340e0827c1ce7018aa1b432017-03-07T15:42:00+01:002017-06-11T11:16:44+02:00AudeReportagesFéminismeMiliter<p><img title="nom_jeune_fille.png, mar. 2017" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;" alt="" src="https://blog.ecologie-politique.eu/public/.nom_jeune_fille_m.jpg" width="294" height="219" />« Mademoiselle », « nom de jeune fille »… au-delà du
caractère symbolique qu’a le renvoi systématique des femmes à leur statut
marital, faire jongler les femmes avec plusieurs noms leur porte préjudice en
compliquant leurs démarches administratives et en étant source d’erreurs.
Rencontre avec l’une des petites mains d’un chantier de refonte des sites
administratifs qui permettent d’effectuer des démarches en ligne. Elle est
ergonome et développeuse mais également féministe et blogueuse.</p> <strong>En quoi consistait ton travail sur ce chantier ?</strong><br />
J’ai travaillé sur l’ergonomie des démarches administratives dématérialisées
avec une vingtaine de personnes. Il s’agissait essentiellement de formulaires
web dont les champs devaient être organisés le mieux possible pour faciliter le
parcours de l’usager-e. Les commanditaires (divers services administratifs et
ministères) expliquent les informations dont ils ont besoin et je conçois
l’interface, les écrans et les champs que l’usager-e aura à remplir pour
enclencher sa démarche. Dès qu’il y a un champ civilité je mets « monsieur,
madame » en toutes lettres. Je ne mets plus « mademoiselle » qui n’a pas de
raison d’être : aucune loi en France n’impose pour les femmes non-mariées le
terme « mademoiselle », il est même considéré comme discriminant (1). Je n’ai
pas eu à argumenter à ce sujet avec tous les interlocuteurs que j’ai eus. C’est
sur « nom de famille », « nom de naissance », « nom de jeune fille » que ce
n’est pas encore acquis. Je connais assez bien le sujet pour m’y être
intéressée à titre personnel.<br />
<br />
<strong>Tu peux rappeler la règle ? Qu’est-ce que le nom de famille
?</strong><br />
On n’a qu’un seul nom, à vie, dont on n’a pas le droit de changer, c’est celui
qu’on reçoit à la naissance. L’idée reçue selon laquelle la femme change de nom
quand elle se marie n’a jamais été vraie. Elle adopte un nom d’usage qui est
celui de son époux, s’il est d’accord et si elle le veut. Mais son nom reste
celui qui est reçu à la naissance. Ce serait plus pertinent de l’appeler « nom
de naissance », les gens comprendraient mieux. Autrefois on l’appelait « nom
patronymique ». C’est une appellation qui a changé parce que ce n’est pas
forcément le nom du père dont on hérite. Maintenant il s’appelle « nom de
famille », ce qui prête à confusion : une femme mariée qui a pris de manière
traditionnelle le nom de son époux peut penser que le nom de famille, c’est
celui de son époux, et que le nom d’usage est un pseudonyme ou un nom
d’artiste.<br />
<br />
<strong>Le nom d’usage, c’est n’importe quel nom qu’on adopte au cours de sa
vie ?</strong><br />
Le nom d’usage peut être celui d’une personne existante, un conjoint, un parent
ou quelqu’un d’autre. Dans ce cas, il faut demander l’autorisation à cette
personne. Avec le mariage on sait que c’est l’habitude mais il devrait y avoir
un formulaire à remplir où le mari autorise à prendre son nom. Les habitudes
ont une telle force qu’elles en sont venues à déformer les formulaires
administratifs. J’ai encore vu il n’y a pas très longtemps « nom de jeune fille
» dans un formulaire Cerfa très officiel. Je suis restée bloquée devant ! Les
champs « nom de jeune fille » ou « nom d’épouse » n’ont aucune raison d’être.
Ce n’est rien de nouveau, ils n’ont jamais eu aucune valeur en droit
français.<br />
<br />
Parfois on me demandait : « mais pourquoi il n’y a pas le nom de jeune fille ?
» et il fallait argumenter, refaire l’explication. J’étais confrontée à de
l’étonnement. Je donnais l’argument, je rappelais l’article de loi, au besoin
j’allais le chercher sur Internet pour le montrer mais sans trop de difficulté.
Les gens de l’administration sont pleins de bonne volonté, ils sont là pour
appliquer la loi. Ça s’est fait sans trop de résistance. L’inertie est calquée
sur l’usage et peut-être aussi sur les modes de fonctionnement : les
formulaires ne sont pas forcément faits en interne mais confiés à des
prestataires qui répondent à des appels d’offre et qui eux-mêmes ne sont pas
très informés. C’est un coup de bol que j’aie eu sur ce sujet la vigilance
nécessaire et que j’aie tenu aux bons intitulés. Peut-être que dans le lot de
mes interlocuteurs l’un d’eux l’aurait relevé mais peut-être pas. Je n’étais
pas la seule, les partenaires administratifs confirmaient que j’avais raison,
ils étaient informés et faisaient attention… plus souvent les femmes,
d’ailleurs.<br />
<br />
<strong>Les féministes notent également que F précède H dans l’alphabet mais
qu’on présente toujours H en premier.</strong><br />
Ça fait grincer des dents mais ce n’est que symbolique… Je ne sais plus dans
quel ordre j’ai mis la civilité : « madame, monsieur » ou « monsieur, madame ».
Mais je ne vais pas me battre : quelque soit l’ordre dans lequel c’est affiché
sur l’écran, ça ne fausse pas la récolte de données. L’existence de la case «
mademoiselle » impactait la vie des personnes défavorablement et de façon
sexiste. Par exemple, quand une personne coche « mademoiselle », le système
informatique décrète derrière qu’elle n’est pas mariée et ne tient pas compte
de son nom d’usage. Elle ne va pas être enregistrée sur le nom sous lequel elle
est réellement appelée, ça complique ses démarches. Dans mon travail d’ergonome
je dois gommer ce qui va poser des difficultés dans l’usage du
formulaire.<br />
<br />
<strong>« Nom de famille » reste néanmoins propice à la
confusion...</strong><br />
On a été obligé d'ajouter des bulles d’aide pour aider à remplir les champs.
Les formulations ne sont toujours pas satisfaisantes. Mais elles sont légales.
Malheureusement je ne peux pas faire grand-chose, je ne peux pas changer les
intitulés. Légalement je vais mettre « nom de famille » mais ergonomiquement
j’aurais plutôt recommandé « nom de naissance ». Personne ne se trompe sur son
nom de naissance, on sait quel nom on a reçu à la naissance !<br />
<br />
La langue française est très genrée mais on avait peu de phrases à accorder au
féminin ou au masculin. On arrivait à les tourner autrement, par exemple en
demandant la date de naissance plutôt qu’en ouvrant un champ « né(e) le ».
Rédiger de façon non sexiste est une habitude pour moi. Si on arrive à faire
changer les choses, c’est parce qu’on a travaillé depuis des années dessus,
argumenté, publié, manifesté. C’est à ça que servent les militantes féministes
!<br />
<br />
Mais on peut difficilement prendre l’initiative de ne pas faire selon la loi.
Maintenant il faudrait lancer le débat dans l’espace public. Même si ça risque
d’être virulent, comme je le vois sur les blogs chaque fois qu’il est question
de langue française. Je peux comprendre que les femmes qui ont des emmerdes
dans leurs démarches administratives à cause de l’existence de « mademoiselle »
se fâchent. Mais des hommes qui se plaignent aussi violemment que la tradition
n’est pas respectée ? Je n’ai pas réussi à comprendre leurs arguments.<br />
<br />
<strong>D’autres causes en vue ?</strong><br />
Mes interlocuteurs étaient précautionneux de ne pas demander trop de données
aux personnes. C’est un travers que je vois souvent chez mes clients habituels
qui profitent du moindre formulaire en ligne pour récolter plein d’informations
sur les gens. Là, sur chaque champ on se demandait si on avait vraiment besoin
de telle donnée, si ça faisait partie des informations utiles pour réaliser la
démarche. Quand c’était non, la civilité pour une création d’association par
exemple, on retirait le champ. Dans d’autres situations, on a besoin de
vérifier l’état civil parce que c'est nécessaire à la démarche. Ça tient aussi
au respect de la vie privée. J’ai été positivement surprise par la sensibilité
des services à cette question, y compris la préfecture de police. C’était
rassurant. Les discussions ne sont pas allées jusque là mais j’ai quand même
essayé de supprimer le « monsieur, madame ». La civilité, ça permet surtout
d’envoyer des courriers bien formulés. C’est le sexe qui fait partie de l’état
civil. Les deux sont indépendants et il y a eu un seul cas dans tous les
formulaires sur lesquels j’ai travaillé dans lequel le sexe a été nécessaire,
pour une démarche qui anticipe des soins médicaux. La plupart du temps on n’en
a pas besoin. J’ai donc aussi râlé quand on demandait le sexe ou la civilité
des personnes. Je serais pour la disparition de cette notion dans l’état
civil.<br />
<br />
(1) « L’existence des deux termes différents pour désigner les femmes mariées
et celles qui ne le sont pas constitue une discrimination à l’égard des femmes.
» Réponse ministérielle n°5128 du 3 mars 1983, « Femmes : modification d’état
civil » de « madame le ministre délégué auprès du Premier ministre chargé des
droits de la femme ».Espérance de vie : la fin de quelle illusion ?urn:md5:294e101b666eef087a60e5e382b1994d2016-04-11T18:27:00+02:002016-04-12T16:09:53+02:00AudeReportagesEnvironnementÉcologie politique<p><img title="couvLAn02.png, avr. 2016" style="float: left; margin: 0 1em 1em 0;" alt="" src="https://blog.ecologie-politique.eu/public/.couvLAn02_s.jpg" height="203" width="134" /><strong>Article paru dans « Faire la paix avec la
mort », dossier n°8 de <em>En attendant l'an 02</em>, ouvrage collectif aux
éditions Le Passager clandestin, avril 2016, 220 pages, 15 euros</strong></p>
<p><em>« Au moins dans nos sociétés meurt-on toujours plus vieux. »
C'est la tarte à la crème que reçoivent en réponse les critiques de
l'industrialisme, des villes tentaculaires et de la bouffe dopée aux produits
chimiques. Sommes-nous vraiment sûr·e·s de mourir plus tard que les générations
qui nous ont précédées ? Et en quoi cela nous assurerait une vie
bonne ?</em></p>
<p>Janvier 2016. L'INSEE livre les chiffres de la démographie française pendant
l'année écoulée. L'info fait les titres des journaux : l'espérance de vie
est en baisse et la mortalité la plus élevée depuis 1945. Pour la première fois
depuis 1969, les espérances de vie masculine et féminine baissent de manière
simultanée : -0,3 ans pour les hommes, qui meurent en moyenne à 78,9 ans,
et -0,4 ans pour les femmes, pour 85 ans. Les événements météorologiques de
2016 (une canicule en juillet et une vague de froid en octobre) suffisent-ils à
expliquer ce chiffre ? Et ne s'agit-il que d'un phénomène conjoncturel,
comme les démographes nous l'expliquent tout le long de la semaine qui
suit ? Claude Aubert, agronome, promoteur de l'agriculture biologique et
auteur d'ouvrages de santé environnementale comme <em>Espérance de vie, la fin
des illusions</em> (Terre vivante, Mens, 2006), a à ce sujet un avis
sensiblement différent…</p> Il y a quelques décennies on pouvait se targuer selon lui de progrès en matière
d'espérance de vie. La mortalité infantile était encore divisée par trois entre
1960 et 1979 et les maladies infectieuses étaient maîtrisées. Deux achèvement
dus en partie à la médecine mais pas seulement. Les progrès de l'hygiène et du
mode de vie (dont les conditions de travail et de logement) ont également
contribué à nous faire mener des vies plus saines. Mais aujourd'hui, dit-il,
« on est arrivé pas loin du maximum de ce que l'on pouvait faire et
rattrapé par le reste ». Les progrès de la médecine, toujours aussi
impressionnants, n'arrivent désormais plus à compenser les effets d'un autre
héritage des avancées technoscientifiques : un environnement dégradé par
l'agro-industrie et les produits chimiques. Et Claude Aubert de donner un
exemple de cette compensation qui ne marche plus : des soins de qualité
font que « la mortalité par cancer baisse mais il y a de plus en plus de
cancers ».<br />
<br />
Nombre de maladies ont reculé dans les pays riches mais d'autres sont en plein
essor. On les appelle parfois des « maladies de civilisations » et
elles tiennent autant à notre mode de vie qu'à notre environnement. Il s'agit
des cancers dus à la pollution à laquelle nous sommes exposés à titre
professionnel ou dans la vie quotidienne, des maladies neuro-dégénératives
(Alzheimer, Parkinson) dont les causes environnementales commencent à peine à
être étudiées ou bien encore des conséquences des perturbateurs endocriniens
sur le développement psychomoteur, le système immunitaire et les fonctions
reproductrices. Côté mode de vie, l'abondance d'aliments très caloriques et
transformés, le manque de sommeil et le stress, la sédentarité, les grossesses
tardives tiennent à l'organisation sociale mais ont des effets marqués sur nos
corps. Le tabac et l'alcool font partie de ces facteurs de mauvaise santé mais
sont les seuls à faire l'objet de politiques de prévention – très
individualisantes. Claude Aubert compare le traitement social dont ils font
l'objet avec l'influence de l'industrie du sucre, qui établit des partenariats
avec le ministère de l'Éducation nationale pour financer la sensibilisation à
la nutrition. Il en conclut que « le ministère de la Santé, c'est le
ministère de la Maladie, on ne cherche pas à empêcher les gens de tomber
malades ».<br />
<br />
Il est possible de vivre longtemps avec ces maladies de civilisation qui sont
pour la plupart chroniques. Elles portent atteinte à notre qualité de vie puis
deviennent incapacitantes bien avant de nous emporter. « Cela devient
rare, de mourir sans passer des mois en mauvaise santé », note encore
Claude Aubert. Aussi l'espérance de vie, à vrai dire « l'âge auquel on
meurt en moyenne aujourd’hui », est-il un pauvre indicateur de santé. Il
nous renseigne avant tout sur la qualité de vie des personnes de plus de 70
ans, qui ont enfants vécu dans un environnement peu pollué, mangé bio pendant
leurs premières années et survécu à une forte sélection naturelle. Elles
bénéficient en outre, l'âge venu, de soins de qualité. Ce sont elles qui tirent
vers le haut l'espérance de vie, et elles seules. L'auteur d'<em>Espérance de
vie, la fin des illusions</em> admet que les prévisions de baisse qu'il
publiait en 2006 étaient un peu précoces. Dix ans après, la baisse n'est pas
encore tendancielle, l'augmentation devrait même se poursuivre « jusqu'à
ce que cette génération disparaisse ». Car « les autres générations
n'augmentent pas » : nous allons constater dans les prochaines années
une baisse moins anecdotique que celle de 2015.<br />
<br />
Et dès aujourd'hui un indicateur signale notre mauvaise santé, c'est
l'espérance de vie en bonne santé. Celle-ci « a baissé de deux ans [en dix
ans] et elle est beaucoup plus basse en France qu'ailleurs ». Et pourtant
« la définition de la bonne santé n'est pas cohérente, on est en bonne
santé tant qu'on peut travailler ». Pas plus que le PIB ne révèle une
bonne santé socio-économique, l'espérance de vie ne prouve que nous sommes
amenés à vivre longtemps – et encore moins que nous vivons bien. Et pourtant,
comme le PIB, c'est le chiffre qui résume le succès de notre modèle de société.
Mieux, les fantasmes transhumanistes nous font miroiter la possibilité de faire
encore reculer la mort de quelques décennies, voire de sauvegarder assez de
nous-mêmes pour faire vivre éternellement, si ce n'est notre corps, du moins
notre conscience. L'offre serait réservée à quelques millionnaires imbus de
leur personne mais ce désir de vivre toujours plus longtemps au mépris de la
mort semble avoir « pris des dimensions inédites » selon Claude
Aubert. « C'est un problème de nos civilisations, que la mort soit un
épouvantail qu'il faut faire reculer à n'importe quel prix. La mort est
difficile à accepter, c'est normal, mais est-ce que l'éradiquer serait
forcément bien ? » On pense un instant à la fable de l'écrivain
portugais José Saramago, <em>Les Intermittences de la mort</em>, dans laquelle
la mort cesse d'emporter les corps fatigués. À la découverte de cette nouvelle
marche du monde, les entreprises mortuaires sont les seules à pester mais au
final c'est tout le corps social qui pâtit de vieillir sans fin et de ne
pouvoir faire de la place à la vie qui se renouvelle.Vaches, cochons, poulets et TAFTAurn:md5:57bc1884aaf5efbe6dd3cd6f041dd3ff2014-06-11T00:20:00+02:002014-06-11T00:20:00+02:00AudeReportagesAgricultureAmérique du NordEnvironnement<p class="MsoNormal" style="margin: 0in 0in 8pt;"><span lang="FR" style="mso-ansi-language: FR;">C’est la course aux aliments les plus
efficaces pour permettre aux bêtes de grossir vite et à moindre frais. Mon
premier contient « 25 à 50 % de protéines brutes et de 55 à 60 % de
substances nutritives digestives, le tout sur matière sèche, et est riche en
minéraux essentiels ». Il s’agit de l’excrément de poulet, défendu dans
une étude pour la <em style="mso-bidi-font-style: normal;">Food and Drugs
Administration</em> américaine en 2001 par deux chercheurs de l’université de
Virginie (voir <a href="http://www.fda.gov/ohrms/dockets/dailys/01/Nov01/110501/ts00014.doc">« Utilisation
of Poultry Litter as Feed for Beef Cattle »</a>). Vache folle oblige, et
car les poulets eux-mêmes sont nourris aux restes de bovins, en 2003 la FDA
interdit la pratique pour l'alimentation bovine… pour l’autoriser de nouveau
sous la pression de l’industrie. Seule précaution, puisque « les
excréments de poulet sont une source potentielle de micro-organismes
pathogènes » (rappel : on parle toujours de caca, bien que de caca
alimentaire), « les excréments devraient être traités avant d’être donnés
à manger ».</span></p> <p class="MsoNormal" style="margin: 0in 0in 8pt;"><span lang="FR" style="mso-ansi-language: FR;">Mon second est riche en kératine, une
autre protéine : la farine de plumes. Encore une fois, l’industrie de
production animale recycle ses déchets, comment lui en vouloir ? Seule
ombre au tableau, sans compter votre grimace : à force de recycler, on obtient
une accumulation de matières toxiques. Vous n’en aviez pas mangé la première
fois ? Une étude de 2012 coordonnée par un chercheur de la John
Hopkins University parle de « réentrée de produits pharmaceutiques […]
dans la chaîne alimentaire » (<a href="http://pubs.acs.org/doi/abs/10.1021/es203970e">« Feather Meal: A
Previously Unrecognized Route for Reentry into the Food Supply of Multiple
Pharmaceuticals and Personal Care Products »</a>) et dresse une liste
inquiétante d’antibiotiques, hormones et autres substances chimiques de
synthèse.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin: 0in 0in 8pt;"><span lang="FR" style="mso-ansi-language: FR;">Et mon troisième, pour aider la
digestion des bestiaux, se présente sous forme de fibres. Mais on a trouvé
mieux que les végétaux pour l’« optimisation de la rumination »
(<em>sic</em>). Les brevets se sont multipliés sur les fibres
artificielles, des polymères. Ici encore, aucune révélation, la pratique a des
années et la consultation de brevets d’<em>artificial roughage</em> <a href="http://www.freepatentsonline.com/3976766.html">comme celui-ci</a> est possible
sur la toile.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin: 0in 0in 8pt;"><span lang="FR" style="mso-ansi-language: FR;">En 2009, des associations de
consommateurs et de défense du bien-être animal montent une pétition auprès de
la FDA contre l’utilisation des excréments de poulet dans l’alimentation bovine
et arguent de son interdiction au Canada, en Australie, en Nouvelle Zélande et
dans l’Union européenne (<a href="http://www.motherjones.com/environment/2013/12/we-feed-cows-chicken-poop">« We
Feed Cows Chicken Poop »</a>, <em style="mso-bidi-font-style: normal;">Mother Jones</em>, décembre 2013). Sans
succès.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin: 0in 0in 8pt;"><span lang="FR" style="mso-ansi-language: FR;">Si vous vivez dans ces derniers pays,
mon tout n’est pas encore dans votre assiette. Mais les traités de libre
échange que Barack Obama promeut au-delà des deux océans, Atlantique et
Pacifique, avec chez nous le soutien de <a href="http://ec.europa.eu/commission_2010-2014/degucht/">Karel De Gucht</a> et de la
commission européenne, mettront ces plats au menu, au nom de la
concurrence libre et non faussée. Notre industrie de production animale n’était
déjà pas un modèle en matière sanitaire et environnementale, mais voici qu'elle
sera bientôt dépassée sur les linéaires des supermarchés par plus rentable
qu'elle. Bon appétit !</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin: 0in 0in 8pt;"> </p>
<p class="MsoNormal" style="margin: 0in 0in 8pt;"><span lang="FR" style="mso-ansi-language: FR;">Le point <a href="http://www.motherjones.com/tom-philpott/2013/05/7-dodgy-foodag-practices-banned-europe-just-fine-here">
ici, daté de mai 2013</a>, sur des pratiques autorisées aux USA et
interdites dans l'UE.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin: 0in 0in 8pt;"><span lang="FR" style="mso-ansi-language: FR;">Et ici pourquoi je ne vais pas pour
autant promouvoir le végétarisme, une <a href="https://blog.ecologie-politique.eu/post/Un-solutionnisme-ecolo-alternatif"></a><a href="https://blog.ecologie-politique.eu/post/Un-solutionnisme-ecolo-alternatif"></a><a href="https://blog.ecologie-politique.eu/post/Liberer-les-animaux-ou-vivre-avec">solution sommaire</a>.</span></p>Berlin, pauvre mais sexyurn:md5:8d073d02f93f1adea2076a5616abb1b42014-01-13T13:19:00+01:002014-06-03T11:02:46+02:00AudeReportagesEnvironnementLibéralisme<p><strong>Paru dans <a href="http://www.lan02.org/"><em>L'An 02</em>
n°5</a>, fin janvier autour du dossier <a title="Numéro en cours : n°5, « Alerte aux territoires ! »" href="http://www.lan02.org/2013/12/numero-en-cours/">« Alerte aux territoires !
»</a></strong></p>
<p>Pour certain·e·s c'est la faute aux <em>hipsters</em>, ces classes
« créatives » mondialisées, relativement aisées (si l'on compare à
une famille ouvrière d'origine turque) et qui peuvent décider d'un jour à
l'autre de quitter Melbourne ou New York pour Berlin, « paradis hédoniste
où la bière est moins chère que l'eau, les drogues faciles à se procurer et la
meilleure musique techno du monde accessible chaque nuit de la semaine »
<strong>(1)</strong>. Pour d'autres c'est la faute aux Souabes et autres
Bavarois·es, cadres des régions riches du sud dont les entreprises ont enfin
tourné leur attention vers la capitale et qui l'ont investie avec leurs
costumes bien coupés, leurs <em>attaché cases</em> et leurs Land Rovers.</p> <p>On ne sait pas qui blâmer pour le prix des loyers qui ne cessent de grimper
<strong>(2)</strong>, mais toujours est-il que c'est à Berlin un sujet plus
important que le temps qu'il fait (gris l'hiver). Il ajoute à la précarité des
Berlinois·es et change le visage de leurs quartiers, toujours plus vite depuis
2005. Aucune manifestation sur des thématiques sociales ne peut faire l'impasse
dessus, et toutes les organisations progressistes offrent soutien et conseils
aux locataires expulsables ou confronté·e·s à des hausses de loyers. A chaque
rentrée, quand des milliers d'étudiant·e·s partent à la chasse à la coloc', les
syndicats préparent des journées d'action avec manifestations, prises à partie
des politiques et surtout nombre d'ateliers pour tâcher de comprendre ce qui se
passe dans cette ville. Car ce qui se passe à Berlin rappelle bien quelques
grandes tendances européennes ou mondiales, mais à contre-temps ou beaucoup
trop vite, et mobilise des explications ancrées dans l'histoire locale...</p>
<h2>La fin d'une époque</h2>
<p>La guerre froide a peut-être été émaillée de nombreux conflits exotiques et
violents, mais son front le plus emblématique est resté à Berlin, dans un face
à face entre les deux grandes puissances : blocus de Berlin par les
Soviétiques dans l'immédiat après-guerre, pont aérien mené par les Américains
qui ont acheminé par air jusqu'aux matériaux de construction dont la ville
avait besoin pour renaître, érection du mur en août 1961, etc. Berlin était
devenue un symbole, impossible à lâcher et sur lequel le monde avait les yeux
rivés. </p>
<p>C'est cette grande histoire qui se lit dans les difficultés budgétaires plus
prosaïques que connaît la ville aujourd'hui. En 1994, l'économie berlinoise
s'est effondrée, à l'Est parce qu'elle tenait aux structures politiques de la
RDA, à l'Ouest parce que les subventions qui la soutenaient se sont taries.
L'ancienne capitale prussienne, même appelée à être celle de l'Allemagne
réunifiée, alors qu'elle est déjà peu dense en 1989 <strong>(3)</strong>, se
dépeuple en continu tout au long des années 1990. Longtemps vitrine sous
perfusion, avec la gabegie au mieux, au pire la corruption qu'entraînent des
flux de crédits ininterrompus, elle a connu au tournant du siècle un scandale
financier qui a éclaboussé les autorités municipales et fait apparaître un
déficit catastrophique. Berlin fait depuis plus de dix ans, bien avant la crise
financière de 2008, l'expérience de ce qu'on appelle aujourd'hui
« l'urbanisme d'austérité » à base de privatisation du patrimoine
municipal et de désinvestissement des logements sociaux.</p>
<p><br />
<img title="avant-apres_friedrichsh.JPG, janv. 2014" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="" src="https://blog.ecologie-politique.eu/public/.avant-apres_friedrichsh_m.jpg" /><em>Rénovation immobilière à
Friedrichshain. Ou pas.</em></p>
<h2>Pauvre mais...</h2>
<p>Le maire Klaus Wowereit ironise alors sur les difficultés de la ville :
Berlin est « pauvre mais sexy » (<em>arm aber sexy</em>). Ses
quartiers en déshérence et ses loyers bon marché peuvent être des atouts si
elle se positionne sur ce segment bien particulier de ville
« créative », puisqu'elle attire déjà des artistes désargenté·e·s et
des squatteurs/ses des quatre coins de l'Europe et du monde. Berlin devient
galerie à ciel ouvert pour les artistes de <em>street art</em>, jusqu'à ce que
celui-ci se mette au service du marketing urbain de la ville, qui en fait un
argument de son développement touristique. Et ça marche, elle est
(enfin !) la troisième ville la plus visitée d'Europe. Les arrivant·e·s
bohèmes des années 1960 (Berlin ouest était le seul territoire de la RFA qui ne
pratiquait pas la conscription, autant dire un aimant à hippies) puis post-1989
ont ouvert la voie à des populations tout aussi « créatives » mais
plus aisées. Neukölln, le quartier turc du sud-est, de coupe-gorge symbole de
tous les « échecs » du <em>multikulti</em> (multiculturalisme ou
coexistence des différences culturelles), devient en quelques années le nouveau
quartier à la mode. « Les 400 euros que coûtent une chambre en colocation
à Kreuzberg ou Neukölln peuvent apparaître bon marché [en comparaison avec les
prix new-yorkais] mais comparé au revenu moyen de 850 euros que l'on constate à
Neukölln, cela ne laisse qu'une centaine d'euros par semaine pour toutes les
autres dépenses », avertit le sociologue Andrej Holm, de la Humboldt
Universität.</p>
<p><img title="berlin-mitte_travaux.JPG, janv. 2014" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="" src="https://blog.ecologie-politique.eu/public/.berlin-mitte_travaux_m.jpg" /><em>Berlin Mitte toujours en
travaux</em></p>
<h2>Un marché dérégulé</h2>
<p>Il ne faut pourtant pas s'arrêter à l'explication d'un conflit d'usage entre
classes sociales, exacerbé par la montée des inégalités et la concentration des
richesses au niveau mondial et arbitré par le marché. Holm dessine une
typologie des figures de l'embourgeoisement berlinois, qui obéissent à des
logiques de quartier, mais aussi réglementaires et économiques. D'un côté
Kreuzberg puis Neuköll, de l'autre Prenzlauerberg et Mitte (le centre, ici plus
précisément le nord-est du centre), deux quartiers anciennement à l'est du mur
et qui sont désormais peuplés sans trop d’ambiguïté de classes moyennes
supérieures. La logique qui s'est déployée ici, c'est celle de la rénovation
urbaine. Les rénovations d'immeubles et les nouvelles constructions ont créé un
parc immobilier de qualité, quand ce n'est pas luxueux, à des prix
inabordables. 80 % des habitant·e·s présent·e·s en 1989 ont dû quitter le
quartier, chassé·e·s par l'augmentation des loyers.</p>
<p>La plupart des habitant·e·s de Berlin sont locataires, ce qui les rend
sensibles à des arbitrages toujours en leur défaveur : la hausse des prix
annuelle est « encadrée » par une moyenne des prix du marché, autant
dire qu'elle est presque dérégulée. Quant aux nouveaux contrats, ils sont à la
discrétion des propriétaires, lesquels ne sont structurellement pas des
habitant·e·s mais des investisseurs, particuliers ou entreprises. Les
locataires bénéficiaires du chômage peuvent se voir imposer un déménagement dès
que leur loyer, pris en charge par l'organisme payeur, devient trop cher. Il
faudra quitter le quartier, les relations qu'on s'y était faites alors qu'on
n'a plus que ça, pour aller vivre toujours plus loin. Car les Berlinois·es de
cinquante ans sans emploi n'ont pas entamé de conversion pour aller bosser dans
les <em>start-ups</em> et le chômage est ici plus élevé que la moyenne
allemande. Pauvre mais sexy, Berlin reste aussi pauvre qu'avant de s'être
livrée à tous les appétits.<br />
<br />
"The uneven development of Berlin’s housing provision", Sabina Uffer, thèse de
philosophie, London School of Economics and Political Science (LSE),
2011.<br />
<a href="http://thebaffler.com/past/sacking_berlin">"Sacking Berlin. How
hipsters, expats, yummies, and smartphones ruined a city"</a>, Quinn Slobodian
and Michelle Sterling, <em>The Baffler</em> n° 23, 2013.<br />
<em>The Berlin Reader. A Compendium on Urban Change and Activism</em>, Matthias
Bernt, Britta Grell, Andrej Holm (éd.), Transcript Verlag, Bielefeld,
2013.<br />
<br />
(1) Robert F. Coleman, <a href="http://www.nytimes.com/2012/11/25/magazine/in-berlin-you-never-have-to-stop.html">
"In Berlin you never have to stop"</a>, <em>The New York Times</em>, 23
novembre 2012.<br />
(2) Les prix, en 2013 autour de 7-8 euros le mètre carré, restent inférieurs de
40 % environ à ceux pratiqués dans les autres grandes villes allemandes,
et sans commune mesure avec ceux de Paris ou Londres, mais augmentent d'environ
10 % par an.<br />
(3) S'étendant sur une surface un peu supérieure à celle de Paris et de sa
petite couronne (le Moyen Paris ?), Berlin a une densité et un PIB par
habitant·e moitié moindre.</p>
<p><img title="squat_linienstr.JPG, janv. 2014" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="" src="https://blog.ecologie-politique.eu/public/.squat_linienstr_m.jpg" /><em>Menace d'expulsion à
Linienstrasse</em></p>
<h2><strong>Le paradis des squats ?</strong></h2>
<p><br />
Il suffisait jadis à l'Est de signaler aux autorités qu'on habitait un logement
pour avoir le droit de l'occuper : la pénurie concernait les logements
<em>habitables</em>, et toutes les bonnes volontés étaient bienvenues pour
restaurer ou entretenir des appartements. Suite aux bouleversements de 1989, au
gel des projets immobiliers menés par la RDA, à l'imbroglio pour retrouver les
propriétaires en titre, en particulier quand ils avaient été déportés cinquante
ans plus tôt, l'est de Berlin était devenu l'eldorado des squatteurs/ses.<br />
Les squats à Berlin aujourd'hui ? De l'histoire ancienne, selon Michael,
qui paye désormais 5 euros/m2 pour habiter l'appartement qu'il squattait dans
Friedrichshain au début des années 90. Il ne reste plus aujourd'hui un seul
squat à Berlin, tous ayant été contractualisés. Heidi, qui paye 3,50 euros/m2 à
Prenzlauerberg-Mitte, n'est pas pour autant assurée de la pérennité de sa
maison, qui est aussi un squat d'activités et accueille le mercredi et le
week-end des projections ou des concerts, ainsi que les fameuses <em>VoKü</em>
ou cuisines populaires. Un par un, ils sont menacés d'éviction. « <em>Wir
bleiben alle</em> », nous resterons tou·te·s, dit-on ici, mais rien n'est
moins sûr.<br />
En attendant, Heidi anime avec d'autres squatteurs et des locataires de moins
en moins nombreux/ses comme Tiger, aujourd'hui expulsable, le comité de
quartier qui lutte contre la hausse des loyers. Lequel organise des projections
de films pour comprendre les tensions urbaines, à Berlin ou São Paolo, des
visites du quartier pour donner à voir les changements, sans oublier des
actions de soutien quand les habitant·e·s les plus pauvres se font
expulser.</p>
<p><img title="squat-l34.JPG, janv. 2014" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="" src="https://blog.ecologie-politique.eu/public/.squat-l34_m.jpg" /><em>Liebiegstrasse</em></p>
<p>Merci à Klaus pour la visite.</p>Gosses de Berlinurn:md5:e0a16019fd75ac6835bc60ed5e45f4b12014-01-12T16:15:00+01:002014-06-03T11:03:07+02:00AudeReportagesEnvironnement<p><strong>Ou « Scie j'avais un marteau... »</strong></p>
<p><strong>Paru dans <a href="http://www.lan02.org/"><em>L'An 02</em>
n°5</a>, fin janvier<br /></strong></p>
<p>Wedding, un quartier au nord-ouest de Berlin. Jadis rouge, toujours
populaire : le multiplexe du quartier diffuse des films turcs en VO et des
<em>blockbusters</em> doublés en allemand. Les enfants d'ici viennent souvent
d'ailleurs. Qu'il neige ou qu'il pleuve, ils et elles sont tou·te·s les
bienvenu·e·s dans un « terrain de jeux et d'aventures » et une
« ferme des enfants » ouvertes cinq et six jours sur sept. Le premier
est créé en 1973, quand un projet de construction de terrains de tennis est
refusé par une « initiative citoyenne », un dispositif propre au
pays, qui lui oppose la création d'un terrain de jeux. Dix ans plus tard, c'est
une ferme qui est ouverte à côté. Les deux sont animés par des salarié·e·s,
épaulé·e·s par des bénévoles, pour presque une centaine d'enfants de moins de
quatorze ans qui passent chaque jour. Le matin des jours de classe, des écoles
viennent découvrir les lieux. Le reste de la journée, la porte reste ouverte à
tou·te·s, pour retrouver les copains/ines ou pour des ateliers (cuisine,
poterie, petite menuiserie, jeux de société, etc.).</p> <p>Mais à la ferme l'activité centrale est le soin aux animaux et dans le
terrain de jeux la construction de cabanes. Marteaux, clous, scies et bois de
construction (un peu de récup', un peu d'achats) sont à la disposition des
enfants pour construire des cabanes. Thomas, qui prodigue depuis quinze ans des
conseils à ceux et celles qui les demandent, constate que les enfants s'en
sortent plutôt pas mal, mieux évidemment quand ils et elles viennent très
régulièrement. Certain·e·s sont donc là tous les jours, et tel·le·s des
Pénélope construisent, détruisent, reconstruisent des cabanes. Mais, même si
racisme et sexisme sont également combattus, ce sont plus souvent des garçons.
Quand leur intérêt faiblit ou que la cabane est finie, elle est
« louée » à un·e autre. Il est donc rare d'en voir une dans sa
splendeur, l'essentiel étant de planter des clous et de scier des planches.</p>
<p><img title="cabanes.JPG, janv. 2014" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="" src="https://blog.ecologie-politique.eu/public/.cabanes_m.jpg" /><br />
La sécurité ? Markus, qui anime la ferme, répond qu'on prend la question à
l'envers. Les enfants élevés dans des univers trop hygiéniques développent plus
facilement des maladies, de même que ceux et celles que l'on ne laisse pas se
prendre en main se mettent plus facilement en danger. Les squares où les
parents gardent un œil inquiet sur leur progéniture sont donc moins sûrs que
des espaces où on leur fait confiance et où ils et elles sont plus autonomes.
Le soin aux animaux, qui représente l'essentiel de la vie quotidienne, est
assuré par des enfants qui viennent au moins deux fois par semaine et
s'organisent pour ne pas laisser les canards sans nourriture, les étables sales
et les poneys pas étrillés. Une sacrée responsabilité, qu'ils et elles assument
selon les possibilités que leur offre leur âge. La relation aux animaux que
propose la ferme apporte aussi selon Markus confiance en soi, apprentissage de
l'altérité et d'une communication qui engage tout le corps. Au lieu d'admettre
des animaux dans leur maison, les enfants vont à leur rencontre, dans leur
univers fait de paille et de déjections. Avec six canards, deux oies, huit
poneys (dont un de 34 ans), une douzaine de chèvres et de moutons, il y a du
travail pour tout le monde mais plus de place aujourd'hui pour un cochon, même
en choisissant d'héberger des espèces anciennes, rustiques... et petites.
Beaucoup parmi les animaux sont nés sur la ferme, mais elle n'est plus en
mesure d'accueillir de nouvelles naissances. Les enfants d'aujourd'hui ont donc
plus de chances de voir mourir une brebis que naître un agneau.<br />
<br />
Une bulle dans la ville ? Pas la seule en tout cas, puisqu'il y a dans
cette métropole plutôt verte et peu dense six autres fermes et bien plus de
terrains de jeux. Les enfants y sont accueillis gratuitement, mais les dons ne
suffisent pas à l'entretien des lieux. Politique d'austérité ou pas, on compte
ici sur la ville pour continuer à les financer et refuser de livrer ce bout de
terrain à la spéculation.</p>
<p><img title="cabanes2.JPG, janv. 2014" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="" src="https://blog.ecologie-politique.eu/public/cabanes2.JPG" /></p>Quatre-vingt quatre heures de trainurn:md5:78fbe0c6b49ead5f986aaff946057e062013-12-21T11:13:00+01:002014-03-03T11:08:49+01:00AudeReportagesAmérique du NordDécroissanceTechnique<p>Passer trois jours et quatre nuits dans un train ? Non seulement c'est
possible, mais c'est même désirable. Récit du plus beau voyage en train du
monde (enfin, que je sache).</p> Toronto, Ontario, huit heures du soir. Dans le hall surdimensionné de la gare
centrale (il y a longtemps que le rail ne fait plus partie des moyens de
transport les plus communs en Amérique du nord), je me prépare à
l'enregistrement de mes bagages, que je retrouverai à Vancouver, Colombie
britannique, trois jours et demie plus tard sur un mini-tapis roulant. Un peu
comme dans l'avion, sans la folie sécuritaire, je prends avec moi un petit sac
avec mon nécessaire de voyage. De quoi me changer deux, trois, quatre
jours ? Une serviette de toilette ? J'hésite un peu, n'ayant aucune
idée des conditions de vie à bord. Même chose pour l'hygiène que pour la
nourriture : dois-je me préparer des snacks ? Pendre des réserves
d'eau potable pour quatre jours ? Beaucoup des précautions que j'ai prises
se sont révélées inutiles : la vie à bord, c'est un long fleuve tranquille
et des conditions de confort extraordinaires. Comme à l'hôtel, on me prête une
petite serviette de toilette et je prends ma douche quand je veux, de
préférence sur des tronçons un peu tranquilles. Je peux également profiter de
nombreux arrêts du train. Voir <a href="http://seat61.com/Canada.htm#Canadian">ici pour les photos de l'aménagement du
train</a>, des cabines pour un⋅e (grand luxe !) ou deux, des couchettes
pour un⋅e (en longueur, assez spacieuses et closes par un rideau qui suffit
pour se sentir à l'aise, deux superposées, celle du haut moins chère mais sans
vue) et même du wagon-restaurant.
<p style="margin-bottom: 0cm">La ligne de 4500 km, à entretenir dans des
conditions climatiques pas faciles (les rails sont chauffés l'hiver pour éviter
le gel) n'est pas doublée et les trains s'y croisent grâce à des voies de
garage où l'un reste à attendre tandis que l'autre se lance depuis des
kilomètres. C'est toujours le train de voyageurs/ses qui cède la priorité au
fret, et l'on peut attendre vingt, trente minutes. Ces attentes, quelques
arrêts (3-4 h à Winnipeg, Manitoba ; 2 h à Jasper, Alberta) et
une vitesse qui reste très modeste nous font voyager en à peine plus de
50 km/h. C'est d'après mon expérience la même moyenne qu'un train
polonais... et c'est beaucoup plus confortable. Trois repas sont servis chaque
jour à bord et le wagon-restaurant ne désemplit pas. Pas moins de trois
services sont nécessaires pour faire manger tout le monde, chacun durant une
heure (on est vite servi) : cela fait neuf heures de service, étalé sur
onze heures. Le personnel est sollicité sur un rythme épuisant et tient la
moitié environ du parcours avant de descendre à Winnipeg, où se trouve la plus
grande communauté francophone à l'ouest du Québec. Ça n'est pas une
coïncidence, car c'est souvent dans cette communauté (sise à Saint Boniface, de
l'autre côté de la rivière rouge) que sont recruté-e-s nos
accompagnateurs/rices, qui doivent être bilingues pour satisfaire aux standards
canadiens.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm"><img title="dining_car.JPG, mar. 2014" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="" src="https://blog.ecologie-politique.eu/public/.dining_car_m.jpg" /><em>La voiture-restaurant</em></p>
<p style="margin-bottom: 0cm">Les repas sont de très bonne qualité, avec même
un peu de choix, et je n'aurai plus l'occasion avant des mois de retrouver en
Amérique du nord une serviette en tissu dans un restaurant. Nous sommes
placé⋅e⋅s par le personnel pour remplir au mieux l'espace et c'est l'occasion
de rencontrer l'un après l'autre chacun des couples vieillissants de la petite
bourgeoisie aisée qui fait le voyage et raconte en quelque mot son
histoire : à la retraite/ont pris des jours de congé, illes vont/sont
allé⋅e⋅s visiter leur fille/leur fils sur la côte Est/Ouest et font/feront
l'aller ou le retour en avion. Lequel trajet en avion n'est pas beaucoup moins
cher mais même les retraité⋅e⋅s n'ont pas que ça à faire.</p>
<h2 style="margin-bottom: 0cm">Une perte de temps, le train ?</h2>
<p style="margin-bottom: 0cm"><a href="http://carfree.free.fr/index.php/2013/12/19/la-grande-vitesse-est-en-train-de-tuer-le-reseau-ferroviaire-europeen/">
Kris De Decker rappelle ici</a> que dans un train de nuit le temps passé à
dormir ramène le temps de transport perçu à 3-4 h, ce qui fait passer plus
rapidement qu'à grande vitesse un voyage international. Alors que les trains de
nuit disparaissent et rendent plus compliqués que jamais des voyages
continentaux sans passer par <a href="https://blog.ecologie-politique.eu/post/L%E2%80%99avion-%3A-macro-syst%C3%A8me-technique-et-imaginaire-hypermobile">
la catastrophe écologique que constitue l'avion</a>, il fait bon le
rappeler : prendre un train de nuit, c'est la meilleure façon de voyager,
ça fait arriver dès le matin en ville sans se lever aux aurores, ça fait
souvent économiser une nuit d'hôtel aux voyageurs/ses et c'est plus écologique
qu'un TGV. A 40 ou 50 euros le Paris-Berlin ou le Paris-Venise pris cinq ou six
semaines à l'avance, c'est l'Europe centrale qui s'offre à vous, la Pologne et
la Tchéquie, l'ex-Yougoslavie et la Grèce. Sans avion. Un train de nuit qui est
supprimé, comme c'est le cas en ce moment de Paris vers l'Italie, et c'est le
monopole de l'avion qui en sort renforcé : jamais des conditions aussi
faciles ne seront réunies à des prix aussi accessibles, et surtout pas avec les
TGV. <a href="http://carfree.free.fr/index.php/2013/12/19/la-grande-vitesse-est-en-train-de-tuer-le-reseau-ferroviaire-europeen/">
De quel progrès parle-t-on, si dans les années 1970 nous pouvions accéder à un
réseau de trains à basse vitesse plus étendu, moins cher et pas beaucoup moins
rapide ?</a></p>
<p style="margin-bottom: 0cm">Il n'empêche que le Toronto-Vancouver, c'est
aussi trois <em>journées</em> à faire passer... Dans mon sac, trois livres qui
seront eux aussi à peu près inutiles. J'arrive certes à finir <a href="http://www.lan02.org/2012/10/paradis-sous-terre/"><em>Paradis sous
terre</em></a> et à écrire sur mon ordinateur (merci l'absence de wifi !) une
recension qui finira dans le n°4 de <em>L'An 02</em>, mais la contemplation des
paysages et la vie sociale à bord suffisent à ma distraction. Là encore nous
sommes chouchouté⋅e⋅s, puisque la même personne qui s'occupe de nous placer et
d'arranger nos couchettes est en charge d'activités comme des <em>quizz</em>
sur les régions que nous traversons (les Canadien⋅ne⋅s gagnent toujours, mais
de peu), des dégustations diverses, un grand film du soir que je serais
toujours trop occupée pour aller voir. Les voitures sont toutes dédiées à des
usages différents : le wagon-lit, le wagon-restaurant, la voiture
panoramique qu'on installe pour traverser les Rocheuses, et la voiture
d'activités où l'on redécouvre les joies du puzzle.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm"><img title="canadian_shield.JPG, déc. 2013" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="" src="https://blog.ecologie-politique.eu/public/.canadian_shield_m.jpg" /><em>Northern Ontario</em></p>
<p style="margin-bottom: 0cm">Quant aux paysages, c'est d'abord l'Ontario du
nord, avec ses bois de bouleaux, ses sapins et ses lacs (le bouclier canadien
est une structure géologique percée de mille trous et l'on dit souvent que
c'est en kayak qu'il se parcours le mieux). Aux premières heures du premier
jour, je me sens comme Jeremiah Johnson, Robert Redford dans un film de Sidney
Pollack. Mais confortablement assise au chaud devant un plantureux
petit-déjeuner canadien. Le deuxième jour viennent les plaines si
redoutées : le même paysage à perte de vue, des champs après les moissons,
quelques mines immondes (voir <em>Paradis sous terre</em>) mais le tout sous un
ciel gris sublime qui me permet enfin de comprendre ce qu'est un <em>big
sky</em> comme dans le western de Howard Hawks. Et le dernier jour les
Rocheuses, qui sont un régal pour les yeux... et l'endroit où se passe en vrai
<em>Jeremiah Johnson</em>, c'est moi qui tenais à l'associer avec les bouleaux
du bouclier canadien. Bref, visiter l'Amérique du nord sans une petite culture
western serait dommage. Avec, c'est un plaisir immense et c'est déçue que le
temps soit si vite passé que j'arrive à Vancouver en même temps que les
premières pluies.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm"><img title="big_sky.JPG, déc. 2013" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="" src="https://blog.ecologie-politique.eu/public/.big_sky_m.jpg" />Big Sky
<em>sur le Manitoba</em></p>
<p style="margin-bottom: 0cm">On le sait bien, que le temps n'est pas
réductible à sa durée objective, et que tout dépend de sa qualité. Or, à nous
faire voyager toujours plus vite, on nous fait voyager toujours plus mal.
Prendre le temps du voyage (certes 84 h c'est un peu extrême, mais parlons
de pendre 3, 5 ou 7 h ici ou là), c'est aussi se donner la possibilité de
souffler un peu, de se retrouver avec soi-même, de penser à d'autres choses que
la liste des courses ou la prochaine réunion, de lire bien mieux qu'à la
maison, de faire prendre à nos vies un peu d'épaisseur alors même que nous en
arrêtons un temps le cours. La douceur d'un trajet qui se déroule sur des rails
est le confort le plus indépassable et le plus jouissif que nous ait apporté au
XIXe siècle la société industrielle. Je n'ai pas encore vu mieux.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm"><img title="rockies.JPG, déc. 2013" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="" src="https://blog.ecologie-politique.eu/public/.rockies_m.jpg" /><em>Rockies</em></p>
<p style="margin-bottom: 0cm">Dernière note au sujet des tarifs pratiqués par
Via Rail sur ce trajet : ayant pris mon billet deux semaines à l'avance,
je paye 615 dollars, soit presque 500 euros, pour faire 4500 km environ.
C'est cher, même si c'est subventionné par le gouvernement canadien. C'est
peut-être le plus gros achat qu'il m'ait été donné de faire ces dernières
années, mais ça inclut quatre nuits et huit repas pris dehors, et ça vaut le
même prix que onze allers-retours Bordeaux-Agen (136 km) sans la carte Izy
Aquitaine...</p>Montréal-Portland-Lille : des centres communautaires pour les femmesurn:md5:dc3ae4e6b91d2cc9388945d90042abdb2013-05-22T18:04:00+02:002014-01-04T11:11:13+01:00AudeReportagesAmérique du NordFéminismeGenreMiliter<p><strong>Article à paraître dans <em>L'An 02</em> n°4, juin 2013. <a href="http://www.lan02.org/abonnements/"><br />
Abonnez-vous</a> pour recevoir à la maison la version complète, avec des brèves
dans les marges et plein de beaux articles autour !</strong></p>
<p>Vous avez envie de vous remettre au yoga ? d'apprendre le français
langue étrangère ? besoin d'accéder à un ordi pour votre recherche
d'emploi ? d'un lieu pour accueillir un groupe de discussion
féministe ? Des centres communautaires permettent aux femmes de mener des
activités ensemble. De Montréal à San Francisco, en passant par Portland, et
sur le vieux continent à Lille, des femmes s'organisent pour animer des espaces
ouverts à toutes, en particulier aux plus fragiles.</p> <strong>Accueillir les femmes migrantes</strong>
<p style="margin-bottom: 0cm">Le Centre des femmes d'ici et d'ailleurs, dans le
quartier populaire de Villeray à Montréal, n'est pas tout à fait comme les
autres : dans la mosaïque des centres de femmes qui existent au Québec, il
a une couleur... de toutes les couleurs. Les femmes sont accueillies dans
quatre langues – français, anglais, espagnol et arabe – et le centre est
particulièrement ouvert aux migrantes d'Amérique latine. Il les invite à
apprendre le français, avec des cours et des conversations pour toutes.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm">A San Francisco, The Women's Building est aussi
El Edificio de las mujeres, et utilise les deux langues dans la même mesure.
Dans Mission, le quartier hispanique où il s'impose sur la rue avec des
<em>murals</em> éclatants et récemment restaurés, c'est une évidence, et les
salariées sont pour la plupart des femmes latines. Certaines activités sont
aussi disponibles en cantonais, au hasard des propositions qui sont faites au
centre.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm"><img title="womens_building_entree.JPG, mai 2013" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="" src="https://blog.ecologie-politique.eu/public/.womens_building_entree_m.jpg" /></p>
<p style="margin-bottom: 0cm">Chez VioleTTe, à Lille, est située dans le
quartier de Moulins, toujours en grande difficulté mais investi désormais par
les classes moyennes. Les étudiantes de la fac de droit et les habitantes
originaires du Maghreb ou d'Afrique noire qui y cohabitent s'approprient peu la
rue, et ce fut pour l'association un défi de s'installer dans l'espace urbain
le plus genré de la ville, la place Vanhoenacker. Le centre s'est donné pour
ambition d'aller à la rencontre des femmes les plus modestes du quartier, en
dialogue avec les services municipaux. Et cela va de subventions dans le cadre
des politiques de la ville à des échanges formels ou amicaux avec les
bibliothécaires et les travailleurs/ses sociaux/ales de Moulins. La <a href="https://blog.ecologie-politique.eu/post/Pourquoi-avons-nous-besoin-d-espaces-non-mixtes">non-mixité</a> du lieu
est vécue comme un atout, le moyen de proposer un espace tout à fait sûr pour
des femmes qui peuvent craindre des échanges avec des hommes (1). Une part des
habitantes de Moulins ne sont plus des migrantes mais toujours racisées
(renvoyées à leur origine sans autre considération), dans une région ancrée à
gauche mais où le FN fait de bons scores en-dehors de Lille. Chez VioleTTe leur
propose à toutes une aide pour rédiger leur CV ou des cours de français langue
étrangère pour celles qui sont le moins à l'aise dans notre langue.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm"><strong>Des lieux sociaux et
politiques</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm">Ces centres de femmes s'inscrivent dans des
politiques sociales, et ont des ambitions qui tiennent à la justice et à
l'égalité d'accès pour les plus fragiles. Mais ce sont aussi et surtout des
lieux politiques, dans le sens où on y développe une réflexion féministe et
contre l'ensemble des dominations qui ont cours dans nos sociétés. In Other
Words, à Portland, dans le nord-ouest des USA, fonctionne d'après une charte
qui demande à chacun·e d'être conscient·e des multiples dominations à l’œuvre
et dont peuvent souffrir les femmes, les lesbiennes et les gays, les personnes
handicapées ou victimes de préjugés racistes ou qui concernent leur apparence
physique, leur âge, leur condition sociale, etc. Ouvert en 1993, quand les
dernières librairies féministes « commerciales » disparaissaient du
paysage américain, In Other Words est à l'origine une librairie à but
non-lucratif. A son déménagement en 2006 vers Killingsworth Street dans North
Portland, un ancien quartier afro-américain dont l'embourgeoisement est
aujourd'hui en cours, In Other Words investit un espace qui permet de mener
plus d'activités et de se transformer en 2010 en un vrai centre
communautaire : bibliothèque, lieu d'exposition, de discussion, et parfois
même de spectacle.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm"><img title="womens_building.JPG, mai 2013" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="" src="https://blog.ecologie-politique.eu/public/.womens_building_m.jpg" /></p>
<p style="margin-bottom: 0cm">A Montréal, on trouve au Centre des femmes d'ici
et d'ailleurs des animatrices qui tiennent au caractère inclusif du lieu et un
accueil vigilant qui propose par exemple, comme à In Other Words, à toutes les
femmes de venir avec leurs enfants. Pour que la charge d'enfants, qui porte
parfois exclusivement sur les femmes, et les plus démunies, n'empêche en rien
leur socialisation. Une « garde solidaire » Chez VioleTTe, avec des
mamans qui se relaient tour à tour le mercredi, leur permet aussi de se ménager
quelques heures de liberté, et pas seulement pour profiter des activités de
l'association. La bibliothèque contribue à l'accueil des enfants, avec un beau
rayon de littérature jeunesse, des albums non-sexistes pour les petit·e·s à une
littérature ado qui met en scène des héroïnes moins engluées dans les clichés
sexistes (voir encadré). L'association s'est encore tournée vers les enfants
lors d'un festival « Genre et enfance » pour lequel elle a investi
d'autres lieux du quartier, et prépare un jeu autour des stéréotypes de
genre.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm">Le Centre des femmes d'ici et d'ailleurs propose
aux femmes qui le fréquentent de s'emparer de thématiques politiques. Printemps
érable oblige, l'intérêt pour ces questions s'est aiguisé dans l'ensemble de la
société québécoise. Le Centre avertit des prochaines manifestations, permet de
discuter des enjeux politiques qu'elles portent et donne moyen aux femmes (à
toutes les femmes) d'y participer, en organisant des départs collectifs. Dans
une ville étendue comme Montréal, où les transports en commun coûtent cinq
dollars l'aller-retour, un départ collectif pris en charge par l'association
n'est pas anecdotique, en particulier pour les femmes les plus pauvres ou qui
doivent justifier chacune de leurs dépenses à leur conjoint. Le Centre permet
donc à des femmes qu'on voit peu en manif de rejoindre des rassemblements à la
population plutôt jeune et conscientisée. Et c'est un plaisir d'aller faire un
<em>sit-in</em> avec les dames des déjeuners (petits-déjeuners) solidaires du
jeudi. Ça, c'est de l'<a href="http://www.lan02.org/2013/04/a-qui-la-rue-a-nous-la-rue-retour-sur-un-printemps-erable/">inclusivité</a>
!</p>
<p style="margin-bottom: 0cm"><img title="IMG_2513.JPG, déc. 2013" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="" src="https://blog.ecologie-politique.eu/public/.IMG_2513_m.jpg" /></p>
<p style="margin-bottom: 0cm"><strong>Des lieux pour les femmes ou des lieux
féministes ?</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm">Même si la série télé à succès
<em>Portlandia</em> investit les lieux régulièrement pour mettre en scène une
librairie féministe « Women and Women First » (les femmes, et d'abord
les femmes – et il faut s'accrocher pour rester), dans la vraie vie In Other
Words présente le slogan « Feminism Is For Everybody » (le féminisme,
c'est pour tout le monde) et c'est un lieu ouvert tant aux hommes qu'aux
femmes, en tant qu'usagèr·es ou bénévoles. Aux USA on ne connaît pas <a href="https://blog.ecologie-politique.eu/post/trop-queer">les hommes pro-féministes qui expliquent doctement ce que
les femmes devraient faire</a> et qui prendraient sans inquiétude les rênes du
mouvement féministe si on le leur permettait. Ça aide... Étant un lieu plus
politique que social, la non-mixité des activités y a moins d'intérêt que dans
les autres centres, mais c'est un outil qui n'est pas écarté, notamment quand
s'ouvrent des groupes de discussion pour partager entre femmes des expériences
sur le corps ou la sexualité. Et ce sont des femmes (des personnes qui se
perçoivent comme telles ou partagent la spécificité de leur expérience) qui le
dirigent, car elles restent les premières concernées.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm">Chez VioleTTe, la situation par défaut est la
non-mixité (voir encadré), mais on s'interroge également sur la pertinence
d'ouvrir le centre à la mixité à certaines occasions. Un film de fiction, par
des femmes ou non-sexiste, et qui ne donne pas lieu à plus d'échanges qu'une
auberge espagnole et un moment de convivialité, sera ainsi l'occasion d'inviter
les sympathisants masculins de l'association. Mais un groupe de parole sur la
sexualité, une lecture-discussion autour du <a href="https://blog.ecologie-politique.eu/post/Beaut%C3%A9-fatale">livre de Mona Chollet <em>Beauté fatale</em></a>,
tout autant que les ateliers (d'écriture, d'arts plastiques, etc.), resteront
des moments non-mixtes. Chaque événement proposé est interrogé à ce prisme lors
de l'assemblée générale qui a lieu chaque mois et où se prennent toutes les
décisions concernant le lieu.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm"><strong>A la recherche de
l'autonomie</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm">Chez VioleTTe est un lieu qui cultive
l'autogestion, en faisant tourner les tâches et les responsabilités, prises en
charge chaque mois par des « abeilles » différentes, une rodée et une
qui se rode de préférence, pour permettre à chacune de mettre la main à la
pâte, de découvrir son potentiel... et éviter les situations de concentration
des responsabilités. Pas toujours évident, quand les vocations sont moins
nombreuses. Ce sont les mêmes difficultés auxquelles se confronte In Other
Words, qui a des besoins bénévoles autrement plus exigeants : la librairie
est ouverte cinq jours par semaine, avec deux équipes de deux qui se relaient
entre midi et la clôture en soirée, soit déjà vingt créneaux hebdomadaires à se
distribuer. Et c'est sans compter les équipes bibliothèque, librairie, les
commissions animation, financement et communication. Malgré ces gros besoins
humains, In Other Words refuse d'envisager le salariat pour un autre poste que
celui de comptable. Même choix Chez VioleTTe, pour ne pas se faire prendre au
piège d'une association para-publique ou qui n'ayant plus besoin de s'appuyer
sur le bénévolat ne serait plus aussi attentive à la participation active de
ses adhérentes.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm"><img title="womens_building_frise.JPG, mai 2013" style="margin: 0 auto; display: block;" alt="" src="https://blog.ecologie-politique.eu/public/.womens_building_frise_m.jpg" /></p>
<p style="margin-bottom: 0cm">Le Centre des femmes d'ici et d'ailleurs, ainsi
que le Women's Building, ont fait d'autres choix qui leur permettent de mener
d'autres actions ou de s'inscrire dans une autre temporalité. Tous ces centres
jonglent avec deux dimensions, sociale et politique, de soin et de lutte, qui
sont complémentaires mais impliquent parfois des choix stratégiques différents,
sur ces questions de salariat et de mixité, mais pas que (2). Chacun trouve son
équilibre bien particulier, mais tous sont attentifs à offrir des espaces qui
n'existent pas dans le reste de la société, des espaces non-marchands,
inclusifs et qui permettent aux femmes de s'accomplir, individuellement et au
sein d'un groupe.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm">Merci à Colline, Domitille, Kim, Laurence, Sarah
et Sonia.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm"><em>Les photos sont celles du Women's Building de
San Francisco.</em></p>
<p style="margin-bottom: 0cm"><a href="http://www.cdfia.net">Le Centre des
femmes d'ici et d'ailleurs</a>, 8043 rue St Hubert, Montréal</p>
<p style="margin-bottom: 0cm"><a href="http://inotherwords.org">In Other
Words</a>, 14 NE Killingsworth St, Portland, Oregon</p>
<br />
<a href="http://www.youtube.com/watch?v=Ew5dI_zlhRA">(Une visite de IOW dans
l'esprit Portlandia mais où l'on distingue des bouts de ce qu'est le
centre.)</a><br />
<p style="margin-bottom: 0cm"><a href="http://www.womensbuilding.org">The
Women's Building</a>, 3543 18th St, San Francisco</p>
<p style="margin-bottom: 0cm; font-style: normal"><span style="text-decoration: none"><a href="http://chezviolette.over-blog.org">Chez
VioleTTe</a>, 19 place Vanhoenacker, Lille</span></p>
<p style="margin-bottom: 0cm">(1) La non-mixité de l'accueil est un outil utile
pour <a href="http://lechappee.over-blog.com/">L’Échappée</a>, association qui
accueille et oriente les femmes victimes de violences sexistes et sexuelles.
L’Échappée, qui partage les locaux de Chez VioleTTe, contribue à l'offre
parfois insuffisante dans ce domaine, mais surtout apporte une dimension
clairement politique et féministe dans sa lutte contre les violences de
genre.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm">(2) Dilemme Chez VioleTTe : les cours de
couture non-mixtes sont l'activité de l'association qui fait venir les femmes
des horizons les plus variés. Mais dire que la couture, c'est pour les femmes,
et uniquement pour les femmes, c'est aller dans le sens de présupposés
sexistes. L'approche sociale et l'approche politique semblent être
contradictoires. Après une discussion sur ce sujet, les violettes décident
pragmatiquement de conserver la non-mixité de l'activité, pour ne pas en priver
des femmes qui ne viendraient pas dans d'autres conditions.</p>
<br />
<p style="margin-bottom: 0cm"><strong>Le test de Bechdel</strong></p>
<p style="margin-bottom: 0cm">Alison Bechdel, auteure de romans graphiques
remarqués (<em>Fun Home</em>, <em>Are You My Mother?</em>), propose au cours
d'une série de <em>comics</em> étalée sur plus de vingt années de production,
<em>Les Lesbiennes à suivre</em>, un test en trois questions simplissimes pour
reconnaître les fictions sexistes.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm">-Est-ce que le film ou le roman présente plus
d'un protagoniste féminin ?</p>
<p style="margin-bottom: 0cm">-S'il y en a au moins deux, est-ce qu'à un moment
elles se parlent ?</p>
<p style="margin-bottom: 0cm">-Est-ce qu'elles parlent d'autre chose que d'un
homme ?</p>
<p style="margin-bottom: 0cm">Quand le test porte sur des protagonistes
masculins, toutes les fictions y satisfont (à part <em>Huit femmes</em> de
François Ozon ou <em>The Women</em> de George Cukor, dont le défi est justement
de ne présenter que des personnages de femmes !). Mais quand c'est de
personnages féminins qu'on attend ce genre d'exploit (se parler,
mazette !), la liste rétrécit comme une peau de chagrin. Même quand elles
brossent « de beaux portraits de femmes », une majorité de fictions
offrent l'image de femmes complètement désocialisées, ou en relation exclusive
avec des hommes (filiation, séduction). Accablant. La bibliothèque de Chez
VioleTTe utilise ce test pour guider ses choix d'achats, vous pouvez donc venir
emprunter un bouquin les yeux fermés.</p>
<p style="margin-bottom: 0cm">Andree O. Fobb</p>Portland, capitale cinéphile de l'Amérique du Nord ?urn:md5:969b8e9a61c0c201e54c92d3ed471de72013-01-19T04:15:00+01:002014-01-04T11:11:48+01:00AudeReportagesAmérique du NordCinémaTechnique<p>Avant que ne décline dramatiquement la fréquentation des salles de cinéma,
l'exploitation des films était structurée d'une manière assez différente de
celle que nous connaissons aujourd'hui. Au fil des décennies, le nombre de
copies mises en circulation à leur sortie n'a cessé de croître, l'idéal étant
que dans les plus petites salles on puisse accéder aux films huit semaines au
plus tard après leur sortie nationale. La télévision, qui a drainé le public
des salles, stimule aussi la fréquentation des cinémas. Et tout le monde est de
plus en plus impatient de voir dès les premières semaines une sortie
abondamment commentée à la télé. L'offre des salles répond à cette impatience,
les copies déferlent sur tout le territoire pour une durée de vie de plus en
plus courte, et chaque année voit battu le record du nombre de copies pour un
même film (350 ! 700 !). On voit même des multiplexes programmer le même
blockbuster dans plusieurs salles pour qu'il soit accessible à n'importe quelle
heure du jour. On n'a plus jamais loupé l'heure, la prochaine séance commence
en permanence. Tout cela occasionne un gâchis de pellicule auquel le numérique
et ses copies reproductibles sans (presque) de support matériel semblerait
(presque) apporter une réponse écologique (nous y reviendrons dans un prochain
texte). Et une standardisation des salles, qui programment toutes à peu près
les mêmes films au même moment (y compris les films de patrimoine, qui
n'échappent pas à la règle), et dont les différences tarifaires ne tiennent
qu'à un critère : subventionnées ou non.</p>
<p>En arrivant à Portland, sans me douter du sort qui m'attendait en tant que
spectatrice, j'ai fait non seulement un voyage dans l'espace, mais aussi un
voyage dans le temps.</p> <p>Au temps des salles de quartier et des salles de première exclusivité...
C'est dans les premières que sortaient les productions de prestige : en
centre-ville, dans des salles classieuses, plus grandes, plus neuves, elles
attiraient un public aisé ou désireux de se payer le grand jeu. Les films y
étaient projetés au tout début de leur carrière, qui se poursuivait pendant des
mois, descendant chaque fois dans une salle moins prestigieuse, jusqu'à arriver
dans les quartiers. C'est là qu'allaient les voir les gamins avides de cinéma,
les amoureux/ses pas très difficiles sur le choix du film et tout un public
populaire, pas très argenté mais qui se payait facilement une séance
hebdomadaire. Laquelle séance occupait plusieurs heures, entre les bobines
d'actu, les dessins animés, le grand film et la série B. Ce cinéma de
grand-papa, c'est celui qu'on retrouve dans les films qui rendent compte d'une
enfance de cinévore d'après-guerre <strong>(1)</strong>.</p>
<p>Nous sommes en 2013, et il y a à Portland comme ailleurs des multiplexes
avec leurs places à dix dollars, idéalement situés dans des centres
commerciaux, mais aussi des salles de prestige comme celle du NW Film Center,
où je n'ai pas mis les pieds. C'est que les grands films d'Universal, la rétro
Barbara Stanwick, j'en profiterai en Europe si je n'ai pas déjà tout vu dans
les cinémathèques que j'y ai fréquentées (Amsterdam, Valencia, Bruxelles) ou en
DVD. Ici je profite des salles de quartier, qui sont une expérience de
spectatrice fondamentalement différente. Sur la rue, une enseigne vieillotte
qui brille de tous ses feux. C'est le paon du <a href="http://cinematreasures.org/theaters/3326">Laurelhurst</a>, les lettres animées
du <a href="http://cinematreasures.org/theaters/2014">Cine...magic</a> ou la
verticalité du Hollywood Theater. Et de tant d'autres où je n'ai pas eu
l'occasion d'aller tellement les reprises étaient tardives ou les films un peu
trop nuls : le <a href="http://cinematreasures.org/theaters/335">Bagdad</a> et sa déco orientale,
l'Avalon où l'on peut aussi passer la journée sur des jeux vidéo, l'Academia un
peu loin de chez moi mais où l'on sert paraît-il d'excellentes pizzas. A
l'intérieur, juste après la caisse, il faut refaire la queue pour les
<em>concessions</em>, soda et pop-corn ou bière d'une micro-brasserie locale et
pizza elle aussi du quartier. Et dans la salle, il y a des tablettes devant
chaque siège pour pouvoir poser tout ça. Aller voir un film sans passer la
première demi-heure à grignoter semble un plaisir aussi douteux que des cookies
sans un verre de lait... Mais avec une place à trois ou cinq dollars, la soirée
ne vous coûtera jamais aussi cher que la reprise d'un Maurice Pialat en
centre-ville.</p>
<p>Dans certaines salles, le sol poisse un peu, le film est déjà vu et revu, et
trois dollars c'est ce que ça vaut. Au Hollywood, les tarifs hésitent entre
cinq et sept dollars, on est en milieu de gamme, dans une ancienne salle de
première exclusivité. C'est l'unique cinéma associatif de la ville, financé par
son public, ses sympathisant-e-s et mécènes, et quelques fondations. Et le sol
est impeccable, c'est moi qui passe le balai entre chaque séance avec une
cinquantaine de bénévoles. Après <em>Holy Motors</em> ou le docu sur le
changement climatique vu par les glaciers, on s'ennuie un peu. Mais après les
séances de kung-fu de Dan, le programmateur qui distille les perles de sa
collection (la centaine de bobines est à la cave), qu'est-ce qu'on s'amuse à
repérer les verres de bière vides parfois malicieusement cachés entre deux
sièges. Le cinéma fonctionne avec une équipe salariée soutenue par des
bénévoles qui s'occupent de la caisse, de faire péter le pop-corn ou de servir
des verres aux plus de 21 ans <strong>(2)</strong>. A chaque fin de semestre,
il faut se battre pour trouver un créneau libre, parce que c'est le moment où
les étudiant-e-s doivent justifier des heures de bénévolat pour leur cursus.
D'autres mois sont plus tranquilles, et il a pu nous arriver de faire en équipe
légère, mais le public qui attend à la caisse est extrêmement bienveillant. Pas
parce qu'on est bénévole, mais pas ce qu'il est américain, et que râler lui
gâcherait le plaisir de sa sortie ciné, alors il ne lésine pas sur les sourires
et les encouragements.</p>
<p>L'architecture des lieux est propice à la détente : un hall tout en
courbes, un escalier qui donne sur une rampe mystérieuse, des couleurs chair,
le tout assez utérin. En 1926. l'année de sa construction, la grande salle fait
plus de mille sièges, les toilettes sont comme au cinéma avec un boudoir pour
les dames, et le Hollywood entraîne avec lui le développement économique de
tout un quartier du même nom, le long du Sandy Boulevard, percée diagonale au
milieu des carrés du <em>grid</em> et grande ligne de tram. Aujourd'hui le tram
a disparu et le balcon a été remplacé par deux salles d'une bonne centaine de
places, contre 350 en bas. C'est que le/la spectateurice moderne a besoin de
confort, et partant de plus d'espace. Au Hollywood, ille est soigné-e car les
sièges viennent d'être refaits suite à une souscription populaire. Prochain
projet, le remplacement de la <em>marquee</em> des années 70 (ces rectangles de
lumière où l'on place des lettres sombres) par une nouvelle sur le modèle de
celle des années 20. L'objectif des plusieurs milliers de dollars de dons a été
atteint, et les travaux commenceront ce printemps.</p>
<p><img src="https://blog.ecologie-politique.eu/public/.hollywood_sunset_m.jpg" alt="hollywood_sunset.JPG" style="display:block; margin:0 auto;" title="hollywood_sunset.JPG, janv. 2013" /></p>
<blockquote>
<p><em>La façade baroque du Hollywood Theater.</em></p>
</blockquote>
<p>Pendant que le Hollywood Theater se refait une jeunesse, et que les
brasseurs locaux McMennamin restaurent d'autres cinémas des années 1920 (comme
le Bagdad), la doyenne des salles à l'ouest du Mississipi (1916 !) et ses
boiseries font un peu la gueule. Propriété individuelle, le <a href="http://cinematreasures.org/theaters/6637">Clinton Street Theater</a>
fonctionne aussi avec du bénévolat (prière de signaler ses films préférés dans
la prise de contact) et accueille des associations et des festivals, mais les
lieux ont besoin d'un coup de neuf un peu plus concret. Est-ce que c'est lors
d'une performance du <em>Rocky Horror Picture Show</em> que l'écran s'est pris
cette tache jaune ? On ne le saura pas, mais tous les samedis à minuit
c'est la fête, une fois sur deux avec une bande de comédien-ne-s, et l'autre
samedi c'est la salle qui assure le spectacle <strong>(3)</strong>. Ce n'est
certes pas la première salle où l'on s'est amusé à jouer le film pendant sa
projection, mais c'est la plus ancienne où on le joue sans discontinuer, une
fois par semaine à minuit. Autre record de cette métropole moyenne (la 28e du
pays) mais qui est avec Los Angeles et New York la troisième capitale
américaine du cinéma (je relativise ici le titre et assume la reprise flemmarde
d'un titre récent).</p>
<p>Faute de budgets publics pour permettre aux petites salles d'accompagner la
fuite en avant du numérique, aux USA la transition est plus longue. Comme dans
les salles privées du Quartier latin, les salles de quartier de Portland ont
gardé leurs projecteurs 35mm. Méfiez-vous des projections
« numériques », ce sera du Blu-ray. Mais pour le reste, c'est ici
qu'on appréciera le mieux la fin d'un monde. Un seul gros studio a décidé de ne
plus faire tourner de copies 35mm, mais on attend d'un jour à l'autre que les
autres suivent. Avec l'impossibilité d'assurer les investissement nécessaires,
ce sera évidemment la fin des salles de quartier, trois ou quatre décennies
après la France. Loin de moi l'idée d'encourager le tourisme cinéphile (je
prévois justement l'écriture d'un post sur les illusions du voyage) et sa
consommation de kérosène, mais il y a dans le monde entier des expériences de
spectateurices à faire, et pour l'Amérique du Nord c'est encore à Portland
qu'elles se font !</p>
<p><strong>(1)</strong> Et c'est celui qu'a pris le temps de me raconter Armand
Badéyan, auquel j'aimerais rendre hommage ici.<br />
<strong>(2)</strong> Il faut pour cela une licence spéciale, la vente d'alcool
est tellement encadrée ici qu'un jour je n'ai même pas eu le droit d'entrer
voir un film au Laurelhurst (et donc de passer à côté du bar) sans mon
passeport ou sans mon papa et ma maman au motif que j'avais l'air d'avoir moins
de trente ans. Bonne nouvelle, pour les spectateurices qui n'apprécient pas
trop les ados, à partir de 19h les mineur-e-s mêmes accompagné-e-s n'entrent
pas.<br />
<strong>(3)</strong> En préparation : la reprise de <em>The Big
Lebowski</em>, façon <em>Rocky Horror</em>, <em>dude</em>, pour célébrer l'un
de nos plus récents films-cultes.</p>
<p>---</p>
<p><strong>D'autres beaux cinémas de la côte Ouest</strong></p>
<p><img src="https://blog.ecologie-politique.eu/public/.seattle_cinema_m.jpg" alt="seattle_cinema.JPG" style="display:block; margin:0 auto;" title="seattle_cinema.JPG, mar. 2013" /></p>
<blockquote>
<p><em>Une salle non-identifiée, sur la 45e (?) rue à Seattle, en binôme avec
une deuxième du même modèle. L'une est rose, l'autre bleue.</em></p>
</blockquote>
<p><img src="https://blog.ecologie-politique.eu/public/.olympia_cinema_m.jpg" alt="olympia_cinema.JPG" style="display:block; margin:0 auto;" title="olympia_cinema.JPG, mar. 2013" /></p>
<blockquote>
<p><em>A Olympia, WA, pendant le festival du film.</em></p>
</blockquote>
<p><img src="https://blog.ecologie-politique.eu/public/.castro_lobby_m.jpg" alt="castro_lobby.JPG" style="display:block; margin:0 auto;" title="castro_lobby.JPG, mar. 2013" /></p>
<blockquote>
<p><em>Le cinéma Castro, dans le quartier du même nom à San Francisco, le
lendemain de la clôture du festival du film noir.</em></p>
</blockquote>Portland, capitale vélo de l'Amérique du Nord ?urn:md5:95437137e74ec2471637802e0f78b6342012-12-13T07:32:00+01:002014-01-04T11:11:48+01:00AudeReportagesAmérique du NordVélo<p>Jeudi 22 novembre 2012, Portland, devant le café coop de la 12e rue.
Rendez-vous est pris pour une balade festive dans les rues de la ville,
désertées pour cause de Thanksgiving. Une trentaine de cyclistes se sont
réuni-e-s pour profiter du calme et « se mettre en appétit » pour le
repas de 15 h. L'un des nombreux rendez-vous quotidiens qui animent la
communauté des cyclistes de Portland, Oregon. Avec ses 500 000 habitant-e-s
(deux millions dans toute l'agglo, qui s'étend jusque dans l'état de
Washington), la petite métropole du Nord-Ouest fait figure de capitale vélo de
toute l'Amérique du Nord.</p> <p>Est-ce son climat ? Pendant les trois mois d'hiver il y pleut plus qu'à
Brest... Son relief ? Plus doux que Seattle sa voisine, mais ce n'est pas
ça qui fait une ville cyclable, il suffit de considérer l'exemple lillois. Ses
aménagements ? Pendant les années d'après-guerre la ville s'est
« adaptée à la voiture » et des autoroutes traversent toute la ville,
réduisant les possibilités de franchissement entre ses quadrants à quelques
grands axes et à de rares ouvertures cyclables. La dernière <em>freeway</em> a
réuni contre elle assez de suffrages pour ne pas être construite, mais pour
passer sans encombre du quadrant Nord-Est à celui du Sud-Est ou à celui du Nord
(il y en a au total cinq) il faudra planifier son itinéraire ou être un-e
habitué-e. Décidément, il n'y a pas de recette, plutôt une alchimie qui tient à
la culture locale autant qu'au volontarisme des autorités.</p>
<p>Beaucoup a été fait pour les 8 % d'habitant-e-s qui font leur trajet
domicile-travail à vélo : nombreuses bandes cyclables, signalisation
spécifique (y compris sur des axes où la circulation des vélos est interdite,
une bizarrerie), stationnements, etc. Et la ville a avancé depuis des décennies
sur d'autres terrains, avec le premier tramway réintroduit aux USA et un
système de transports en commun qui permet à Portland de compter 20 %
d'automobilistes en moins que dans les autres métropoles du pays. Le résultat,
ça n'est pas seulement une ville qui se rapproche des standards cyclables
français : elle les dépasse. La densité peut être assez forte pour prendre
l'habitude d'annoncer qu'on va doubler (« <em>On your left!</em> »), et on
ne conduit pas ici sa voiture sans penser aux vélos qu'on va croiser. Mais rien
à voir avec Gand ou Amsterdam. Ou pas encore. Car ce qui fait les délices du
vélo à Portland, c'est aussi hélas un modèle urbain insoutenable, celui de la
ville peu dense. Passé l'hypercentre, elle se développe autour de la maison
individuelle avec ses quatre façades, ses espaces verts et son sens du
voisinage. Si les Américain-e-s font de détestables citoyen-ne-s du monde, ce
sont en revanche de bon-ne-s voisin-e-s. Prendre à vélo une rue dans un
quartier résidentiel, en itinéraire officiellement cyclable ou non, c'est
s'assurer un traitement très délicat de la part des automobilistes :
vitesse réduite, au point d'entendre ronronner sans impatience la voiture
derrière soi, et priorité quasi-systématique aux cyclistes, au point d'en
oublier sa droite. Seul bémol : on promène son chien dans le noir, et on
fait du vélo dans les mêmes conditions... attention aux obstacles et aux nids
de poule. Sur les grands axes en revanche, on se sent beaucoup moins accepté,
invisible, illégitime, même si ces axes sont des rues commerçantes, vivantes et
fréquentées. On y est parfois même carrément interdit, comme sur un des huit
ponts de Portland qui pourtant donne sur des axes autorisés au vélo.</p>
<p>Aujourd'hui, ce qui fait croître l'usage du vélo à Portland, c'est aussi
l'immigration des cyclistes. Aux USA, quand on se ressemble on s'assemble.
Quand la réputation de la vie alternative à Portland n'est plus à faire, quand
les aires métropolitaines de Seattle ou San Francisco deviennent un peu trop
chères pour les classes sociales les plus disposées au vélo, Portland attire
une population attirée par sa différence. Et l'attrait du vélo tient autant à
la facilité qu'il y a à rouler dans les rues de la ville qu'à la culture
cycliste : vélocistes pour tous les goûts (de la sacoche en cuir pour
votre Brompton aux pièces de récup offertes ou bradées), ateliers de réparation
mixtes ou féminins ; centre communautaire ; foire artisanale qui
réunit fabricant-e-s d'accessoires ou de bijoux (la chaîne de vélo en bracelet
a un certain succès) ; agenda proposant des sorties pour la santé, le
plaisir ou la revendication (la masse critique a une histoire plus
douloureuse), on peut vivre ici pour le vélo. La communauté cycliste produit
aussi une abondante littérature : guides de Portland à vélo, en passant ou
non par les micro-brasseries qui font elles aussi la réputation de la
ville ; manuel de la cycliste par <em>Women on Wheels</em> ; fanzine
féministe vélorutionnaire trimestriel <em>Taking the Lane</em>
<strong>(1)</strong> ; divers précis d'histoire politique du vélo en
Oregon... Portland est aussi un centre très actif de micro-édition. Avec tout
ça, même si on n'a encore pas atteint une masse critique, même si on peut
l'avoir mauvaise quand on se fait serrer de près par un pick-up chromé sur un
gros axe ou <em>downtown</em>, on sait ici que, même au milieu d'un océan de
grosses berlines japonaises, on est bien entouré.</p>
<p><img src="https://blog.ecologie-politique.eu/public/.bike_pdx_m.jpg" alt="bike_pdx.JPG" style="display:block; margin:0 auto;" title="bike_pdx.JPG, déc. 2012" /></p>
<p><strong>(1)</strong> A retrouver bientôt dans la bibliothèque de CheZ
VioleTTe, place Vanhoenacker.</p>Québec : cap au Nord !urn:md5:4a87e377f58263801a1ee9ad665d1b9d2012-12-12T22:40:00+01:002014-01-04T11:11:48+01:00AudeReportagesAmérique du NordEnvironnement<p>Paru dans <em><a href="http://lan02.org">L'An 02</a></em>, hiver
2012-2013.</p>
<p>Le second pays le plus vaste au monde n'est peuplé que de 34 millions
d'habitant·e·s, massé·e·s sur la frontière méridionale. Autant dire que le
reste n'est qu'une vaste réserve de richesses qui n'attendent que d'être
exploitées. Le Canada s'y emploie déjà, et mines et barrages prospèrent depuis
longtemps au Nord. Mais le pic de Hubbert, un phénomène de stagnation mondiale
de l'extraction du pétrole, et la demande qui va croissant, ouvrent une course
à l'exploitation de toutes les ressources imaginables d'énergie. On connaît en
France la brillante idée qui consiste à polluer les nappes phréatiques d'un
pays densément peuplé pour en extraire quelques litres de gaz de schiste,
imaginons donc les appétits qui s'aiguisent autour des ressources souterraines
d'un pays vécu comme un quasi-désert. Jusqu'ici l'exploitation a été modérée
par des prix trop faibles, mais aujourd'hui tous s'envolent, et l'affaire
devient enfin rentable. Il s'agit de terres rares, délaissées quand la Chine
les bradait, mais qui sont devenues bien précieuses, de fer et d'autres métaux
dont les prix ont eux aussi explosé, et enfin d'énergie sous toutes ses
formes : uranium (les autres fournisseurs de la France sont le Niger et
l'Australie), hydroélectricité et énergies fossiles non-conventionnelles
(sables bitumineux, gaz de schiste). La folie extractiviste s'est emparée du
pays.</p> <h4>Une nouvelle colonisation des territoires du Nord</h4>
<p>Au Québec cette folie a pour nom « Plan Nord », un programme
découvert en mars 2011. Natalie Normandeau, alors ministre libérale des
Ressources naturelles, présente le Plan Nord comme un « vaste projet de
société ». Pour Jean Charest, Premier ministre aujourd'hui démissionné,
c'est « l'un des plus grands chantiers de développement économique, social
et environnemental de l'histoire du Québec ». Le Plan Nord est un énorme
partenariat public-privé (PPP, la star des politique néo-libérales de
privatisation des gains et de socialisation des pertes) : des milliards
d'investissements, surtout publics (infrastructures de transport notamment),
pour aller exploiter toutes les ressources naturelles au nord du 49e
parallèle.<br />
Il est douteux que les redevances minières comblent le déficit :
l'institut de recherche indépendant IRIS estime que la province « devra
payer 8,45 milliards de dollars de plus que ce qu'elle recevra du Plan
Nord ». Mais la motivation principale, assénée à longueur de temps par les
autorités, c'est l'emploi (lequel n'a pas de prix). Non pas l'emploi des
populations autochtones, qui vivent dans les territoires les plus déshérités de
la province et font exploser les taux d'illettrisme, d'alcoolisme ou de
malnutrition. Mais l'emploi des jeunes Blanc·he·s qui n'en veulent, et
accepteront de bosser dix jours de suite dans des villes-champignons pour
rentrer en avion profiter de fins de semaine prolongées à Montréal ou Québec.
Une migration pendulaire organisée, sans souci pour l'équilibre des
territoires. Les loyers des villes-dortoirs ont déjà explosé, mais aussi le
prix des denrées alimentaires. Au temps de la ruée vers l'Or dans le Yukon au
XIXe siècle, un fruit importé valait son pesant de pépites. Toutes proportions
gardées, c'est l'avenir du marché alimentaire local.<br />
Les autochtones, privé·e·s de la ressource économique, seront les grand·e·s
perdant·e·s du Plan Nord. L'arrivée en masse de Blancs, principalement des
hommes seuls, fait en outre craindre une augmentation des cas de violence, et
de violence sexuelle, à l'encontre des femmes autochtones, déjà très
vulnérables, et une déstabilisation des structures sociales et culturelles. Sur
les onze premières nations québécoises, quatre (Innus, Cris, Inuits et
Naskapis) ont été associées au Plan Nord, à travers la consultation de leurs
conseils de bande, des institutions plus folkloriques que traditionnelles et
dont la corruption est abondamment commentée. Et d'autres nations, également
impactées, comme les Algonquins, n'ont pas été inclues dans la consultation. Le
ministre des Affaires autochtones de 2011, Geoffrey Kelley, peut toujours
parler de « grand projet collectif »... ici on traduit dans les
termes du néocolonialisme.</p>
<h4>Développement économique, social et environnemental !</h4>
<p>Tout le territoire au nord du 49e parallèle, c'est 72 % du Québec, soit
1,2 million de km2, 500.000 lacs et rivières qui constituent l'une des plus
grosses réserves d'eau douce au monde, 200.000 km2 de forêts dites
commerciales. Mais rassurons-nous, des engagements ont été pris pour que
50 % du territoire du Plan Nord soit consacré « à des fins autres
qu'industrielles », et même 12 %, puis en 2012 20 %
d'« aires protégées », lesquelles aires pourront cependant être
déplacées au fil des années. Un site déjà exploité pourrait ainsi redevenir un
patrimoine naturel...<br />
Les mines d'uranium et de métaux, qui une fois exploitées sont abandonnées
telles quelles, contaminent durablement les sols et les eaux. La coupe à blanc
des arbres est permise, et bien plus rentable qu'une coupe sélective, plus
écologique et adaptée au rythme de régénération extrêmement lent (120 ans) de
la forêt. Et les barrages, déjà très présents (la compagnie provinciale de
production électrique s'appelle Hydro-Québec), s'attaqueront à de nouveaux
cours d'eau sur la Côte-Nord, qui sont encore vivants et propices à la
reproduction des saumons. Sur les fleuves où sont construits des barrages, les
poissons ne sont plus qu'un souvenir, les oiseaux qui s'en nourrissaient
disparaissent, et les retenues inondent des km2 entiers où pourrissent des
conifères en relâchant du méthylmercure, une substance toxique. Rien à voir
avec une énergie propre, l'hydroélectricité se contente de ne produire ni CO2
ni radioactivité, mais elle bouleverse les équilibres naturels.<br />
Ce sont donc de véritables encouragements à dégrader les écosystèmes du Nord
qui sont délivrés par les gouvernements qui se succèdent au pouvoir, au nom de
l'emploi et du profit, et dans l'ignorance de l'intérêt écologique de ces
régions peu habitées. Le monde entier fait la grimace devant l'exploitation des
sables bitumineux de l'Alberta, on espère qu'il accordera la même intérêt au
Plan Nord québécois.</p>
<p>NB : Merci à Philippe et aux auteur·e·s de <a href="https://blog.ecologie-politique.eu/post/%3Chttp://anarchieverte.ch40s.net/partenaires/la-mauvaise-herbe%3E">La
Mauvaise Herbe</a> pour leurs éclairages.</p>
<p>___</p>
<h4>Le Plan Nord mort et enterré ?</h4>
<p>Lundi 1er octobre 2012, la nouvelle ministre des Ressources naturelles,
Martine Ouellet, enterre en fanfare le Plan Nord du Parti libéral. Elle compte
créer un nouvel organisme de coordination et poursuivre l'exploitation,
« mais pas n'importe comment ». Il faudra que tout cela bénéficie
plus au public, grâce à un volet social plus important et à des redevances
minières accrues par rapport aux cadeaux libéraux pour le big bussiness
canadien, et l'utilité des extractions ne sera pas décidée uniquement par le
marché, mais aussi soumis à des études, à des concertations et à des choix
politiques : l'amiante, l'uranium et les gaz de schiste sont déjà dans la
ligne de mire. Mais l'accélération de l'exploitation des ressources du Nord
reste au programme.</p>A qui la rue ? A nous la rue ! Retour sur un printemps érableurn:md5:479c5b0dbf83807186c239cd126093582012-12-12T22:37:00+01:002014-01-04T11:11:48+01:00AudeReportagesAmérique du NordDémocratieMiliter<p>Paru dans <em><a href="http://lan02.org">L'An 02</a></em>, hiver
2012-2013.</p>
<p>22 septembre, dans le métro de Montréal, ligne orange, station Sherbrooke.
Je fais des pieds et des mains pour sortir du wagon au milieu des voyageur/ses
en chemin pour un samedi de magasinage, et nous sommes peu nombreux/ses sur le
quai à arborer le carré rouge pour la grande manif, parc Lafontaine à 14h.
L'engouement est un peu passé pour les manifs du 22, qui depuis le 22 mars ont
ponctué la vie politique québécoise. Et celle-ci sera peut-être la
dernière : mille ou deux mille ultra motivé·e·s, sous la pluie,
dispersé·e·s par la police avant d'avoir atteint leur but.</p> <p><img src="https://blog.ecologie-politique.eu/public/.villeraydesobeit_m.jpg" alt="villeraydesobeit.jpg" style="display:block; margin:0 auto;" title="villeraydesobeit.jpg, déc. 2012" /></p>
<p><strong>La hausse : la réforme de trop</strong><br />
Reprenons l'histoire depuis le début. Tout commence à la fin de l'automne 2011,
avec la décision du gouvernement Charest d'augmenter significativement les
droits de scolarité au Québec. Cela fait des décennies que le solidarité
nationale s'érode lentement, sous les réformes d'inspiration néo-libérale. La
santé, les transports, tous les services publics sont mis à mal. Mais pour les
étudiant·e·s, « la hausse » est la réforme de trop, et ils et elles
s'organisent pour ne pas laisser passer. En février, c'est la grève dans les
universités, francophones et anglophones, progressistes ou un peu trop
tranquilles. L'Assé, « association pour une solidarité syndicale
étudiante », fédération créée quelques années auparavant, devient
« coalition large » (c'est CLASSE !), un mouvement plus
revendicatif que les fédérations FEUQ et FECQ qui ont dominé pendant longtemps
la représentation étudiante. Mais la magie opère, et toutes font front quand le
gouvernement libéral souhaite écarter la CLASSE des négociations. Mi-mai, sur
le point d'accorder un moratoire, la ministre Line Beauchamp démissionne et le
gouvernement passe à la manière forte, en interdisant tout mouvement autour des
institutions scolaires : la loi 78 oblige l'enseignement à avoir lieu et
interdit toute entrave ; le droit de manifestation est aussi sérieusement
recadré, avec un contrôle accru sur les rassemblements à partir de de dix
personnes (le chiffre est revu à cinquante dans un amendement).</p>
<h4>Un mouvement fédérateur</h4>
<p>D'abord c'est l'université qui s'enflamme, des facs aux CEGEP (collèges
pré-universitaires), des « profs contre la hausse » à Anarchopanda,
le prof de philo qui fait des câlins aux flics comme aux manifestant·e·s, des
équipes de télé de l'université Concordia (CUTV, since 1969 !), qui
diffuse en direct les images de manifs, aux étudiant·e·s en art de la Montagne
rouge, qui ont retrouvé l'esprit des Beaux-Arts de mai 68. Mais avec la
répression et les violences policières, c'est l'ensemble de la société
québécoise, qui jusqu'ici accordait sympathie et soutien au mouvement, qui
prend la rue. Même les plus ancien·ne·s, comme en témoigne un mouvement comme
« Cheveux gris et carré rouge ».<br />
Mai, c'est le début du temps des casseroles, manifestations de rue spontanées
(donc illégales) qui naissent dans les quartiers et convergent chaque soir vers
le centre-ville. La rue St-Denis, comme dirait la chanson, « n'en finit
pas » et il faut bien deux heures de marche pour retrouver les
étudiant·e·s tout au Sud, vers le parc Émilie-Gamelin. Chaque soir, des
milliers de personnes prennent la rue en tambourinant. D'aucun·e·s affirment y
avoir développé un certain sens du rythme... Ce qui est sûr, c'est que ces
heures à aller taper le cuivre ou l'inox tous les soirs pendant des semaines
avec les voisin·e·s créent un esprit nouveau dans la ville, et que peu à peu
fleurissent les assemblées populaires autonomes de quartier (APAQ, voir
encadré). On a rarement eu aussi chaud cet été-là au Québec.</p>
<h4>Une bonne élection par-dessus tout ça</h4>
<p>Début août, le gouvernement démissionne et des élections sont prévues en
catastrophe pour le mardi 4 septembre. Les AG d'étudiant·e·s votent au cours du
mois la fin de la grève, et la campagne électorale prend le dessus. Le système
est particulièrement bi-partisan, autour d'un scrutin majoritaire à un seul
tour. Ces élections ont donc donné une alternance assez classique, avec
l'arrivée au pouvoir du Parti québécois, social-démocrate et indépendantiste,
et de la première femme Première ministre de la province, Pauline Marois.
Laquelle a dès sa première semaine aux affaires annulé la hausse des frais
universitaires, la loi 78, et déclaré un moratoire sur l'exploitation des gaz
de schiste. Mais malgré ces premiers succès, les mouvements sociaux restent
vigilants. La CLASSE va redevenir l'Assé, et participer à des états généraux de
l'éducation. Les acteurs et les actrices du printemps érable gèrent la fin du
mouvement sans l'épuiser, l'essentiel étant de garder les structures vivantes
quand reviendra la contestation. Car, même si ce mois de septembre a donné
raison aux électoralistes, on s'attend à des déceptions au vu des difficultés
budgétaires que connaissent comme partout ailleurs le Québec et le Canada, et
de la stratégie du PQ de ne pas rompre avec les politiques néo-libérales
déclinées depuis plus de trente ans.</p>
<p>NB : Merci aux habitant·e·s du quartier Villeray, Anne-Marie,
Bénédicte, France, Nico et Sonia, ainsi qu'à Jeanne, de la CLASSE.</p>
<p>_</p>
<h4>Une assemblée populaire autonome de quartier</h4>
<p>A l'APAQ de Villeray, on croise un peu tout le monde, militant·e·s de longue
date comme nouveaux/elles venu·e·s. Tou·te·s se sont rassemblé·e·s autour des
casseroles de la fin du printemps et de l'été. En reparlant de ces chaudes
soirées, ce ne sont que souvenirs émus d'une redécouverte du quartier. Mais les
assemblées ont construit depuis tout ça quelque chose de plus solide : une
culture de l'écoute et du respect mutuel, une envie de participation politique,
un intérêt qui dépasse le quartier. « Pour moi, dit Anne-Marie, les APAQ
sont une révélation dans ce sens. C'est la première fois de ma vie que
j'assiste à un procédé aussi souple, inclusif, et qui fonctionne très bien...
J'apprends beaucoup. » Elle participe avec d'autres à cette APAQ qui fait
le lien entre la vie du quartier et ses thématiques propres (dont
l'embourgeoisement pour cause de construction d'immeubles de luxe, les condos)
et des questions plus globales : services publics, droits des femmes,
pillage des ressources naturelles, etc. Chaque quartier a son assemblée. Le
principal clivage à l'intérieur des APAQ est l'électoralisme. Mais les adeptes
du changement social à travers les élections cohabitent dans un respect très
québécois avec ceux et celles qui ont bien vu l'usage que le gouvernement avait
fait des élections pour éteindre le mouvement social.<br />
Aujourd'hui, les APAQ hésitent entre devenir des associations de quartier,
tournées vers la convivialité qui est aussi l'un des acquis du printemps
érable, et rester très militantes, peut-être se fédérer au niveau de la ville,
au risque de décourager une partie de leurs membres. Une troisième voie étant
l'éducation populaire : les assemblées produisent des comités et des
ateliers qui travaillent plus en profondeur les questions abordées lors des
mobilisations.</p>A la Communautéurn:md5:d2de9946ef65a8fc1e38cacdcc1ccecb2012-02-24T12:58:00+01:002014-06-03T11:05:36+02:00AudeReportagesDécroissance<p>Premier jour : arrivée sac au dos de la gare toute proche, on
m'accueille en me montrant ma chambre, toute simple et très jolie, avec assez
de rangements pour m'installer une dizaine de jours. L'après-midi est – comme
la matinée – consacrée au travail, mais dans quelques heures tout le monde sera
plus disponible. J'attends donc ce moment, bien tranquillement. Mais à 17h30
les lieux restent vides. A 19h30, l'heure de la prière commune, je n'aurai
croisé que Sandra, ma voisine du dessous, une très jeune femme en stage pour un
an avec son ami, venue me souhaiter la bienvenue. L'appel de la cloche se fait
finalement entendre, je me précipite dans la salle commune où brûlent trois
bougies devant une assistance plutôt clairsemée. Un texte récité par cœur, des
intentions de prière, une chanson, quelques annonces dont celle de mon arrivée.
Avant de nous quitter, nous embrassons nos voisin-e-s de droite et de gauche en
leur souhaitant une belle soirée. Le samedi est le seul soir où une activité
collective est proposée : c'est danse. Les autres soirs, les personnes
installées (engagées, selon le vocabulaire de la Communauté), rentrent dans
leurs appartements pendant que les six ou sept stagiaires se réunissent dans la
cuisine pour finir les restes du midi <strong>(1)</strong>. C'est toujours
copieux et délicieux, on mange très bien, en quantité parce qu'on a beaucoup
travaillé en plein air, et l'ambiance est cordiale. A la fin du repas, nous
lavons nos couverts mais l'un-e de nous reste, préposé-e à la vaisselle des
plats. Je me retrouve vite seule, sans autre perspective que celui de rejoindre
mon lit. Il est 20h30. Je peste un peu, avant de me rappeler que j'étais aussi
venue pour ça : rompre avec mon quotidien, couper pour quelques jours les
liens avec mes collaborateurs et mes ami-e-s, avoir enfin beaucoup de temps
libre pour lire et me reposer. La mission est donc remplie, de quoi pourrais-je
me plaindre ?</p> <p>Il n'empêche que c'est de mauvais gré que je vois mes premiers jours à la
Communauté placés sous le signe de la solitude. Au point d'envisager un plan B
pour la semaine suivante... Heureusement, un stagiaire arrivé après moi, Cyril,
partage cette déception et nous passons une après-midi assez réconfortante à
nous balader en regrettant la vie collective plutôt pauvre. L'épluchage des
légumes et le repas de midi sont les rares moments collectifs et conviviaux de
la journée, et pas une seule discussion collective et formelle n'est proposée
dans le courant de la semaine. On nous signale, belle surprise, que le vendredi
les nouveaux et nouvelles arrivant-e-s ont un entretien avec une ancienne de la
Communauté. Cette perspective devient le premier objectif de mon séjour
(surtout ne pas partir avant !) mais Cyril ne tiendra pas jusque là. Le
jour venu, j'aurai déjà appris beaucoup, dans des discussions informelles à la
cuisine ou ailleurs, sur ce qui fait que la Communauté est si peu accueillante,
à l'encontre de son intention originelle.</p>
<p>Première raison : il fait froid ! Les lieux collectifs sont très
vastes, impossibles à chauffer et d'autant plus pendant cette vague de froid où
le thermomètre descend jusqu'à -14°. Les lieux privés, parmi lesquels l'étage
où se trouve ma chambre, sont bien mieux chauffés et on a parfois hâte de les
retrouver pour ne plus en sortir. Deuxième raison : les lieux ont
accueilli dans les années 1970 et 1980 jusqu'à 90 personnes, et il sont
surdimensionnés pour la situation actuelle. On peut donc très facilement ne pas
s'y croiser.</p>
<p>Aujourd'hui la fête de la St-Jean, les semaines d'été ou Noël peuvent réunir
beaucoup de monde, mais il n'y a plus à la Communauté qu'une douzaine de
personnes engagées, au point qu'on ait envisagé il y a quelques années sa
fermeture. Ludovic est maintenant le seul postulant. Il a rejoint la Communauté
il y a un an et demie, et il est co-exploitant de la ferme. Il regrette que
l'efficacité y soit un gros mot, et de travailler dans des conditions trop peu
professionnelles. C'est pas parce qu'on essaie de faire avec le minimum
d'énergie fossile et le plus simplement possible qu'on doit abandonner l'idée
de produire ! La fromagerie n'est pas aux normes, les tomes qu'il fabrique
peuvent uniquement être échangées à des ami-e-s. La ferme n'a pas assez de
rentrées d'argent, et beaucoup de besoins monétaires : la protection
sociale des co-exploitant-e-s, qui garantit entre autres la retraite des
ancien-ne-s, coûte déjà plusieurs milliers d'euros par an et par personne. Dans
ces conditions, l'autarcie que les personnes de passage croient voir à la
Communauté (les légumes, les pommes, le pain, le lait et le bois sont produits
sur place) n'est qu'une illusion et les engagé-e-s se font un devoir de la
mettre à mal. Le travail manuel, qui est un gage d'équilibre dans la pensée du
Patriarche qui a investi la ferme il y a bientôt cinquante ans, est devenu
prépondérant et on trime, on trime, pour tenter de joindre les deux bouts avec
ces moyens pas vraiment à la hauteur que me décrit Ludovic. Le résultat, c'est
que les approvisionnements complémentaires se font à moitié en gros à la
Biocoop, et à moitié en conventionnel au supermarché du coin (« fruit de
l'exploitation des hommes et de la nature »), en contradiction avec les
valeurs portées par la Communauté. On n'a pas beaucoup d'argent... et –
troisième raison – on n'a pas beaucoup de temps non plus pour accueillir comme
on pourrait les personnes de passage, ni pour ouvrir des espaces de réflexion
sur la non-violence et la spiritualité <strong>(2)</strong>. Les réunions
hebdomadaires, entre engagé-e-s, et les discussions informelles sont certes
teintées de cet esprit, mais c'est en passant. On pourrait donc venir à la
Communauté, y passer quinze jours, et ne pas en savoir plus sur la non-violence
que le nom de Gandhi, dont deux portraits trônent dans la salle commune. Même
le travail des stagiaires, tenu-e-s de travailler 35h/semaine en échange de
leur hébergement, est mal encadré et moins efficace.</p>
<p>L'accueil est cordial, mais les personnes de passage sont souvent déçues par
sa qualité, et beaucoup ont ressenti comme moi de grands moments de solitude,
surtout au début de leur séjour. La dernière raison, je la connaissais :
dans les communautés dont j'ai eu l'écho, les personnes de passage ne peuvent
pas compter créer d'emblée des liens qui doivent être rompus quinze jours plus
tard par leur départ. J'ai moi-même pu ressentir une certaine déception au
départ, à peine deux jours avant le mien, de ma voisine Carolina. A force de
voir passer du monde, les habitant-e-s se blindent pour ne plus l'éprouver.
C'est pour être confrontée à un blindage moins épais que j'avais choisi une
communauté chrétienne, comptant sur la bienveillance que j'ai pu noter chez les
cathos de gauche rencontré-e-s ici et là. Les premiers jours ont été rudes, et
mes préjugés à cet égard mis en défaut, mais j'ai cru le voir céder après
quelques jours. Et au moment de courir derrière le minibus qui m'emmènerait
dans la vallée, c'est avec un pincement au cœur que j'ai fait de grands signes
de loin à Maryvonne et à Ludovic, en regrettant que nous n'ayons pas eu plus de
temps à consacrer à notre rencontre.</p>
<p><strong>(1)</strong> Plus précisément le repas collectif du soir réunit les
célibataires, tandis que les couples prennent leur repas entre soi. La ligne de
partage entre personnes en couple et célibataires rejoint presque (mais pas
tout à fait) celle entre engagé-e-s et stagiaires. Alors que la Communauté à
l'origine accueillait majoritairement des célibataires, aujourd'hui la vie en
couple est devenue la norme. Et Birgit, qui y a rencontré son compagnon,
reconnaît les échecs de la Communauté tout en admettant que la mission d'agence
matrimoniale est parfaitement remplie !<br />
<strong>(2)</strong> Et encore moins pour mener les activités artisanales et
artistiques dont on voit encore les traces : gravure sur le bois des
charpentes, rouets et machines à tisser à l'abandon...</p>